La France et l’Europe dans son ensemble sont aujourd’hui au cœur d’une crise énergétique mondiale majeure. Le conflit ukrainien mais aussi plusieurs décennies d’inaction face à la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et la surconsommation rendent la situation particulièrement tendue. Au-delà des risques de coupures ou de pénuries, le continent européen est aujourd’hui confronté à des défis sociaux, économiques, géopolitiques et environnementaux immenses. Les réponses qui y seront apportées auront un impact très concret sur notre quotidien et notre avenir. Voici plusieurs pistes pour y faire face, de toute urgence.
- Économiser l’énergie dans les bâtiments et l’industrie
- Économiser l’énergie dans les transports
- Aider les ménages vulnérables à mieux se loger, se nourrir et se chauffer
- Taxer les pollueurs et cesser de financer la guerre
Cette crise énergétique mondiale d’une ampleur inédite nécessite un niveau d’intervention sans précédent de la part des gouvernements européens et de l’Union européenne, 3e plus gros émetteur de gaz à effet de serre dans le monde. Il est urgent que l’Europe réduise sa consommation de gaz, de pétrole, de charbon et d’électricité très rapidement. Et cela doit se faire de façon durable, sans appauvrir les populations vulnérables déjà durement touchées par les prix de l’énergie mais aussi par les conséquences du changement climatique. Cela implique des mesures fortes de redistribution, de soutien aux ménages et de justice sociale et environnementale.
L’Europe ne doit pas seulement sortir de sa dépendance aux industries pétrolière, gazière et nucléaire russes. Elle doit aussi cesser de promouvoir tout nouveau projet gazier et pétrolier dans d’autres régions du monde, notamment au Moyen-Orient et en Afrique. Les nouveaux projets ou accords gaziers et pétroliers représentent des menaces considérables pour les populations des pays concernés et pour le climat mondial dans son ensemble.
À long terme, l’Union européenne doit renforcer son indépendance énergétique, en s’appuyant sur des mesures de sobriété et un système basé à 100% sur les énergies renouvelables, que ce soit pour l’électricité, le chauffage, l’industrie ou les transports… Tout cela ne se fera certainement pas en un claquement de doigt. D’où l’importance de mettre en œuvre un ensemble de mesures rapides, applicables dès maintenant. En voici plusieurs, dans quatre grands domaines.
Économiser l’énergie dans les bâtiments et l’industrie
Tout le monde peut contribuer à réduire la consommation de gaz, de fioul, de charbon et d’électricité, notamment par des actions individuelles. Mais les plus gros consommateurs industriels doivent faire les efforts les plus conséquents. Cela peut passer par des mesures contraignantes, la priorité étant d’éviter le recours aux énergies fossiles.
Quelques mesures qui peuvent être encouragées ou rendues obligatoires dans les bâtiments collectifs et sites industriels :
- Réduire en priorité les usages industriels les plus fortement consommateurs et non essentiels.
- Réduire les niveaux de chauffage et de climatisation à l’intérieur des bâtiments.
- Couper la ventilation et éteindre les lumières quand elles ne sont pas utiles (notamment la nuit, quand les bureaux ou magasins sont fermés…).
- Mettre en place des détecteurs de présence, des éclairages automatiques et généraliser les ampoules à économie d’énergie (encore trop rares dans les entreprises).
- Piloter la demande, en décalant les usages sur des heures creuses.
- Utiliser moins d’eau chaude.
- Quand nécessaire, remplacer les équipements par des systèmes moins énergivores.
Ces mesures, la plupart des citoyennes et citoyens européens les connaissent et ont d’ailleurs déjà commencé à les mettre en pratique. Elles sont parfois encouragées par les gouvernements (comme c’est le cas en France, avec la fameuse campagne de communication du gouvernement « j’éteins, je baisse, je décale ») mais restent souvent focalisées sur les individus, occultant le rôle capital des industries les plus consommatrices d’énergie.
On sait pourtant qu’il est possible de réduire massivement la consommation d’énergie en concentrant les efforts sur les plus gros usagers industriels. Les Pays-Bas ont par exemple réussi à réduire de 25% leur consommation de gaz au cours du 1er semestre 2022 par rapport à 2021, et de plus de 30% dans les industries énergivores. La crise énergétique nécessite des mesures extraordinaires qui doivent concerner tout le monde, et en priorité les plus gros consommateurs, sans laisser toute la responsabilité peser uniquement sur les individus.
Économiser l’énergie dans les transports
Secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre, les transports sont aujourd’hui encore très dépendants des énergies fossiles. Des leviers considérables pour réduire cette dépendance et nos émissions de gaz à effet de serre existent pourtant :
- Mettre en place un « ticket climat », des forfaits uniques ou des tarifs bas, pour les transports publics (à l’instar du forfait mensuel à 9€ mis en place l’été dernier en Allemagne).
- Investir massivement dans le développement des transports collectifs (transport en commun et transport ferroviaire) et des mobilités actives comme le vélo.
- Réduire le trafic aérien, notamment en interdisant les vols courts quand une alternative raisonnable en train existe. La France a adopté une mesure dans ce sens, mais elle est loin d’être suffisante.
- Interdire les jets privés (sauf pour certains usages très précis, tels que pour des raisons sanitaires ou vitales).
- Abaisser les limitations de vitesse (la Convention citoyenne sur le climat proposait par exemple de réduire la vitesse maximale sur autoroute à 110 km/h, une décision recalée par le président et le gouvernement français).
