Dans le texte de l’Accord de Paris se trouve le paragraphe suivant :
« L’objectif de l’Accord de Paris est de renforcer la réponse globale à la menace du changement climatique (…) en contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. »
Pour faire court, ce que ce passage signifie, c’est qu’il faut être plus ambitieux pour limiter le réchauffement climatique. Et qu’il faut tout particulièrement s’appliquer à limiter le réchauffement à 1,5 °C, et non à 2 °C.
Si la différence entre 1,5 °C et 2 °C peut sembler dérisoire, ce demi degré est en fait lourd de conséquences. C’est ce qu’explique l’infographie ci-dessous en comparant ce que cette différence implique en matière de vagues de chaleur, de disponibilité des ressources d’eau douce, de fortes pluies, de rendements agricoles, de montée du niveau des océans et de blanchiment des coraux.
Depuis les discussions de la COP21 en 2015, les scientifiques ont étudié la cible de 1,5 °C. Les questions sont nombreuses : sous quel délai nous devons cesser de brûler du charbon et du pétrole ? Combien de fermes éoliennes et solaires nous devons construire ? Sous combien de temps devons-nous basculer d’un système où les voitures gourmandes en énergies fossiles sont omniprésentes à un système de transport radicalement moins émetteur de gaz à effet de serre ?
Une nouvelle étude, commandée par Greenpeace et réalisée par le Centre aérospatial allemand (DLR), s’attache à répondre à cette dernière question : à quelle date devons-nous mettre un terme à la vente de véhicules alimentés avec des énergies fossiles ?
La réponse ? Très bientôt.
Le dilemme de la voiture
Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, tous les secteurs industriels doivent engager des changements radicaux (transports, énergie, agriculture, industrie, bâtiments…).
Si faire en sorte que chaque secteur change ses pratiques peut sembler irréalisable, il faut rappeler que cette transition est déjà en cours pour certains d’entre eux.
Prenez le secteur de l’électricité, où des milliers de fermes éoliennes et solaires ont été installées ces dix dernières années. Au point que l’éolien, le solaire et la biomasse représentent aujourd’hui plus de 20 % de la production d’électricité en Europe (en 2010, c’était moins de 10%).
Ça, c’est la bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que le tableau est un peu plus sombre quand on regarde le secteur des transports.
Le secteur des transports est le seul secteur majeur qui a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter ces dernières années, avec des ventes de voitures à la hausse et une demande pour des véhicules plus gros (les fameux SUV) qui aggrave le problème.
Alors que les constructeurs automobiles sont à la manoeuvre pour saboter les plans de réduction des émissions, certains pays, comme le Royaume-Uni ou la France, ont fait des annonces programmant la fin de la vente des véhicules alimentés aux énergies fossiles d’ici 2040.
Mais l’année 2018, ses records de chaleurs et ses feux de forêts posent la question suivante : peut-on vraiment attendre si longtemps pour se confronter au problème ?
2028 : la date limite
Pour répondre à cette question, les scientifiques allemands de l’institut DLR ont commencé par envisager quel pourrait être le scénario d’évolution du secteur automobile si aucune nouvelle loi ou réglementation n’était promulguée pour forcer les constructeurs à changer. Selon leurs prédictions, même un tel scénario verrait les ventes de voitures diesel drastiquement chuter, notamment à cause des inquiétudes grandissantes de l’opinion publique sur les conséquences sanitaires du diesel.
L’équipe de scientifiques a ensuite calculé le “budget carbone” qui peut être attribué à l’industrie du transport, devant être compris comme la quantité de CO2 pouvant être émise par ce secteur tout en limitant le réchauffement à un certain seuil de température.
Ce qu’ils en concluent, c’est que sans cadre pour forcer les industriels à changer, la vitesse à laquelle les véhicules carburant aux énergies fossiles ne seront plus en circulation sera loin d’être suffisante pour empêcher le secteur d’exploser son budget carbone.
Les deux graphiques ci-dessous résument la question. Celui du haut montre comment les scientifiques anticipent l’évolution du secteur si jamais aucune action forte n’est entreprise. Le second graphique montre à quelle vitesse il faut mettre fin à la vente des moteurs diesel, essence et hybrides si nous voulons avoir des chances de limiter le réchauffement à 1,5 °C.
