Une avancée majeure
C’est le tribunal administratif de Marseille qui a permis de faire avancer un sujet sensible : l’impact climatique des activités de production des matières premières.
C’est la première fois en France qu’un tribunal consacre l’obligation pour un industriel de prendre en compte ces impacts. Il s’agit d’une avancée majeure en termes de droit, car cette décision pourrait ensuite “faire jurisprudence”.
Concrètement, d’autres industriels seraient alors aussi contraints de tenir compte dans leurs études d’impact des conséquences climatiques générées par leurs activités même lorsqu’elles se déroulent à l’étranger.
Total et la déforestation
Revenons un peu en arrière.
L’impact de la culture des palmiers à huile sur l’environnement n’est plus à prouver. La déforestation qui sévit depuis des décennies en Asie du Sud-Est principalement en est la conséquence directe.
Selon des chiffres publiés par le ministère indonésien de l’Environnement et des Forêts, environ 24 millions d’hectares de forêts tropicales indonésiennes ont été détruits entre 1990 et 2015. 63% des nouvelles plantations en Indonésie ont été aménagées au détriment de forêts tropicales riches en biodiversité sur la période 1990-2010.
En 2015, Total a annoncé son intention de transformer sa raffinerie située à la Mède, dans le sud de la France, en “bioraffinerie” pour produire des carburants à base d’huile de palme. Si, sur le papier, l’idée d’un carburant non fossile peut paraître séduisante, dans les faits l’impact sur l’environnement est tout aussi catastrophique.
En 2018, Total a reçu l’autorisation d’importer d’Indonésie et de Malaisie jusqu’à 650 000 tonnes d’huile de palme par an pour produire des agrocarburants, ce qui représente une explosion des importations en France.
Cela peut sembler fou, mais la réalité dépasse parfois la fiction : pour obtenir cette autorisation, Total a fourni une étude d’impact concernant uniquement les alentours de l’usine en France. Rien sur l’huile de palme utilisée pour produire des agrocarburants soi-disant “propres” ! Or cette huile de palme vient d’Asie du Sud-Est et cette matière première entraîne trop souvent de la déforestation dans les pays producteurs. Depuis 1990, ce sont 31 millions d’hectares de forêts (presque la superficie de l’Allemagne) qui ont disparu en Indonésie.
En juillet 2018, avec cinq autres associations (FNE PACA, FNE 13, France Nature Environnement, Les Amis de la Terre France et la LPO), Greenpeace France a déposé un recours contre cette autorisation afin notamment que le juge administratif exige des industriels une prise en compte de ces impacts climatiques.
Un travail rigoureux pour faire reconnaître les impacts climatiques
Grâce aux différentes expertises de Greenpeace et avec l’aide d’avocat·es, de professeur·es et maîtres de conférence de droit mobilisés à nos côtés, nous avons solidifié nos arguments à destination du tribunal administratif :
- Avec nos collègues indonésiens, nous avons publié une enquête qui montre que l’huile de palme utilisée pour la raffinerie de La Mède est très loin d’être “durable” et participe au phénomène de déforestation massive en Indonésie, aggravant la crise climatique et la destruction de la biodiversité mondiale.
- Avec l’aide de notre cartographe, nous avons réalisé un rapport technique qui évalue les émissions de gaz à effet de serre liées à la déforestation.
Nous avons aussi tout mis en oeuvre pour tirer la sonnette d’alarme auprès de l’opinion publique :
- Les activistes de Greenpeace ont, en octobre 2019, mené une action non violente à la raffinerie de La Mède pour informer les médias et mettre la lumière sur le sujet.
- Nous avons mobilisé nos communautés pour interpeller les parlementaires afin que la suppression de la niche fiscale sur les agrocarburants à base d’huile de palme ne soit pas une nouvelle fois remise en cause dans le cadre du projet de loi de finances 2020.
Une nouvelle étude d’impact à venir
Même si le chemin à parcourir reste long, la reconnaissance de l’obligation d’évaluer les impacts climatiques indirects constitue une première étape majeure.
Nous ne comptons pas relâcher la pression. Nous resterons sur le front pour garantir des avancées sur ce dossier : avec nos partenaires, nous apporterons un regard critique sur la nouvelle étude d’impact de Total, continuerons notre travail de plaidoyer et lancerons une nouvelle démarche juridique si jamais les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes.