Paris, le 31 janvier 2012 – La Cour des comptes vient de publier son rapport sur les coûts de la filière nucléaire française. Cette première – et valeureuse – tentative d’état des lieux global des coûts du nucléaire est limitée par un certain nombre d’incertitudes.
« Une chose est cependant claire : les différentes incertitudes relevées par la Cour des comptes vont toutes dans le sens d’un renchérissement du prix de l’électricité nucléaire, note Sophia Majnoni, en charge de la campagne Nucléaire chez Greenpeace France. Par ailleurs, le verdict de la Cour des comptes est sans appel concernant l’EPR et confirme ce que dit Greenpeace depuis des années : le mégawattheure produit par Flamanville coûtera entre 70 et 90 euros, soit aussi cher que l’éolien terrestre. De quoi sérieusement compromettre l’avenir de ce type de réacteurs. »
Il n’y a pas de pilote dans l’avion
La Cour des comptes est très explicite : « à travers l’absence de décision d’investissement, une décision implicite a été prise qui engage déjà la France : soit à faire durer ses centrales au-delà de 40 ans, soit à faire évoluer (…) rapidement le mix énergétique ». Elle juge « souhaitable que les choix d’investissements futurs ne soient pas effectués de façon implicite mais qu’une stratégie énergétique soit formulée… ».
« En langage moins diplomatique, cela signifie tout simplement qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion, commente Sophia Majnoni. Par leur inaction, en laissant ces questions aux mains des technocrates au lieu de les soumettre au débat démocratique, les gouvernements successifs rendent quasi irréversible le prolongement de la durée de vie des centrales au-delà de 40 ans. Et ce quel que soit le coût financier et les risques pour les populations et au mépris le plus total du rôle de l’ASN, seule instance habilitée à autoriser ou non le prolongement de la durée de vie d’une centrale. La seule autre possibilité, c’est d’engager la transition énergétique et de sortir du nucléaire, ce que nous appelons de nos vœux. »
Sûreté et démantèlement : vers une augmentation des coûts vertigineuse
Concernant le renforcement de la sûreté post Fukushima, la Cour fonde son calcul sur l’estimation avancée par EDF de 10 milliards d’euros, que l’ASN elle-même a jugée « optimiste ». Ce chiffre ne pourra être précisé qu’en juin, quand l’ASN aura publié l’ensemble de ses prescriptions. Un exemple : un confinement des piscines situées autour des réacteurs coûterait à lui seul plusieurs milliards d’euros.
Autres données très incertaines : les charges de démantèlement. La Cour les estime très sous-évaluées et envisage une augmentation de 50 à 100 %.
« Là aussi, il y a toutes les chances que l’aléa soit bien supérieur, note Sophia Majnoni. Aujourd’hui, le coût du démantèlement provisionné s’élève à 18 milliards d’euros, soit 320 millions en moyenne par réacteur. Or rien que pour Superphénix, dont le démantèlement est loin d’être achevé, la facture s’élève déjà à plus de 2 milliards ! »
Coût d’un accident et assurance : les grandes inconnues
La Cour estime que les évaluations financières réalisées pour les différents scénarios d’accident en France sont tout à fait insuffisantes. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire table sur 70 milliards d’euros pour un accident modéré sur un réacteur, et oscille entre 600 et 1 000 milliards pour des catastrophes comme Tchernobyl ou Fukushima. Or aujourd’hui, les exploitants nucléaires français assurent leurs installations pour 91 millions d’euros seulement (au-delà, il est prévu que l’État se substitue à l’exploitant dans une limite de 1,5 milliard d’euros).