« L’écoterrorisme » en 3 questions

Économie et social, Libertés fondamentales, Paix et justice

Les mouvements écologistes sont-ils en train de se radicaliser et de dériver vers des formes « d’écoterrorisme » ? C’est en tout cas ce que tentent de faire croire plusieurs responsables politiques, dont des membres du gouvernement. « Écoterrorisme », le mot fait peur, mais derrière ce concept aux contours flous se cache surtout une répression sans précédent contre l’ensemble des écologistes, non-violents dans leur immense majorité. Dénigrer les écologistes pour faire oublier la responsabilité des pollueurs n’est pas nouveau. Mais en agitant l’épouvantail d’un écoterrorisme qui n’a pour le moment aucune réalité, les autorités ont franchi un nouveau cap. On fait le point.


  1. « L’écoterrorisme », qu’est-ce que c’est ?
  2. Est-ce que « l’écoterrorisme » existe en France ?
  3. Pourquoi des responsables politiques parlent « d’écoterrorisme » ?

Gérald Darmanin a utilisé à plusieurs reprises le mot écoterrorisme. Un moyen de justifier la répression sans précédent contre l'opposition et les mouvements écologistes

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a employé à plusieurs reprises le mot écoterrorisme pour délégitimer les écologistes et justifier une répression sans précédent. Un glissement dangereux.

« L’écoterrorisme », qu’est-ce que c’est ?

Au lendemain des manifestations organisées contre les mégabassines à Sainte-Soline, en octobre 2022, puis en mars 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin clamait droit dans ses bottes que les méthodes « d’une grande partie des manifestants violents » relevaient purement et simplement de « l’écoterrorisme ». « N’ayons pas peur des mots », insistait le ministre, n’hésitant pas lui-même à jouer à la fois sur les mots et sur les peurs. À quoi ce concept « d’écoterrorisme » fait-il référence exactement ? C’est loin d’être aussi clair que voudrait faire croire M. Darmanin.

« Écoterrorisme » est ce qu’on appelle un mot-valise : la fusion entre les termes « écologie » et « terrorisme ». En rhétorique, on pourrait considérer qu’il s’agit d’un oxymore, cette figure de style qui associe deux termes contradictoires : d’un côté l’écologie, qui ne vise rien d’autre qu’un meilleur équilibre entre les êtres humains et l’environnement (et est donc par essence non-violente) ; de l’autre le terrorisme, qui renvoie au contraire à la notion de terreur (et donc au recours à des méthodes violentes).

Le mot « écoterrorisme » laché par Gérald Darmanin ne figure actuellement ni dans le Larousse, ni dans le Robert, pas plus que dans les manuels de droit. Et pour cause : en France, « l’écoterrorisme » n’a tout bonnement aucune réalité juridique.

Seul le « terrorisme », au sens large, est encadré légalement. Une directive de l’Union européenne relative à la lutte contre le terrorisme de 2017 précise les actes qui peuvent être considérés comme des « infractions terroristes », définis à la fois en raison des buts poursuivis (gravement intimider des populations, gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques…) et des moyens d’action employés (des infractions graves telles que l’atteinte à la vie ou l’intégrité physique d’une personne, les enlèvements ou prises d’otages, les destructions massives…). Cette même directive précise aussi que « les actes visant par exemple à contraindre des pouvoirs publics à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, sans qu’il soit, pour autant, inclus dans la liste exhaustive des infractions graves, ne sont pas considérés comme des infractions terroristes ».

Le code pénal précise par ailleurs la notion de « terrorisme écologique » (et non « d’écoterrorisme ») : c’est « le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel ». Autrement dit, le fait de polluer consciemment et volontairement l’environnement. Soit exactement le contraire de ce que souhaitent et font les mouvements écologistes.

Ainsi, quand un député d’extrême droite (Rassemblement national), Thomas Ménagé, affirme sur le plateau de Public Sénat que les Soulèvements de la terre représenteraient « une forme de terrorisme écologique », il fait un contre-sens total. Incompétence ou manipulation ? Probablement les deux.

Pour Xavier Sauvignet, avocat au barreau de Paris, l’utilisation par des responsables politiques du terme « d’écoterrorisme » et de ses avatars, sans réalité juridique, est loin d’être anodine. « Accoler l’éco-activisme au terrorisme est un concept réactionnaire, explique-t-il au micro de France Culture. C’est une façon de jeter le discrédit, en quelque sorte, puisque personne n’aime le terrorisme. ». Et on ne parle d’ailleurs pas, que ce soit dans la loi ou les débats publics, « d’agroterrorisme » quand un groupement d’agriculteurs fait exploser un bâtiment public.

