Les agrocarburants (ou biocarburants de 1ère génération) ont bénéficié depuis des années du soutien sans borne des pouvoirs publics. Présentés pendant un temps, en Europe et en France, comme une solution face aux défis du changement climatique et de la dépendance énergétique, ils apparaissent dorénavant en perte de crédibilité.
Les études scientifiques se sont multipliées, montrant que les agrocarburants, produits à base de matières premières alimentaires sont une « fausse bonne idée « pour le climat. En fait, la prise en compte de ce qu’on appelle « changement d’affectation des sols indirects » (CASI), comme suggéré par la Commission européenne, change la donne. Dans cette configuration, le biodiesel émet plus de gaz à effet de serre que le diesel fossile… Le biodiesel français est produit notamment à base d’huile de colza produite en France. Mais l’huile de colza utilisée pour fabriquer du
carburant doit être remplacée sur le marché alimentaire par de l’huile de palme ou de soja… importés de régions où il faut pratiquer une déforestation massive pour les cultiver, Indonésie, Amazonie… et qui
dit déforestation dit émissions massives de CO2…
Et, aujourd’hui, la preuve est faite qu’ils sont aussi au centre d’un scandale pour les finances publiques !
Quand le Gouvernement Ayrault fait des cadeaux …
L’annonce a été plutôt discrète, en fin de discours de clôture du Premier ministre à la Conférence environnementale : « face à la hausse des cours des céréales et des oléagineux sur les marchés mondiaux, le gouvernement a décidé de demander à nos partenaires européens et au niveau international une pause dans le développement des biocarburants de première génération. Au plan national, nous avons décidé de plafonner le taux d’incorporation à 7% et d’atteindre les objectifs communautaires avec les biocarburants de seconde génération. Les agréments seront renouvelés jusqu’au 31 décembre 2015 et le soutien public sera mis en extinction à cette date. »
Oui, mais : en fait de « pause » le Premier ministre confirme l’objectif de 7%, au moment même où la Commission européenne s’apprête à proposer une Directive les plafonnant à… 5% ! Alors la France, vraiment zélée ?
En annonçant le renouvellement des agréments jusqu’à fin 2015, M. Ayrault fait un joli cadeau aux producteurs d’agrocarburants français. En effet, le soutien public aux agrocarburants (obligation d’incorporation par les distributeurs et exonération fiscale partielle) est conditionné à l’obtention d’un agrément par le producteur. Ces agréments ont été délivrés pour une durée maximale de 6 ans, entre 2007 et 2009 : ce qui signifie qu’ils arrivent tous à échéance entre 2013 et 2015. Pour le biodiesel, qui représente les 3/4 des volumes agréés, la défiscalisation est aujourd’hui fixée à 8 centimes par litre, soit un coût brut total de près de 250 millions d’euros pour le budget de l’État en 2012.
250 millions d’euros pour le biodiesel… Une « paille » en période de crise financière, où l’ombre de l’austérité plane sur les finances publiques…
En 2013, le tiers des agréments arrivant à échéance, ce montant devait baisser à environ 160 millions d’euros. Cependant, la décision du gouvernement de renouveler les agréments pour trois années supplémentaires a pour conséquence directe de porter ce montant à près de 250 millions d’euros, comme en 2012, soit un cadeau royal de plus de 80 millions d’euros à la filière biodiesel pour 2013 (et plus encore pour les deux années suivantes) !
Un gouffre financier pour le contribuable et pour l’automobiliste … d’après la Cour des Comptes !
Dans un rapport publié en janvier 2012, la Cour des comptes montre que la politique de soutien aux agrocarburants depuis 2005 a profité aux industriels producteurs, dans des proportions considérables.
En 2011, l’exonération fiscale partielle dont bénéficient les agrocarburants a totalisé 480 millions d’euros, s’ajoutant à un montant estimé à plus de 2,6 milliards d’euros pour la période 2005-2010, dont 1,8 milliards d’euros rien que pour le biodiesel.
Le rapport de la Cour des comptes montre aussi que le consommateur paye une partie de la facture. Car l’incorporation d’un agrocarburant au coût de revient bien plus élevé que le diesel, l’opacité de la fixation des prix, concourent à renchérir le prix à la pompe d’un carburant moins performant énergétiquement. Surcoût évalué entre 1,6 et 2 centimes d’euros par litre de diesel en 2010 par la Cour des comptes.
L’emploi et la rentabilité des investissements… sont de nouveau les alibis du Gouvernement
Le ministère de l’Agriculture a réagi hier soir à la publication de la note de Greenpeace, et aux papiers dans Mediapart et le Canard Enchaîné.
Mais les arguments du Ministère laissent songeurs… Décryptage :
« La filière représente plusieurs milliers d’emplois » :
En réalité, les emplois dédiés à la production de biodiesel sont probablement dix à vingt fois moins nombreux que ce qu’annoncent les industriels du secteur ! En effet, la plus grosse unité de production de biodiesel emploie 100 personnes pour une production annuelle de 500 000 tonnes. Quand bien même la totalité du personnel serait affectée à la production exclusive d’agrocarburants (ce qui n’est pas le cas, car sont produits également de l’huile alimentaire et des tourteaux pour l’alimentation animale), l’usine assurant près de 20% de la production française, on obtient un ordre de grandeur de 500 à 600 personnes pour l’ensemble de la production de biodiesel (environ 2,6 millions de tonnes en 2012) !
« Contrairement à ce qui est dit, certains équipements ne sont pas amortis » :
La Cour des comptes relève qu’entre 2005 et 2010, les producteurs de biodiesel en France (essentiellement Sofiprotéol, en situation de quasi monopole) ont capté à leur profit la quasi-totalité du montant des exonérations fiscales attribuées au biodiesel, soit 1,8 milliards d’euros. Dans le même temps la filière n’a investi que 500 millions d’euros… Il va falloir que le Ministère nous explique comment, dans ces conditions, les investissements n’ont pas été amortis !
Le ministère a aussi déclaré « confirmer l’arrêt progressif des aides aux agrocarburants » et « s’être contenté d’honorer les engagements pris par le gouvernement précédent » :
Là encore, on s’interroge ! M. Ayrault a au contraire annoncé le « renouvellement » des agréments arrivant à échéance, ce que la loi (le Code des douanes) n’envisageait pas. Pour la modique somme de 80 millions d’euros dès l’année prochaine !
Quels que soient les efforts du ministère et du Premier ministre, non, vraiment, nous n’avalerons pas cette tentative de faire passer la prolongation du soutien à une industrie « polluante » pour un progrès en matière environnementale et fiscale…