Communiqué de presse commun de Greenpeace France, du Réseau « Sortir du nucléaire » et Cacendr.
Créé par le décret du 8 avril 2024, à l’initiative du Ministère de l’intérieur, le fichier de police intitulé ODIINuc vise à « la collecte et l’analyse des informations relatives aux personnes impliquées dans des événements révélant un risque d’atteinte à la sécurité nucléaire [1]» en France. Les contours flous du texte permettent aux autorités de collecter des informations privées sur des opposant·es au nucléaire. Afin de faire respecter les libertés fondamentales, plusieurs organisations anti-nucléaires dont le Réseau « Sortir du nucléaire » (RSDN), Greenpeace France et le Collectif d’Action Contre l’Enfouissement des Déchets Radioactifs (Cacendr), rejoints par des journalistes, élu·es et autres membres de la société civile ont saisi, en juin dernier, le Conseil d’État pour demander sa suppression.
ODIINuc : Un fichier de contrôle sans précédent dans la lutte antinucléaire
Ce fichier permet de dresser un portrait extrêmement précis des personnes affichant leur désaccord avec la politique pro-nucléaire du Président Macron. Il autorise la collecte d’éléments d’identification (nom, surnom, signes physiques particuliers, coordonnées téléphoniques, pseudo en ligne… ), sur la situation de la personne (familiale, professionnelle, situation de séjour), sur la santé mentale, sur la détention d’armes ou d’animaux) et bien d’autres.
Aussi, et alors que cela est interdit par l’article 6 de la loi sécurité informatique de 1978, ce fichier permet de récolter des informations sur l’origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses, philosophiques, l’appartenance syndicale d’une personne, ou des données concernant la santé.
Récolter et disposer d’informations sur une personne confère à l’État un pouvoir qui doit nécessairement être limité et encadré. Pour empêcher des dérives et se prémunir contre un usage arbitraire, la création de fichiers avec des finalités vagues comme le fichier ODIINuc est interdite [2], afin d’empêcher les détournements d’usage ou les collectes dites de précaution.
Un fichier aux contours permissifs
« Le ministre de l’Intérieur ne peut pas passer au-dessus des lois, même au nom de la sécurité. La liberté des anti-nucléaires d’exprimer leur désaccord ne constitue aucunement une menace pour la sécurité des centrales, elle n’est qu’une menace politique pour la politique pro-nucléaire de E. Macron qui n’accepte visiblement pas la contradiction », pour Marion Rivet, chargée des relations médias et des relations extérieures du Réseau « Sortir du nucléaire ».
Le flou des termes utilisés pour définir les personnes visées laisse une très large marge de manœuvre au responsable de traitement et laisse craindre une confusion entre militant·es antinucléaires et des individus qui représentent réellement un danger pour la sécurité nucléaire. Le doute est d’ailleurs renforcé en cette période où le militantisme écologique est associée par le gouvernement à une menace terroriste [3].
Pour Apolline Cagnat, responsable juridique de Greenpeace France : « Ce fichier est l’illustration même de la répression de plus en plus disproportionnée à laquelle font face les militant⋅es écologistes, alors que toute personne, qu’elle soit citoyenne, journaliste, députés ou membres d’ONG a le droit d’exercer sa liberté d’expression et de réunion, et au respect de sa vie privée. »
Cet outil de contrôle supplémentaire offert à l’État accroît les risques de répression des militant·es écologistes. La société civile doit se montrer d’autant plus vigilante face à l’augmentation de cet arsenal répressif alors que la menace d’une arrivée de l’extrême droite au pouvoir est bien réelle.
Pour Angélique Huguin, militante historique contre le projet Cigéo d’enfouissement des déchets de Bure : « Les luttes écologiques ont toujours été réprimées de manière forte, voire violente, dans notre pays et ailleurs dans le monde. Militer pour l’environnement nous expose aujourd’hui à un arsenal répressif rendu de plus en plus puissant par les nouvelles technologies, notamment celles qui permettent le fichage. Cela fait de nombreuses années que nous y faisons face à Bure, contre le projet Cigéo. Ce fichier ouvre la porte à encore plus de dérives autoritaires. »
De nombreuses organisations s’inquiètent déjà que le gouvernement mette sur le même plan terroristes et militant.es écologistes. En outre, ce fichier transforme les militants écologistes, adversaires politiques du gouvernement, en ennemis potentiels de l’État. L’opposition politique ne doit pas être un argument pour tenter de bâillonner les anti-nucléaires.
En raison de l’incertitude autour des objectifs et des impacts potentiels de ce fichier, le Réseau « Sortir du nucléaire », Stop Nucléaire et Greenpeace France ont rassemblé un large éventail de personnes critiques du nucléaire qui pourraient être ciblées : associations, ancien·es employé·es, militant·es, journalistes, et élu·es. Ensemble, ils ont saisi le Conseil d’État en juin dernier pour demander la suppression du fichier ODIINuc.
[1] Décret du n°2024-323 en date du 08 avril 2024 (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000049392869)
[2] Selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le droit au respect de la vie privée. L’article 4 de la loi du 6 janvier 1978 indique également que les données collectées doivent être collectées pour « des finalités déterminées, explicites et légitimes » et ne doivent pas « être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités ».