La pire menace qui soit pour l’humanité
A ce jour, aucune autre technologie, aucun autre fléau biologique, climatique ou géologique n’a atteint les mêmes possibilités de destruction. Et pourtant nous continuons de faire comme si le nucléaire était une composante normale des systèmes socio-politiques. Alors qu’à la moindre défaillance de ces systèmes (attaque terroriste, assèchement des cours d’eau nécessaires pour le refroidissement des réacteurs, séismes) un accident majeur est non seulement possible mais probable.
Et contrairement aux scénarios des films de science-fiction où l’être humain fini toujours par s’en sortir à la fin, de nombreuses personnes seraient affectées de manière irréversible par une telle catastrophe. La contamination serait d’une ampleur et d’une durée telles que des territoires entiers seraient inhabitables pour des milliers d’années.
Une contamination de grande ampleur
De larges régions d’Europe ont été touchées par la contamination radioactive due à la catastrophe de Tchernobyl. On nous a un temps vendu que le nuage radioactif s’était arrêté à la frontière est de l’hexagone : mais nul ne croit plus à cette fable. Aujourd’hui, près de cinq millions de personnes continuent de vivre sur un sol contaminé (principalement en Ukraine, en Russie et au Bélarus), affrontant comme elles peuvent les conséquences des radionucléides sur leur santé. Et ce sont plus de 600 000 personnes qui ont dû participer, au péril de leur vie, à la décontamination partielle du site. Dans la région de Briansk, en Russie, la plupart des communautés catégorisées en “zone d’évacuation” n’ont jamais été évacuées.
Les forêts aux alentours de Tchernobyl sont devenues de grands entrepôts de contamination radioactive. Le césium 137 y est un contaminant clé. En raison de sa longue période de radioactivité (30 ans), ce césium pose un danger pour des siècles à venir. Que ce soit par des feux de forêt ou par la migration de contaminants radioactifs à travers les écosystèmes, les communautés avoisinantes resteront toujours exposées aux radiations.
La catastrophe est toujours en cours. On ne sait toujours pas vraiment comment la traiter. Pour ce qui est du pansement, une arche de confinement est en cours de construction au-dessus des débris du réacteur. Elle devrait être terminée courant 2017, soit plus de 30 ans après la catastrophe, et douze ans après la date de livraison initialement prévue. Son coût, plusieurs fois réévalué à la hausse, s’élève à environ deux milliards d’euros.
Pas de solution pour les déchets
Actuellement, 440 000 mètres cubes de déchets radioactifs à longue durée de vie se trouvent sous l’ancien sarcophage. Il est pour l’heure techniquement impossible d’extraire ces déchets – et on ne sait pas non plus qui assumera les coûts astronomiques de ces travaux. Les spécialistes du gouvernement ukrainien les estiment à plusieurs dizaines de milliards de dollars.
Les solutions pour le traitement et le stockage des matières radioactives issues de l’accident se font toujours attendre, et il est de plus en plus clair que personne ne travaille à une solution à long terme. Même le projet pilote pour un essai d’extraction des matières radioactives a été arrêté.
Aujourd’hui (et pour des siècles), de nombreuses sources de dissémination de radionucléides subsistent dans la « zone interdite » contaminée. Les effets sur les écosystèmes de cette radioactivité durablement accrue ne sont pas suffisamment connus. Et les atteintes de longue durée sur les écosystèmes semblent nettement plus importantes qu’on le croyait : même de petites doses de radioactivité peuvent nuire aux animaux et aux plantes.
Des conséquences sanitaires terrifiantes
Les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl sont aujourd’hui encore sujettes à débats. Et pour cause : ni les industriels nucléaires, ni les gouvernements qui les soutiennent n’ont fait leur travail pour établir un bilan sérieux de l’accident. L’URSS avait tout fait pour le minimiser. Aucun registre n’a été tenu.
