Emmanuel Macron avait promis des mesures « historiques et structurantes ». Les annonces faites sur la loi Mobilités (LOM) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) les 26 et 27 novembre sont pourtant loin de répondre aux enjeux climatiques et environnementaux. Si ces annonces sont confirmées, les objectifs français de réduction de CO2 ne seront pas atteints tandis que les déchets nucléaires continueront de s’accumuler, « en même temps ». Décryptage, secteur par secteur.
Transports : pas de coup de frein aux voitures et camions
Pour rappel, le secteur des transports est responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Si la France n’a pas tenu ses objectifs climatiques en 2016, c’est entre autres le secteur des transports qui a contribué à la faire déraper. C’est pourquoi il est urgent de réduire la place de la voiture, et d’investir massivement dans les moyens de transport alternatifs. Lors des annonces faites par Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique, dans le cadre du Plan Climat, Emmanuel Macron et son gouvernement avaient fixé l’échéance de fin de vente des véhicules diesel et essence à 2040. Aujourd’hui, cet objectif – pourtant insuffisant – ne figure même pas dans le projet de loi Mobilités.
Pire, le projet de loi Mobilités laisse la porte ouverte aux autoroutes (en avalisant la construction de nouvelles infrastructures inutiles) et au transport routier de marchandises (en reportant la vignette poids lourds qui permettrait pourtant d’encourager le fret ferroviaire et fluvial, bien plus propre). Malgré quelques avancées qui restent à confirmer, ce projet de loi manque cruellement d’ambition.
Agrocarburants : plus d’avions et plus de déforestation
Alors que le trafic aérien mondial devrait doubler d’ici une dizaine d’année (selon l’OACI), la volonté du gouvernement d’incorporer 50 % d’agrocarburants d’ici à 2050 dans les réservoirs des avions est extrêmement préoccupante. En l’état actuel des technologies disponibles et des données économiques, cela provoquerait en effet une explosion de la demande en huile de palme et donc de nouvelles déforestation massives, fortement émettrices, dans les pays producteurs. L’huile de palme n’a rien à faire dans les transports, il faut au contraire mettre fin aux agrocarburants de première génération (obtenus à partir de cultures alimentaires) le plus vite possible.
Isolation des logements : les passoires passent encore
Le secteur des bâtiments est le deuxième secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre et co-responsable du retard pris par la France sur ces objectifs climatiques. En France, on dénombre plus de 7 millions de passoires énergétiques : logements mal isolés, à l’origine des factures de chauffage très élevées de nombreux Français-es, de plus en plus nombreuses-eux à ne pas pouvoir les payer.
Bonne nouvelle : le potentiel d’économie d’énergie et d’électricité est énorme et permettrait à la fois de réduire la consommation d’énergie, la dépendance au fioul et au nucléaire, les pics de consommation liés au chauffage électrique et la facture énergie des Français-es.
Mauvaise nouvelle : ce potentiel est sous-exploité. A la lecture de la Stratégie nationale bas carbone et de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, les moyens ne sont pas réunis pour améliorer rapidement la performance énergétique des logements.
Électricité : obsession du nucléaire et énergies renouvelables mal aimées
L’électricité en France ne représente qu’une faible part des émissions de gaz à effet de serre, mais sa transformation en profondeur s’impose afin de respecter les objectifs de développement des énergies renouvelables à horizon 2020 et 2030 (d’ici là, 40 % de la production d’électricité en France doit être d’origine renouvelable), et de réduire la part du nucléaire (faiblement émetteur de gaz à effet de serre mais générateur de déchets nucléaires et de risques majeurs) à l’horizon 2025, comme la loi de transition énergétique de 2015 l’impose.
Charbon : un écran de fumée
Point positif parmi les annonces faites le 27 novembre, même si cet objectif avait déjà été acté sous le précédent quinquennat et réitéré fin 2017 : Emmanuel Macron a confirmé la fermeture des quatre dernières centrales à charbon d’ici la fin de ce quinquennat. C’est une bonne nouvelle, mais, contrairement à ce que le président français a affirmé, cela ne permettra pas de faire « la moitié du chemin » pour atteindre nos objectifs climatiques : le charbon représente aujourd’hui moins de 2 % des émissions de gaz à effet de serre en France… Il faudra donc faire bien plus, notamment sur les transports et les logements pour parcourir ne serait-ce que la moitié du chemin.
Ces annonces sur le charbon servent surtout de chiffon rouge au chef d’Etat pour justifier un recul flagrant sur tous les autres tableaux, dont le nucléaire. Il est pourtant envisageable de fermer les centrales au charbon et des réacteurs nucléaires, en plus de ceux de Fessenheim, tout en réduisant les émissions de CO2 d’ici à 2025… à condition de mener une politique volontariste en matière d’économie d’énergie, d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables et de transports.
Nucléaire : reculer pour mieux sauter… dans le vide
Sur le nucléaire, on est bien loin des décisions historiques annoncées. Emmanuel Macron repousse à 2035 l’échéance pour réduire à 50 % la part d’électricité d’origine nucléaire. Il ne prend aucun engagement sous son propre quinquennat, refusant de fermer avant 2025 (au mieux) des réacteurs autres que ceux, à bout de course, de Fessenheim (en 2020). Au total, le Président dit vouloir fermer 14 réacteurs d’ici à 2035… Ce qui reviendrait à acter la prolongation de 44 réacteurs nucléaires, pourtant déjà vieillissants et mal en point, qui auront alors en moyenne plus de 49 ans d’exploitation au compteur.
Et, cerise sur le gâteau atomique, il envisagerait même de construire de nouveaux réacteurs, malgré le fiasco des EPR, de Flamanville à Hinkley Point, et la dette brute colossale d’EDF (67 milliards d’euros en 2018 !). Ce « plan » ressemble fortement à celui rêvé (et décidé ?) par EDF, qui a d’ailleurs accueilli cette annonce comme une « excellente nouvelle ».
Autrement dit, le gouvernement a de nouveau plié face au lobby du nucléaire, malgré le prix élevé à payer pour les contribuables, en dépit des déchets radioactifs dont on ne sait déjà plus que faire, et au mépris des dangers pour les Français-es et leurs voisins européens qui vivent à proximité de centrales vétustes.
Énergies renouvelables : un potentiel verrouillé
Le chef d’Etat s’est dit très favorable au développement des énergies renouvelables. Mais il a aussi affirmé qu’il n’y a aucun lien entre part du nucléaire et rythme de développement des énergies renouvelables. Pourtant, si la France accuse un sérieux retard en la matière malgré son énorme potentiel, c’est bien à cause de l’effet « verrou » du nucléaire, dont les coûts gigantesques mettent en péril la santé économique d’EDF et limitent considérablement ses marges de manœuvre pour financer des projets d’énergie renouvelables ambitieux. Verrou qui n’est pas prêt de sauter : avec la fermeture annoncée de seulement six à huit réacteurs d’ici à 2030, il devient plus que difficile d’atteindre l’objectif fixé par la Loi sur la Transition énergétique de produire 40 % de l’électricité à partir d’énergies renouvelables.
La France arrive à la COP24 affaiblie par ses contradictions et ses renoncements. Pour être crédible sur la scène européenne et internationale, elle doit donc revoir dès à présent sa copie et prendre enfin des engagements fermes et ambitieux, à la hauteur des défis climatiques et environnementaux.