Un deux poids deux mesures qui en dit long sur les motivations politiques du ministre de l’Intérieur, notamment : d’un côté une répression brutale contre les Gilets jaunes, les opposants à la réforme des retraites ou les quartiers populaires et des discours martiaux contre les écologistes, qualifiés « d’écoterroristes » ; de l’autre, une tolérance et une empathie sans limite à l’égard de l’agrobusiness et des responsables du syndicat agricole FNSEA.

Sans fondement en droit, cette notion « d’écoterrorisme » brandie par des ministres et des députés de droite et d’extrême droite est donc surtout une figure rhétorique destinée à alimenter la peur, alors que la prise de conscience écologique gagne du terrain.

Le concept « d’écoterrorisme » est apparu dans les années 1960 et 1970 aux États-Unis, à l’initiative de lobbyistes d’entreprises privées. Il s’agissait déjà à l’époque de diaboliser des militants et militantes de la cause animale, à la suite de séries d’actions coup de poing contre des laboratoires réalisant des expérimentations sur les animaux. Près de soixante ans plus tard, les mêmes (grosses) ficelles sont tirées à l’encontre des écologistes.

Un cochon écoterroriste ? Des policiers tentent de déloger un cochon gonflable lors d'une action non-violente de Greenpeace France pour dénoncer l'élevage industrielle

Un cochon écoterroriste ? Cette action totalement non-violente menée par des militants de Greenpeace France visait à dénoncer les conséquences de l’élevage industriel, source de pollution majeure, notamment les algues vertes. © Claire Jaillard / Greenpeace

L’écoterrorisme existe-t-il en France ?

« L’écoterrorisme » n’a certes pas de réalité juridique en France et en Europe, mais n’existe-t-il pas quand même aujourd’hui dans l’Hexagone des groupes d’écologistes radicaux, voire fanatiques qui, au nom de la protection de l’environnement, commettraient des attentats à la bombe, des enlèvements, des prises d’otages ou des destructions massives ? Pour trouver la réponse, il convient de se poser une autre question : des groupements écologistes ont-ils été poursuivis, voire condamnés, pour des agissements relevant du terrorisme ? On a bien cherché… en vain.

En 2019, l’unité de gendarmerie nommée BLAT (Bureau de lutte anti-terroriste), spécialement chargée de la prévention et de la répression des actes de terrorisme, a été saisie dans une affaire impliquant des militant·es écologistes, poursuivi·es pour avoir… décroché des portraits officiels d’Emmanuel Macron dans des mairies !

Une série d’actions symboliques et 100 % non-violentes, dans l’esprit des actions de désobéissance civile, bien loin d’actes de terrorisme. Après des dizaines de perquisitions et plus de 90 gardes à vue, plusieurs militant·es (qui agissaient toutes et tous à visage découvert…) ont finalement été poursuivi·es pour « vol en réunion », puis jugé·es au cours de procès aux issues très diverses : certain·es ont été condamné·es pour ce motif de vol quand d’autres ont été purement et simplement relaxé·es. Mais finalement, nulle mention de terrorisme, et encore moins d’écoterrorisme, dans cette affaire.

Plus récemment, en juin 2023 et avril 2024, la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la Direction nationale de la police judiciaire a participé à des vagues d’arrestations de militants et militantes écologistes, à la suite d’actions menées sur plusieurs sites du groupe Lafarge (entreprise, rappelons-le, poursuivie pour complicité de crime contre l’humanité et financement
du terrorisme du fait de ses activités pendant la guerre en Syrie). Les activistes dénonçaient l’impact climatique, la pollution et les atteintes aux droits humains de la part de cette multinationale du ciment.

À ce jour, il n’y a pas eu de condamnation de mouvements écologistes pour des infractions commises dans le cadre d’une « entreprise terroriste ». Le ministre de l’Intérieur a bien tenté à de multiples reprises de faire passer des luttes écologistes pour du terrorisme, par exemple en instrumentalisant la loi séparatisme pour dissoudre les Soulèvements de la Terre, suite aux manifestations contre la mégabassine de Sainte-Soline ; dissolution fort heureusement annulée par le Conseil d’État.

« L’écoterrorisme […], dans le jargon des services de renseignements, c’est un terme qui est évidemment utilisé », justifiait quant à lui le préfet de police de Paris Laurent Nuñez pour appuyer les propos du ministre de l’Intérieur. Dans les faits, certes l’exaspération des militants et militantes écologistes face à l’inaction climatique et aux crimes environnementaux grandit. Mais les blocages, occupations de site, intrusions ou même jets de soupe sur des tableaux ou de peinture sur des bâtiments publics ne relèvent très clairement pas du terrorisme. Ces actions consistent à faire usage de la liberté d’expression et de réunion, au travers parfois d’actions de désobéissance civile. Ce concept « d’écoterrorisme » est donc à l’heure actuelle un épouvantail et un moyen d’accroître la surveillance et la répression à l’encontre de mouvements écologistes très majoritairement non-violents.