D’après de récentes estimations du bureau européen de Greenpeace, ce type de mesures à court terme permettraient de réduire la demande de pétrole dans le secteur des transports dans l’Union européenne de près de 50 millions de tonnes par an. Cela représenterait des économies d’énergie de l’ordre de 13%. En cumulant des mesures de court terme encourageant davantage de télétravail, proposant des billets abordables pour les transports publics et réduisant les vitesses maximales sur les routes, les consommateurs de l’UE économiseraient un total de près de 63 milliards d’euros.
Sur le plan climatique, ce serait près de 180 millions de tonnes de CO2 qui pourraient ainsi être évitées chaque année, soit l’équivalent des émissions de 120 millions de véhicules thermiques – presque la moitié de la flotte automobile de l’Union européenne.*
Aider les ménages vulnérables à mieux se nourrir, se loger et se chauffer
On ne devrait pas avoir à choisir entre se nourrir et se chauffer. En France, 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique. Le pays compte encore plus de 5 millions de « passoires thermiques », des logements très mal isolés, très difficiles à chauffer et très consommateurs en énergie. Agir pour aider les familles à vivre dans des logements décents, mieux isolés et moins énergivores, doit être une priorité au niveau européen. C’est une urgence à la fois sociale et environnementale.
Dans le même temps, les foyers français sont confrontés à une hausse des prix de l’alimentation, conséquence conjuguée de la hausse des prix de l’énergie (qui frappent notamment les boulangeries), de la hausse du prix des engrais azotés (corrélée au prix des énergies fossiles), et de la hausse des prix des matières premières agricoles (aggravée par la mondialisation financière des marchés agricoles et la crise climatique).
Voici quelques mesures urgentes pour réduire la consommation d’énergie et aider ces ménages vulnérables :
- Mettre en place des plans de soutien massif à l’isolation des logements, associés à des obligations de rénovation énergétique, avec des systèmes de « zéro reste à charge » pour les plus démunis.
- Mettre en place des plans ambitieux de soutien à l’installation de systèmes de pompes à chaleur, chauffe-eau solaires et équipements photovoltaïques.
- Former davantage de personnes qualifiées à l’installation de ces équipements, et aux travaux d’isolation et de rénovation énergétique.
- Soutenir massivement les industries produisant localement les matériaux d’isolation et ces équipements.
- Interdire la vente de chaudière à gaz ou à fioul.
- Instaurer des mesures permettant de garantir à toutes et tous le respect du droit à une alimentation saine et durable : menus à 1 euro généralisés dans les restaurants universitaires, incitations publiques à la végétalisation des menus, notamment en restauration collective, sécurité sociale de l’alimentation, etc.
D’après un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 2,2 millions de pompes à chaleur ont été installées dans l’Union européenne et au Royaume-Uni en 2021, la plupart ayant remplacé des chaudières à gaz : cela a permis d’économiser près d’un milliard de mètres cubes de gaz depuis 2022. Les installations de pompes à chaleur en 2021 ont augmenté de 34%, ce qui reste insuffisant. Il faudrait doubler le rythme, en important mais aussi en fabriquant davantage de pompes à chaleur au sein de l’UE.
Le déploiement de panneaux photovoltaïques doit aussi massivement être encouragé. Cela s’accompagne notamment par la mise en place de formations : dans l’UE, on aura besoin de près d’un million de travailleurs dans l’énergie photovoltaïque d’ici 2030.
Taxer les pollueurs et cesser de financer la guerre
Plus que jamais, la crise énergétique en cours rend urgente la sortie des énergies fossiles, qui contribuent à financer la guerre menée par Vladimir Poutine. Les prix de l’énergie se sont envolés depuis 2021, et plus encore depuis la guerre en Ukraine. Les perspectives ne sont clairement pas optimistes… sauf pour les compagnies pétrolières et gazières comme TotalEnergies qui voient leurs profits battre tous les records. Il est grand temps de taxer ces activités toxiques et plus particulièrement les superprofits générés par la crise et la guerre.
Ces fonds permettraient justement de financer des mesures de justice sociale et environnementale. Parmi les mesures à court terme envisageables :
- Mettre un terme définitif à toutes les subventions et autres soutiens de l’Etat qui continuent de stimuler la production et la consommation d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon).
- Mettre en place une taxe sur les superprofits, notamment ceux stratosphériques réalisés par les compagnies pétrolières et gazières comme Total ou Shell.
- Redistribuer les superprofits des industries fossiles pour financer des mesures de soutien aux personnes les plus vulnérables et favorisant une transition juste, sociale et écologique.
- Instaurer un impôt sur la fortune (ISF) climatique, tenant compte de l’empreinte carbone du patrimoine des plus fortunés.
- Interdire le versement de dividendes climaticides aux actionnaires d’entreprises qui ne respectent pas l’Accord de Paris.
Face à la flambée des prix du carburant ou du gaz, subventionner les compagnies pétrolières ou gazières, réduire les taxes sur les énergies fossiles ou financer l’achat de carburants fossiles sert avant tout les intérêts de ces multinationales. Pire, cela contribue à financer la guerre, sans réellement aider les ménages dont le pouvoir d’achat s’effondre.
Les gouvernements doivent avant tout mettre en œuvre des politiques durables de soutien aux ménages les plus vulnérables pour faire face à la hausse du coût de la vie : revalorisation des salaires minimums, hausse des minimas sociaux, des allocations chômage, des aides au logement et mesures fiscales à destination des bas revenus. Ces mesures sociales, pour faire face à cette crise énergétique et climatique, ont un coût : c’est pour cela qu’il est urgent de taxer les pollueurs et particulièrement les multinationales des énergies fossiles et leurs superprofits.
Pour en savoir davantage sur les travaux du bureau de Greenpeace auprès de l’Union européenne sur la crise énergétique et les mesures à prendre à court terme, voir la note en anglais « Europe’s energy crisis: how to act fast »
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