Agrocarburants : la dangereuse illusion française
Paris, le 14 avril 2008. La France s’apprête à valider une stratégie attribuant aux agrocarburants un rôle très important dans les objectifs liés aux énergies renouvelables à l’horizon 2020. Or, les doutes sur leur impact environnemental et social sont de plus en plus manifestes : concurrence avec l’alimentaire aggravant la crise des matières premières, encouragement aux pratiques agricoles intensives, rôle dans la destruction des forêts tropicales… Quant à leur bilan énergétique, il est très contesté. L’illusion ne doit pas se prolonger. Greenpeace demande à la France de renoncer à sa politique volontariste de soutien aux agrocarburants. La France devrait également appuyer la recommandation du comité scientifique de l’agence environnementale européenne et oeuvrer pour un abandon de l’objectif de 10% d’incorporation au sein de l’UE à l’horizon 2020.
A l’issue du grenelle de l’environnement, l’engagement avait été pris de réexaminer le soutien français aux biocarburants à l’aune d’une nouvelle étude « exhaustive et contradictoire » réalisée par l’Ademe. Or, cette étude n’a pas toujours été réalisée ; seule la première étape méthodologique l’a été, et elle fait déjà apparaître de nombreuses doutes et incertitudes sur l’impact environnemental des agrocarburants. Alors que les calculs des bilans ne sont même pas commencés, on ne peut que s’inquiéter que le document de travail du Comité opérationnel n°10 du Grenelle sur les agrocarburants conclut déjà que « les gains énergétiques et de GES des biocarburants produits en Europe resteront significatifs (…). Le plan biocarburant conserve donc une justification sur le plan de l’énergie et de la réduction des gaz à effet de serre ».
« La France ne doit pas prendre d’engagement en matière d’agrocarburants avant que ceux-ci n’aient été scrupuleusement réévalués, analyse Jérôme Frignet, en charge de ce dossier pour Greenpeace France. Ils sont en effet bien souvent inefficaces d’un point de vue énergétique et néfastes d’un point de vue environnemental. Leur rôle dans la grave crise alimentaire qui se dessine dans les pays du sud est par ailleurs connu. »
Le projet de recommandation du comité de suivi du Grenelle fait l’impasse sur le problème posé par l’importation des agrocarburants ou des matières premières agricoles destinées à leur production, considérant que jusqu’à 7% d’incorporation, la production française est suffisante. C’est nier l’évidence, car la hausse actuelle du prix des matières premières agricoles détourne les producteurs français de la filière agrocarburant. Les objectifs ne feront pas l’économie d’importations, notamment d’huile de palme, dont la production doit répondre d’un bilan environnemental particulièrement désastreux.
En tout état de cause, même une production uniquement domestique a un impact indirect significatif : en France, la réduction de la part de colza destinée à l’alimentaire devra par exemple être compensée par l’importation d’autres huiles, au 1er rang desquelles figure l’huile de palme.
« Il faut cesser de se voiler la face : le volontarisme français en matière d’agrocarburants repose davantage sur des considérations économiques, c’est-à-dire offrir des débouchés à l’agriculture industrielle intensive et rentabiliser des investissements industriels que des considérations environnementales, ajoute Jérôme Frignet. Le consommateur et le contribuable français ne doivent pas faire les frais de tels choix, totalement irresponsables, tout droit issus de la volonté des tenants de l’agriculture intensive et de certains groupes agro-industriels. »
Le 10 avril, le comité scientifique de l’Agence européenne de l’environnement a recommandé de renoncer à un objectif d’incorporation de 10% d’agrocarburants et de réévaluer leur intérêt. Royaume-Uni et Allemagne ont déjà entamé ce processus de remis en question. Combien de temps la France fera-t-elle la sourde oreille ?
La participation significative des agrocarburants aux objectifs français en matières d’énergies renouvelables doit être remise en cause. La France doit immédiatement abandonner tout objectif volontariste d’incorporation et peser pour que l’UE l’abandonne l’objectif contraignant de 10% à horizon 2020.