Interpellation de militants et militantes qui protestaient en marge d'une conférence sur le nucléaire, à Paris.

En septembre 2023, des activistes de Greenpeace France ont été interpellés par les forces de l’ordre pour avoir brandi des banderoles dénonçant l’inaction et la diversion climatique du gouvernement, en marge d’une conférence sur le nucléaire. Une action non-violente qui ne relève en rien d’une quelconque forme d’écoterrorisme. © Emeric Fohlen / Greenpeace

Pourquoi des responsables politiques parlent d’écoterrorisme ?

Pour savoir pourquoi la notion d’écoterrorisme a fait son apparition récemment dans les discours politiques, il faut d’abord regarder qui l’emploie. Outre le ministre de l’Intérieur, le mot « écoterrorisme » a été repris par le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. Le même ministre qui a décidé de suspendre le plan Ecophyto (qui visait à réduire l’usage des pesticides) ou qui a promis récemment à l’agro-industrie la construction d’une centaine de mégabassines en s’affranchissant « de certaines difficultés locales » (et en balayant d’un revers de la main les recommandations de nombreux·ses scientifiques opposé·es à ces infrastructures). Il est aussi repris par l’extrême droite qui plaide pour une politique autoritaire et répressive.

Parler d’écoterrorisme remplit tout d’abord un objectif politique : disqualifier celles et ceux qui dénoncent la politique environnementale du gouvernement et les atteintes majeures à l’environnement. Les militants et militantes écologistes qui ont une vision radicalement opposée à celle du gouvernement, mais aussi à celle de l’extrême droite, étaient jusque-là traité·es de « mangeurs de graines », d’« Amishs », de « Khmers verts ». Un autre cap est désormais franchi avec cette qualification « d’écoterroristes ».

Ces discours sur « l’écoterrorisme » ont également un autre but : criminaliser les mouvements écologistes. Accuser des militants et militantes de « terrorisme », même sans fondement, justifie l’emploi de moyens de répression sans précédent pour intimider et faire taire ces oppositions. Sans retenue ni décence, Gérald Darmanin réclamait ainsi en avril 2023 aux parlementaires de lui donner les mêmes moyens pour surveiller les militant·es écologistes que pour lutter contre le trafic de drogue ou le terrorisme !

Cette dérive de la part de l’État français et de ses représentants a été fermement dénoncée par Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’Environnement. Selon lui, la répression menée par l’État français, mais aussi par d’autres États européens, contre les écologistes et face aux manifestations et mouvements de désobéissance civile environnementales constitue « une menace majeure pour les droits humains et la démocratie ». En la matière, « la France est le pire pays d’Europe », s’alarme le représentant onusien.

Enfin, accuser outrageusement les lanceurs d’alerte et les défenseurs de l’environnement « d’écoterrorisme » est une façon de détourner l’attention des crimes environnementaux en cours, bien réels eux. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, résumait récemment la situation de façon implacable : « l’air est irrespirable, la chaleur insoutenable, les niveaux de profits des énergies fossiles et l’inaction climatique inacceptables ».

De fait, on peut s’interroger sur ce qui est véritablement criminel aujourd’hui : les actions non-violentes de celles et ceux qui alertent sur l’état de la planète, ou les activités toxiques de multinationales qui continuent à ouvrir de nouveaux forages pétroliers ou gaziers, aggravant sciemment le changement climatique et polluant durablement les écosystèmes ? Les militant·es non-violents qui lancent l’alarme pour tenter de préserver des conditions de vie décentes sur Terre ou les responsables au pouvoir prêts à tout pour maintenir un système qui ne profite qu’à quelques-uns et conduit à notre perte ?

Pourquoi ces attaques et ces manipulations liées à « l’écoterrorisme » surgissent-elles aujourd’hui, dans un contexte déjà tendu de crise économique, sociale et climatique ? Selon la chercheuse Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des mobilisations environnementales, interviewée par Alternatives économiques, c’est justement parce que les idées portées par les écologistes ont fortement progressé que les discours caricaturaux, la répression, voire les violences augmentent à leur égard.

Ainsi, les tentatives de criminaliser les écologistes et d’agiter le chiffon rouge de l’écoterrorisme ne sont rien d’autre que l’ultime soubresaut de responsables politiques et économiques aux abois, dont le modèle productiviste est condamné. Face à eux, notre non-violence et notre détermination restent nos meilleures alliées, plus puissantes que jamais.


Pour en savoir plus sur le concept « d’écoterrorisme » et la répression contre les écologistes :