De son côté, l’Agence internationale de l’énergie atomique a avancé le chiffre fantaisiste de 4000 morts ! En 2006, Greenpeace a publié un rapport inédit et réalisé par soixante scientifiques, concluant que 200 000 décès dus à la catastrophe avaient été recensés entre 1991 et 2006 en Russie, au Bélarus et en Ukraine. L’Académie des sciences de l’Etat de New York a publié, fin 2009, des études de chercheurs russes, bélarussiens et ukrainiens qui n’avaient jusqu’alors jamais été traduites en anglais. D’après ces études, le nombre de décès causés par les retombées de l’accident de Tchernobyl se situerait entre 600 000 et 900 000. Et ce sont plus de 350 000 personnes qui, du jour au lendemain, ont été déplacées, arrachées à leur vie, déportées dans l’inconnu, à cause de la folie nucléaire.
Dilettantisme politique
Par ailleurs, l’aide financière diminue progressivement pour les survivants de Tchernobyl. Conséquence : la capacité des pouvoirs publics à contrôler la sécurité alimentaire s’amenuise, de même que le niveau des mesures de protection et le suivi scientifique de la radioactivité et des conséquences sanitaires. Par conséquent, les risques d’exposition aux radiations pour les habitants des zones contaminées perdurent.
Or, si les tests de radioactivité sur les produits alimentaires dans les zones contaminées ont été réduits voire interrompus par les gouvernements, les habitants continuent pourtant de manger et de boire des produits contenant des taux dangereusement élevés de radioactivité. Vous pouvez les soutenir ici (EN).
La France surexposée au risque nucléaire
La catastrophe de Tchernobyl s’est produite dans un environnement relativement peu peuplé. Mais qu’en serait-il en France, où 58 réacteurs minent le territoire, dont une bonne partie à proximité de zones densément peuplées ? Certes, les préfectures ont prévu des procédures d’évacuation et la distribution de comprimés d’iode en cas d’accident. Et après ? Outre qu’un déplacement massif de population entraînerait toutes sortes d’incident et qu’à peu près personne sur le territoire ne sait comment se comporter en cas d’alerte (savez-vous où trouver votre comprimé d’iode ?), des territoires entiers seraient contaminés pour des siècles. Selon le type d’accident et l’emplacement de la centrale affectée, le Luxembourg, la Belgique ou la Suisse pourraient être rayés de la carte.
Or, si les normes de sécurité ont été réévaluées suite à Tchernobyl et Fukushima, la situation reste délicate en France. D’abord parce que le parc nucléaire français est très vieillissant. Et les centrales s’usent. Ensuite parce qu’EDF, avec la complicité de l’Etat français, s’obstine à poursuivre sa fuite en avant dans le nucléaire, à vouloir prolonger les centrales existantes (c’est le fameux grand carénage – qu’EDF n’a d’ailleurs pas l’argent suffisant pour mener à bien) au lieu de planifier une sortie ordonnée. Et parce que la situation économique d’EDF, liée à la résorption du marché international du nucléaire et à la baisse du coût de l’électricité, oblige l’entreprise à des plans d’austérité : près de 3 000 licenciements ont été annoncés, à parc constant. Evidemment faire pression sur le facteur humain, c’est entacher lourdement la culture de sûreté dans la filière nucléaire.
Le président de l’Agence de sûreté du nucléaire française (ASN), Pierre-Franck Chevet, vient d’ailleurs de déclarer au Monde : “Un accident majeur, comme ceux de Tchernobyl ou de Fukushima, ne peut être exclu nulle part dans le monde, y compris en Europe. Nous devons en tirer les conséquences. Fukushima a eu un impact radiologique dans un rayon de 100 km. Si vous tracez un cercle de 100 km de rayon autour des centrales nucléaires d’Europe, vous constatez que, pour beaucoup d’entre elles, plusieurs pays sont concernés. Cela nécessite de nous coordonner et d’adopter des règles communes de protection des populations, ce qui n’est pas encore le cas.” Le plus simple et le plus sûr reste encore d’en finir avec ces risques inconsidérés en sortant définitivement et le plus vite possible du poison atomique.