Il est 4 heures du matin, dans cette partie du monde qu’on appelle la mer Ionienne, à proximité de la Calabre, la partie la plus méridionale de l’Italie et je suis assis à côté d’une jeune tortue de mer apparemment morte. Elle fait approximativement 30 cm de long et ne semble pas avoir survécu au filet maillant dérivant que nous venons de confisquer cette nuit.
Le reste de l’équipage est dans le salon, deux ponts plus bas et je suis dehors à fumer un cigare.
Ce fut une drôle de journée…
Alors que nous sommes en route vers la Sicile, un peu frustrés de n’avoir trouvé aucun filet maillant dérivant dans les eaux grecques de la mer Ionienne, nous croisons un navire qui se laisse dériver à environ 4 ou 5 km de nous. Une photo au téléobjectif nous permet de lire le nom de ce bateau. Et grâce à la base de donnée des navires de pêche de l’Union européenne, nous obtenons quelques précieuses informations.
Le Diomède II est tout d’abord supposé rester dans la zone des 15 miles nautiques autours de la Sicile, son port d’attache étant Giardini Naxos, sur la côte Ionienne de l’île, entre Catane et Messine.C’est un navire flambant neuf, construit en 2006, pas très grand – environ 15 mètres.
Grâce au téléobjectif nous identifions clairement des filets sur le pont du Diomède II, alors que la base de données de l’UE le classe comme… palangrier, il a également le droit d’utiliser des filets droits. Par ailleurs, quand nous avons rencontré ce navire nous étions à 25 miles nautiques de la côte alors que le Diomède II n’est pas sensé dépasser les 15 miles… Et avec une profondeur de 1 500 mètres, il ne pouvait s’agir que de filets maillants dérivants…
C’est alors que l’attente a commencé.
Vers 22 heures, nous nous approchons de lui. C’est à ce moment-là qu’il allume ses projecteurs : encore un élément qui indique qu’il s’agit d’un maillant dérivant.
A 10 h 15, nous mettons les zodiacs à l’eau. Il nous faut près de 40 minutes pour trouver le bout du filet qui n’apparaît pas au radar. Nous découvrons alors qu’ils utilisent des bouées très high-tech, équipées de transmetteurs radio.
A 23 h 15, nous commençons à remonter le filet sur l’Arctic Sunrise. A l’autre bout, le Diomède II en fait de même. La pêche pirate est donc arrêtée !
Tout l’équipage s’affaire à hisser le filet et nous réussissons à remonter près de 2 km de l’objet du délit, le reste étant clairement visible sur le pont du Diomède II, situé, d’après notre radar, à environ 8 km de l’Arctic Sunrise, soit un maillant dérivant de près de 10 km de long…
Avec le filet, dont les mailles font 8 cm, nous avons remonté également 11 thons rouge, alors que 50 d’entre eux étaient déjà clairement visibles sur le Diomède. Les nôtres, comme les leurs, font entre 2 et 6 kg. Egalement dans les mailles du filet une petite tortue de mer, actuellement à mes côtés, dans une bassine. Et je crains le pire à son sujet.
Il y a trop d’infractions concernant ce navire : C’est un pirate à 100%.
– Utilisation illégale de filet maillant dérivant dans les eaux internationales
– Thon rouge en sous taille
– Probablement pas de quotas pour le thon rouge
– Numéro d’identification du navire caché
Après cela, le Diomède s’est rapproché de nous et nous a demandés de lui rendre sa bouée high-tech. Je leur ai donc répondu que nous allions la remettre aux gardes-côtes, car nous n’en avions pas besoin.
Nous les avons stoppés.
Nous avons prouvé que la réglementation de l’UE sur les filets maillants dérivants avait été violée : il est interdit de pêcher le thon rouge avec cet engin de pêche.
Nous allons maintenant les « raccompagner » en Sicile, où il se pourrait bien qu’un comité d’accueil soit présent au port d’attache.
Ce n’est donc pas fini.
Mon cigare est presque terminé et je vais me coucher.
— Alessandro et toute l’équipe de l’Arctic Sunrise
PS nouvelle de dernière minute : la tortue est sauvée !
Elle s’est remise de ses émotions, nous venons de la remettre à l’eau et elle nage actuellement vigoureusement vers le large.