Ce furent deux semaines intenses ; deux semaines qui ont paru durer des mois, deux semaines avec des hauts et des bas vertigineux, des moments où nous avons pu ressentir que nous ébranlions les fondations de l’industrie des combustibles fossiles et d’autres où nos larmes nous étouffaient tant nous connaissions l’ampleur des enjeux pour tellement, tellement de personnes sur la planète.
Les COP constituent un moment à part, une plateforme où les dirigeants et les médias du monde entier se consacrent à l’urgence climatique. La COP26 était un événement majeur, les pays s’étant engagés à en faire plus en amont de cet événement. C’était donc le moment ou jamais de jeter toutes nos forces dans la bataille en mettant en avant nos campagnes phares. Au plus haut niveau, nous avons œuvré à dénoncer la toxicité de l’industrie des énergies fossiles afin qu’elle sorte diminuée et affaiblie de la COP ; nous voulions que la justice climatique pour les plus vulnérables de la planète se concrétise par des décisions et des actions bien réelles.
Notre fabuleuse équipe COP, composée de personnes des quatre coins du globe et issues de secteurs différents (communication, campagne, politique, numérique, action, équipage de bateau), connaissait nos objectifs, les personnes qu’il fallait convaincre – celles qui faisaient obstacle et celles qui étaient réduites au silence – et les personnes à qui il fallait donner de la voix. Et notre équipe n’a rien lâché. Certains membres étaient sur place à Glasgow, d’autres sur le Rainbow Warrior, d’autres encore se sont levé·es au milieu de la nuit, en Chine ou au Brésil, pour contribuer depuis leur domicile à nous rendre plus stratégiques, à affûter nos arguments et à renforcer notre détermination et notre audace. Greenpeace Royaume-Uni a apporté un soutien considérable sur un nombre incalculable de fronts, pour que Greenpeace puisse être ce que le monde attendait d’elle, tandis que le noyau dur de l’équipe Greenpeace International-COP a fourni un travail exceptionnel en nous préparant et en nous accompagnant tous et toutes, du début à la fin. En fait, la cohésion et la confiance qui ont pu être bâties sont le fruit de l’intense travail de préparation réalisé en amont de la COP, lorsque l’équipe de préparation se réunissait pour définir les objectifs et l’approche stratégique à adopter.
En résumé, nos objectifs pour la COP étaient : d’envoyer un message depuis la Conférence à Glasgow signalant que les combustibles fossiles sont sur le déclin, en obtenant que les textes actent concrètement de leur retrait progressif ; de booster les ambitions des pays pour leurs engagements au niveau national (les contributions nationalement déterminées) avant et pendant la COP, mais aussi au-delà, jusqu’à ce que les écarts pour atteindre l’objectif de 1,5°C soient comblés ; d’exposer au grand jour l’arnaque au greenwashing des compensations carbone orchestrée par les entreprises et les États, de travailler main dans la main avec les populations autochtones, les jeunes et les pays vulnérables au changement climatique ; et d’obliger les pays développés à enfin admettre leurs responsabilités vis-à-vis des nations les plus pauvres de la planète en matière de financement, notamment de l’adaptation au changement climatique, mais aussi des pertes et des dommages auxquels elles font déjà face.
Sur chacun de ces fronts, nous avons marqué quelques points. Mais les avancées obtenues à l’échelle des négociations sont très insuffisantes à l’échelle du monde réel.. C’est pourquoi nous avons critiqué avec virulence les résultats obtenus, mais restons déterminé·ees à poursuivre le combat et à porter l’espoir qu’il est toujours possible de conserver l’objectif de 1,5°C en ligne de mire.
Au cours de la première semaine, il s’agissait avant tout d’exposer nos attentes, de désigner les pays qui font obstacle (Arabie saoudite, Australie, Brésil, États-Unis) et d’utiliser les différentes « annonces » accompagnant les engagements volontaires des entreprises et des États pour dénoncer les arnaques au greenwashing. Il s’agissait aussi de faire de Greenpeace l’organisation de référence incontournable pour tous les grands médias du monde, sachant que cela nous donnerait un avantage considérable et nous permettrait de témoigner de ce qui est réellement advenu.
Que ce soit avec le Rainbow Warrior, qui accueillait à son bord quatre jeunes militants et militantes du mouvement Fridays for Future, issu·es de pays particulièrement affectés par le changement climatique, pour mettre en lumière celles et ceux qui DEVRAIENT être écouté·es lors de cette COP ; avec l’interruption d’un événement annexe sur les compensations volontaires, où nous avons mis face à la réalité son leader Mark Carney, l’Envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique (grâce à une action menée dans la salle des négociations et à la voix de Greta Thunberg s’élevant contre le greenwashing alors qu’elle quittait la pièce) ; avec le décryptage des annonces faites par le Royaume-Uni en matière d’arbres, de charbon, de financement et de voitures ; ou encore avec les relations tissées et la confiance bâtie avec les délégations des pays afin d’articuler nos objectifs : nous avons réussi, avec nos alliés, à mettre en difficulté les pays qui freinent toute avancée. Nous y avons assisté de nos yeux : un prince saoudien mis au pied du mur par les chaînes Channel 4 news et Sky News sur la foi de nos accusations, lui reprochant de mentir sur la véritable responsabilité des combustibles fossiles dans le changement climatique ; les entreprises et instigateurs de l’arnaque des compensations carbone qui se défendent désespérément auprès du Financial Times de pratiquer le greenwashing ; et notre tribune publiée dans The Guardian sur l’arnaque des compensations.
Ensuite, la deuxième semaine a été consacrée aux négociations à proprement parler : introduire et conserver dans le texte les éléments de langage sur les combustibles fossiles, car même si nous savions ces derniers affaiblis, le fait de les mentionner noir sur blanc pour la première fois dans un texte de la CCNUCC enverrait un signal fort ; veiller à ce que les pays n’aient pas cinq ans pour renforcer leurs objectifs, mais un an seulement, et unir notre voix à celle des pays et des populations les plus vulnérables en pesant de tout notre poids sur les États-Unis et l’UE afin qu’ils prennent leurs responsabilités en matière de financement et qu’ils tiennent leurs promesses.
À ce moment, l’équipe qui fonctionnait déjà à plein régime, a encore franchi un palier ; l’équipe numérique a envoyé des dizaines de milliers d’e-mails au Président de la COP du Royaume-Uni afin que les combustibles fossiles restent présents dans le texte, invitant ainsi la voix des populations dans les négociations ; les équipes communication et politique ont apporté notre soutien à la conférence de presse du Forum de la vulnérabilité climatique que nous avons aidé à mettre sur pied, et que les organisateurs de la COP ont mise à la porte à grand bruit ; et nous avons organisé, en 3 heures à peine, un point presse avec le ministre des Tuvalu et les représentant·es du Ghana et de l’Éthiopie, aux côtés de jeunes venu·es des États-Unis et d’Afrique ainsi que du Président du Sierra Club, pour dénoncer le manège des États-Unis à Glasgow et appeler le Président Biden à se montrer à la hauteur de ce moment en accordant aux populations les plus vulnérables ce dont elles ont besoin. Cela a provoqué une réaction immédiate de John Kerry, l’envoyé spécial du président pour le climat, et, au bout d’un certain temps, les États-Unis ont revu leur position (même si c’est de peu, en faveur du soutien aux pays vulnérables – il y a tant à faire encore en la matière, alors que la COP se tiendra en Égypte l’année prochaine). Nous avons en outre mené une action à l’intérieur du centre de conférence, ce qui aurait pu nous valoir une expulsion des négociations par les Nations unies, en hissant à l’aide de ballons une banderole « Pas à vendre » devant un globe terrestre gonflable ; les images ont été relayées par des médias influents. C’est Anthony Perrett, l’un des « Arctic 30 », arrivé à la dernière minute pour l’occasion, qui a coordonné cette action.
Enfin, nous sommes arrivé·es sur la fin de partie ; nous avons poussé la présidence britannique de la COP à renforcer le texte au lieu de l’affaiblir (à ce stade, les délégations savaient que l’opinion de Greenpeace était toujours consultée, notre influence était donc établie) ; dénoncé les tentatives de groupes de pression pro compensation carbone d’amoindrir davantage le texte sur les échanges de carbone ; et exposé les faits aux principaux journaux d’information du monde entier via nos commentaires sur WhatsApp et le chat d’analyse que nous avons mis en place dans la salle de la dernière assemblée plénière. Nous avons contribué en même temps à écrire et à dire l’histoire.
Pour la première fois, les énergies fossiles sont pointées du doigt dans un texte de COP, sans pour autant que la communauté internationale s’engage encore fermement à en sortir. Au final, comme nous l’avons dit, c’est un résultat modeste, c’est un résultat médiocre et il permet tout juste de ne pas perdre de vue les 1,5°C. Il reste tant à faire, mais pendant un court instant, nous devrions nous asseoir et sourire ne serait-ce qu’une seconde en pensant que l’industrie des combustibles fossiles est désormais sur la sellette y compris au niveau diplomatique (certes, elle essayera d’en tirer parti, mais c’est une autre histoire).
Du point de vue de Greenpeace, je ne pourrais pas être plus reconnaissante ni plus fière de ce que l’équipe a réalisé à Glasgow ; une équipe, une Greenpeace, travaillant à l’unisson depuis les quatre coins du globe pour atteindre un ensemble d’objectifs clairs, ambitieux et emblématiques. Nous en sortons tous été toutes exténué·es, mais aussi inspiré·es, renforcé·es et revigoré·es. Nous ne nous arrêterons pas là, nous allons travailler avec nos alliés pour parvenir à la justice climatique et ne pas perdre de vue l’objectif des 1,5°C. Nous n’avons pas le choix, pour toutes les raisons que vous connaissez déjà, et pour lesquelles vous combattez au quotidien. Allons de l’avant !
Jennifer Morgan, directrice générale de Greenpeace International