Alors que la guerre en Ukraine présage de graves conséquences pour l’agriculture et la sécurité alimentaire en Europe et dans le monde, les représentants d’un modèle agricole industriel, sous couvert de répondre à une demande alimentaire mondiale, cherchent à détricoter les rares avancées environnementales des politiques agricoles européennes pour pousser leur logique productiviste.
Dès le début du conflit, les porte-étendards de l’agriculture industrielle se sont engouffrés dans la brèche pour intensifier leur lobbying [1] contre la stratégie européenne “De la ferme à la fourchette” [2]. La FNSEA a ainsi appelé à son abandon [3] en la qualifiant de “décroissante”, au motif que celle-ci prévoit une réduction de 20% des engrais et de 50% des pesticides, ainsi que l’accroissement des surfaces nécessaires à la biodiversité. Dans la lignée de la FNSEA, des représentant·es politiques, comme le ministre de l’Agriculture, demandent la mise en production des 4% de terres en jachères [4] pour répondre à la demande alimentaire mondiale, ce qui va à l’encontre d’une des rares avancées de la nouvelle Politique Agricole Commune.
Une nouvelle mise en lumière de la fragilité de notre agriculture productiviste
S’il est nécessaire de prendre des mesures immédiates pour répondre aux conséquences terribles de la guerre, cela ne doit pas être au détriment des autres enjeux auxquels l’humanité fait face, comme la souveraineté alimentaire des peuples, la pollution généralisée des milieux et ses conséquences ou encore l’urgence climatique, rappelée récemment par le GIEC.
La situation actuelle illustre de manière frappante à quel point l’alimentation et l’agriculture européennes, et l’élevage industriel en particulier, sont dépendants d’importations : engrais de synthèse et pesticides, fabriqués à partir de gaz et de pétrole en partie importés de Russie, voient leur prix s’envoler en raison des ruptures d’approvisionnement. En conséquence, les coûts de production flambent pour les éleveurs, qui sont aussi fortement dépendants de céréales (maïs) et d’oléagineux (tourteaux de tournesol) importés d’Ukraine pour l’alimentation animale – denrées également en rupture d’approvisionnement.
Des choix de société s’imposent
La guerre en Ukraine et ses conséquences nous forcent ainsi à réfléchir aux choix fondamentaux de l’agriculture européenne et de l’accès pour toutes et tous à une alimentation saine et respectueuse de l’environnement. Au-delà des premières mesures d’urgence, nos organisations demandent qu’une véritable transition agroécologique, la seule compatible avec l’autonomie de nos agriculteurs et agricultrices et donc avec notre souveraineté alimentaire, soit mise en marche. Cela implique :
– de revoir à la baisse nos niveaux de production et de consommation de viande et autres produits animaux,
– de développer des modes d’agriculture et d’élevage autonomes, peu dépendants des énergies fossiles et des intrants de synthèse,
– de développer en parallèle la production de légumineuses, les élevages extensifs, ainsi que les pâturages et les prairies permanentes associées.
Nous appelons également à un sursaut de la communauté internationale pour prendre des mesures immédiates et de moyen terme adaptées, sous l’égide du Comité de la sécurité alimentaire mondiale. Le G7 [5], qui se réunit exceptionnellement sur le sujet ce vendredi, ne saurait être un espace légitime et inclusif face à cette crise mondiale. La souveraineté alimentaire française ne pourra se construire aux dépens de celles des autres pays et encore moins sans eux.
Pour contribuer à la vraie souveraineté alimentaire, énergétique et écologique de la France et de l’Europe, les rares avancées environnementales des politiques publiques européennes agricoles et alimentaires doivent être préservées et le plan de résilience prévu par le gouvernement doit être construit sur une vision de long terme et prenant en compte les intérêts des citoyen·nes du monde entier.
La lettre ouverte adressée par les organisations à Emmanuel Macron, Président de la République à la tête de la présidence française de l’Union européenne, et à Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, est consultable ici.
Notes aux rédactions :
[1] Source : L’intense lobbying de l’agro-industrie contre « Farm to Fork », le volet agricole du Pacte vert européen, Le Monde, 12/10/2021
[2] Stratégie “De la fourche à la fourchette”, volet agricole du Green Deal, portée par la Commission européenne.
[3] Voir https://twitter.com/EricTHIROUIN/status/1498191409144373250
[4] Qualifiées à tort de “non-productives” par ces acteurs, les jachères et les infrastructures agroécologiques (haies, mares, bosquets, etc.) sont pourtant essentielles à la fertilité des sols et à la biodiversité des milieux agricoles.
[5] Le G7 et le G20 ne représentent que les principaux pays producteurs de céréales et non ceux dépendants des importations.
Signataires (par ordre alphabétique) :
Agir pour l’Environnement, Alofa Tuvalu, Amis de la Terre, Attac France, Cantine sans plastique France, CCFD-Terre Solidaire, CIWF France, Commerce Equitable France, Eau et Rivières de Bretagne, Fédération Associative pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural, Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, Foodwatch France, Fondation pour la Nature et l’Homme, France Nature Environnement, Générations futures, Greenpeace France, Ingénieurs sans Frontières – AgriSTA, Justice Pesticides, LPO France, MIRAMAP, Réseau Action Climat, Réseau Environnement Santé, Syndicat National d’Apiculture, SOL – Alternatives Agroécologiques et Solidaires, Terre d’Abeilles, UNAF