Qu’est-ce que le TTIP ?
Le Transatlantic Trade and Investment Partnership, ou Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, est un accord de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis. Les négociations se sont déroulées secrètement pendant des années et les conséquences pourraient être énormes. L’accord couvrirait environ la moitié du PIB mondial, un tiers des flux commerciaux mondiaux, et affecterait à peu près tous les secteurs de l’économie, de l’agriculture au textile en passant par l’informatique et l’automobile.
En pratique, que va changer le TTIP ?
L’objectif du TTIP est de supprimer des prétendues « barrières », ce qui permettrait de stimuler les échanges commerciaux. On pourrait par exemple compter au nombre de ces barrières les normes sanitaires et de sécurité, les lois sur l’étiquetage ou les procédés de production respectueux de l’environnement. Le TTIP pourrait modifier, voire supprimer, ces mesures de protection.
Mais moins c’est cher, mieux c’est, non ?
Dans un sens, oui, mais disons que vous obtenez ce pour quoi vous payez.
L’UE interdit par exemple l’importation de viande américaine issue d’animaux traités aux hormones de croissance, une pratique mise en relation avec l’apparition de certains cancers et autres pathologies. Pourtant, l’agro-industrie américaine voit en ces règlementations un obstacle aux échanges commerciaux. Cela signifie que le TTIP pourrait potentiellement autoriser bien plus d’aliments génétiquement modifiés en Europe, et ses citoyens pourraient bientôt manger des fruits et légumes contenant des niveaux de résidus de pesticides bien plus élevés, de la viande porcine ou bovine traitée aux hormones de croissance ou encore du poulet traité au chlore. Les producteurs européens affronteraient alors en vain les importations bon marché.
Pourquoi ne pas désinfecter les poulets à l’eau et au chlore ?
Outre le fait que c’est le sort que l’on réserve habituellement à nos toilettes, le chlore est une substance cancérigène reconnue qui présente de graves risques pour la santé. De plus, aux Etats-Unis, la viande est fréquemment traitée avec des substances antibactériennes présentant des risques environnementaux et sanitaires supplémentaires.
L’ombre du TTIP
Du point de vue de la protection du consommateur et de l’environnement, quatre points sont sources de sérieuses inquiétudes.
Le profit avant la planète :
Aucun des documents du TTIP divulgués par Greenpeace Pays-Bas ne fait référence à des mesures de protection de l’environnement entérinées de longue date telles que la règle des « Exceptions Générales », une règlementation de presque 70 ans qui autorise les nations à réguler les échanges commerciaux « pour protéger la santé et la vie des personnes, des animaux ou des végétaux ». Cette omission laisse à penser que ce que les deux parties recherchent avant tout est le profit, le profit aux dépens de notre santé et de l’environnement.
Le TTIP fera entrave à la lutte contre les changements climatiques :
L’année dernière, à Paris, les chefs d’Etat du monde entier ont reconnu l’urgence et le besoin de maintenir l’augmentation des températures en dessous de 1,5°C et les échanges commerciaux devraient faire partie intégrante de la lutte contre les changements climatiques. Pourtant, aucune mesure de protection du climat n’apparaît dans les textes divulgués par Greenpeace Pays-Bas. Ainsi, les accords commerciaux excluraient toute possibilité de régulation des importations de combustibles à forte intensité carbone tels que le pétrole issu des sables bitumeux.
Gérer le risque au lieu de l’éviter :
Il vaut mieux éviter le risque que le gérer, n’est-ce pas ? En 2000, la Commission Européenne a adopté le « principe de précaution ». Celui-ci exige des industriels qu’ils prouvent que leurs produits sont sans danger. Malgré cela, aucune mention n’est faite du « principe de précaution » dans les textes du TTIP. Les Etats-Unis y demandent seulement l’emploi d’une approche fondée sur la gestion du risque. Par exemple, si l’organisme de régulation européen se montre défavorable à l’introduction de pesticides controversés et souhaite prendre des mesures préventives, l’absence du principe de précaution pourrait porter atteinte à cette initiative.
Les grosses sociétés en priorité :
En cas d’inquiétudes concernant les impacts du TTIP sur l’environnement et sur la protection des consommateurs, que pourriez-vous faire ? En réalité, très peu de choses, les industriels disposant d’une voix privilégiée dans les négociations. Les documents divulgués mentionnent à plusieurs reprises le besoin d’une consultation accrue auprès des industriels. De la sorte, l’UE donne une grande influence au secteur privé tout en écartant la population des négociations tenues secrètes.
CETA : l’autre poison
Les négociations autour du CETA, l’Accord Economique et Commercial Global entre l’UE et le Canada, ont pris fin en 2014, mais l’accord n’a pas encore été ratifié. Le CETA est souvent décrit comme une ébauche du TTIP. Pourtant, le TTIP couvrira plus de secteurs et ouvrira la porte à des changements plus radicaux encore que ceux autorisés par l’accord entre l’UE et le Canada. La principale inquiétude concernant le CETA tient au fait qu’il pourrait faire office de cheval de Troie, facilitant la mise en place du TTIP.
Le CETA prévoit la mise en place d’un mécanisme controversé (que les négociateurs aimeraient inclure au TTIP) permettant aux sociétés étrangères de poursuivre un Etat si celles-ci estiment que des mesures environnementales ou de santé publique portent injustement atteinte à leurs investissements. Ce mécanisme, connu sous le nom de Mécanisme de protection des investissements (ICS), est une version légèrement modifiée du Mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) privilégié par les négociateurs américains.
L’ICS est foncièrement très proche de l’ISDS. Il institutionnalise un système judiciaire destiné aux seuls investisseurs étrangers contournant les juridictions nationales. L’ICS créerait un système judiciaire parallèle destiné à la protection des intérêts financiers privés. Ainsi, toute société américaine implantée au Canada pourrait théoriquement, grâce à l’ICS, poursuivre un Etat européen, et ce, même en l’absence d’ICS, d’ISDS ou de mécanismes similaires dans le texte du TTIP.
Le CETA représente également une sérieuse menace pour l’agriculture et l’alimentation. D’après un rapport de TestBiotech, l’accord pourrait permettre l’introduction d’organismes génétiquement modifiés en Europe et rendrait alors impossible le maintien des normes de sécurité sanitaire des aliments européennes. En l’état, le CETA écarte la question du libre choix des consommateurs et des mesures de précaution protégeant les citoyens et l’environnement.
ICS et ISDS dans la pratique
En 2015, parmi les mesures américaines de lutte contre les changements climatiques, Obama a décidé d’interrompre la construction de l’oléoduc Keystone destiné au transport de pétrole issu des sables bitumeux (l’un des combustibles les plus polluants) canadiens. L’entreprise exportatrice a poursuivi l’administration américaine devant le tribunal d’arbitrage de l’ISDS prévu par l’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna) conclu entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.
En Europe, la société suédoise d’énergie Vattenfall a poursuivi l’Etat allemand sous l’égide de la charte énergétique européenne (un traité international protégeant les investissements liés à l’énergie) après que celui-ci ait annoncé son désengagement de l’énergie nucléaire.