Ce second graphique montre que la vente de ces véhicules fortement émetteurs doit atteindre zéro autour de l’année 2028. En bref, nous avons dix ans devant nous pour mettre un terme à la vente des véhicules essence, diesel et hybrides.
C’est le moment de préciser que cette étude ne prend en compte que l’industrie automobile en Europe et pas les véhicules produits et vendus en Asie et sur les continents américains. La prise en compte de ces régions nécessitera de plus amples recherches. Et il est très possible que certains pays doivent se débarrasser des véhicules alimentés avec des énergies fossiles encore plus rapidement.
Quand certains pays montrent la voie à suivre
Un changement aussi radical ne se fera pas facilement, mais la bonne nouvelle est que certains pays ont déjà ouvert la voie. Comment ? En réduisant la place de la voiture, en accélérant la fin des véhicules diesel et essence, et en misant sur le vélo et les zones piétonnes.
C’est par exemple le cas de la Norvège. Les dispositifs encourageant l’achat de véhicules électriques ont tellement de succès que plus d’un tiers des nouveaux véhicules vendus sont désormais électriques. La Norvège a également prévu d’interdire la vente de nouveaux véhicules essence et diesel à partir de 2025. C’est 15 ans plus tôt qu’en France et au Royaume-Uni.
En parallèle, pour réduire la pollution de l’air, la capitale scandinave a créé des zones sans voitures pour encourager la marche et l’utilisation du vélo.
La Norvège n’est pas parfaite et exporte encore beaucoup trop de pétrole et de gaz. Mais si plus de pays suivaient son exemple en ce qui concerne la fin des véhicules polluants, nous serions bien plus efficaces dans notre lutte contre le changement climatique.
Emmanuel Macron et son gouvernement avaient fixé l’échéance de fin de vente des véhicules diesel et essence à 2040 : c’est donc beaucoup trop tard !
Les débats qui ont actuellement cours entre le Parlement et les gouvernements européens sur les nouvelles normes de CO2 pour les voitures et les camionnettes pour la période post-2020 sont aussi la démonstration de l’immobilisme de nos responsables politiques. Les intérêts privés des constructeurs automobiles prennent encore trop souvent le pas sur l’intérêt général.
La France devrait assumer une position ambitieuse dans ce cadre, alors qu’elle est déjà en retard de plus de 10% sur ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre dans le secteur des transports.
Les gouvernements européens, et en particulier le gouvernement français, doivent se fixer un cap pour la fin de vente des voitures alimentées aux énergies fossiles qui soit cohérent avec l’Accord de Paris.
Nous devons penser bien au-delà des voitures
Réduire la pollution liée aux transports ne peut pas être qu’une question de choix entre les voitures alimentées aux énergies fossiles et celles alimentées à l’électricité. Car les voitures électriques ont un coût pour l’environnement et ont également un impact climatique. De plus, elles ne pourront faire partie de la solution qu’à certaines conditions qui ne sont aujourd’hui pas remplies, comme la transition vers une électricité 100% énergies renouvelables.
Une vraie stratégie de long terme pour les transports doit aussi prendre en compte la construction de plus de pistes cyclables et d’infrastructures encourageant l’utilisation du vélo, pour que le plus grand nombre puisse faire à vélo des trajets aujourd’hui effectués en voiture. Il s’agit aussi d’améliorer l’offre de transports en commun et de les rendre plus abordables, et d’augmenter ainsi le nombre de trajets réalisés en bus et en train. Il s’agit aussi d’investir dans le partage de véhicules de sorte à réduire la quantité de véhicules sur la route.
Le résultat serait une pression réduite sur les ressources naturelles, puisque moins de voitures serait également synonyme d’une baisse de la demande en acier et en plastique pour la construction de nouveaux véhicules, ainsi qu’une baisse de la demande sur les ressources nécessaires aux véhicules électriques.
Ce serait aussi un chemin plus direct vers un air plus sain, avec plus de véhicules polluants retirés des routes plus tôt.