Mise à jour, le 26 mai 2020 : Sur la base, notamment, du travail d’analyse et de modélisation réalisé par le Réseau Action Climat, nous souhaitons aujourd’hui préciser qu’il nous semble important de viser comme première étape la fermeture des lignes pour lesquelles une alternative en train est disponible en moins de 6h, car cela permettrait de maximiser le bénéfice climat d’une telle mesure, en incluant notamment les 5 lignes intérieures les plus émettrices en CO2. En parallèle, il est essentiel de mettre en place un plan de relance du secteur ferroviaire et de développement du train de jour et de nuit, pour que la fermeture de vols courts, domestiques et européens, puisse être étendue progressivement.
Dans la foulée de l’annonce faite par Bruno Le Maire qui, par la même occasion, s’était efforcé de répéter qu’il ne s’agissait pas d’un chèque en blanc signé à Air France, Elisabeth Borne a précisé les “conditions” écologiques (qui portent bien mal leur nom) posées à Air France pour bénéficier des sept milliards d’euros d’aides. Globalement, les annonces concernant la réduction de l’impact climatique de la compagnie aérienne sont floues et sans ambition. Nous les décryptons ici.
1. Utiliser des agrocarburants ?
Dans une interview à Europe 1, Elisabeth Borne a précisé qu’elle avait eu un entretien avec les dirigeants d’Air France lors duquel l’utilisation des agrocarburants avait été présentée comme un engagement écologique par la compagnie. Sauf que c’est loin d’être le cas.
D’une part, à ce jour, il n’existe aucune technologie dite “avancée” permettant de prendre la relève des carburants conventionnels en termes de volume. La crise climatique est déjà en cours et nous n’avons pas le temps d’attendre qu’une telle technologie se développe.
D’autre part, les agrocarburants à base d’huile de palme, sur lesquels lorgne l’aviation, sont responsables d’une déforestation massive en Amérique du Sud et en Indonésie, un véritable cauchemar pour le climat.
En plus de cela, présenter les agrocarburants comme une solution, c’est continuer à faire le jeu de Total. Au cours de l’année passée, le pétrolier a fait un lobbying intense auprès du gouvernement pour maintenir la niche fiscale sur l’huile de palme et faire en sorte que sa bioraffinerie de la Mède soit rentable. Il compte bien sur le secteur aérien pour y parvenir. Total + Air France = combo gagnant pour la déforestation !
2. Réduire de 50% les émissions de CO2 sur les vols intérieurs d’ici 2024 ?
Sans mauvais jeu de mots, cela ne vole pas haut. La suppression des vols intérieurs là où une alternative en train existe est une mesure évidente et simple avec un impact positif direct pour le climat. À ce jour, le gouvernement n’en est qu’au stade de la réflexion et envisagerait uniquement la fin des vols lorsqu’une alternative en train de 2h30 ou moins existe. Or, de nombreux vols où l’alternative ferroviaire est supérieure à 2h30 restent des aberrations climatiques, comme Paris-Marseille (3 heures en train).
L’urgence climatique nécessite d’être plus ambitieux, beaucoup plus ambitieux, en inscrivant un tel engagement dans la loi pour que cela s’impose aux compagnies aériennes, dont les low-cost, plutôt que de s’en remettre à leur bon vouloir. Le gouvernement doit atterrir !
Une solution pourrait être de commencer par cibler à minima les vols intérieurs pour lesquels existe une alternative en train de 4 heures ou moins, avec pour objectif d’étendre la suppression à tous les vols intérieurs (sauf lorsqu’il y a une réelle utilité sociale et sanitaire, par exemple pour du transport de matériel de soin). En parallèle, il est nécessaire de concentrer les investissements et l’argent public sur le développement des alternatives, en gardant en tête la renaissance indispensable des trains de nuit, qui permettront de s’affranchir de certains vols européens.
Les vols intérieurs Air France sont un gouffre financier pour la compagnie, en plus d’être des aberrations climatiques. Benjamin Smith, le PDG d’Air France, parle de restructurer le réseau de vols intérieurs, en les transférant (en partie ?) sur la compagnie low cost Transavia. Il ne faut pas les transférer à une autre compagnie, il faut les supprimer !
Pourtant, dès le 11 mai, ce sont trois lignes pour lesquelles une alternative ferroviaire existe qui vont rouvrir : Paris-Bordeaux, Paris-Brest, Paris-Montpellier. Pour la compagnie qui doit, d’après Bruno Le Maire, devenir “la plus respectueuse de l’environnement de la planète” avec ses sept milliards d’euros, c’est mal embarqué.
3. Compenser les émissions carbone d’Air France ?
La compensation des émissions est un permis de polluer. Planter des arbres pour compenser des émissions carbone faramineuses ne sauvera pas le climat, encore moins si Air France contribue à la déforestation en se tournant vers des agrocarburants à base d’huile de palme. C’est le serpent qui se mord la queue. Il est illusoire de croire que c’est une solution viable : nous n’avons pas le temps d’attendre que les arbres plantés aient atteint la maturité nécessaire pour absorber et compenser les émissions de CO2 d’Air France.
Le véritable enjeu est de réduire les émissions carbone. En misant sur la compensation, Air France et le gouvernement ne font que mettre la poussière sous le tapis. Jusqu’ici, ni l’un ni l’autre n’ont parlé clairement de réduction du trafic aérien. Or il a été constaté, crise après crise, que ce dernier repartait à la hausse à chaque fois. Sans décision forte ni contrainte légale à ce sujet, c’est ce qui risque de se produire une fois le confinement terminé.
4. Renouveler la flotte d’avions d’Air France ?
En mettant en avant cette condition, la ministre de la Transition écologique et solidaire ne fait qu’enfoncer une porte ouverte. Cet engagement d’Air France avait déjà été acté bien avant la crise, et il est de toute façon nécessaire en termes de sécurité et de coûts d’exploitation pour la compagnie.
Alors, que peut-on faire ?
Toutes ces contreparties (qui n’en sont donc pas vraiment) ne sont inscrites nulle part dans la loi. Il n’y a aucune dimension contraignante ou piste réglementaire à ce stade, aucun moyen de sanction prévu en cas de non-respect de ces conditions, aucun contrôle démocratique sur la définition et le respect de ces engagements. Le gouvernement s’en remet à la bonne volonté d’Air France. Alors oui, il est nécessaire de soutenir cette entreprise qui représente 350 000 emplois, pour permettre d’assurer le maintien de l’emploi et les revenus des salarié·es impactés, mais pas en sacrifiant le climat.
La responsabilité du gouvernement et de l’Etat est lourdement engagée dans ce contexte. C’est à lui de poser le cadre pour nous sortir d’un système de transport polluant et dépendant des énergies fossiles. Cela passe par une réglementation, une régulation et une réduction du trafic aérien, entre autres. Les mesures sont connues et sont portées depuis de nombreuses années par les organisations de la société civile. Il s’agit notamment de prévoir :
- la fin des avantages fiscaux injustes dont bénéficie le secteur aérien,
- un investissement massif dans les alternatives comme le train de jour et de nuit,
- l’abandon des projets d’extension d’aéroports qui induisent une croissance du trafic,
- la définition d’une trajectoire contraignante de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur aérien, en ligne avec la neutralité carbone,
- l’interdiction des vols intérieurs qui sont une aberration climatique alors que des alternatives existent.
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