Coup dur pour le climat, la biodiversité et la grande majorité des éleveurs européens : les législateurs européens ont décidé d’exempter les fermes industrielles les plus polluantes de la directive européenne sur les émissions industrielles, qui a pour objet de réduire la pollution des activités industrielles dans l’Union européenne (UE). Lors de la révision de cette directive, les négociateurs du Parlement européen, de la Commission européenne et des États membres ont même exclu l’ensemble des élevages de bovins.
Les lobbyistes de l’agro-industrie, ainsi que les députés européens libéraux, conservateurs et de droite de la commission de l’agriculture, ont réussi à bloquer tout élargissement du champ d’application des règles de l’UE en matière de pollution industrielle. Ils ont fait valoir que les règles proposées auraient eu un impact négatif sur les petites et moyennes exploitations familiales de l’UE, bien que les propositions sur la table des négociations ne concernaient que 1 % de l’ensemble des exploitations bovines en Europe.
“Cette décision est une farce, dénonce Marco Contiero, directeur de la campagne Agriculture à l’unité européenne de Greenpeace. Les lobbyistes agricoles et leurs alliés politiques conservateurs nous ont fait croire que les exploitations familiales souffriraient de ces règles, alors qu’il est évident que plus de 99 % des exploitations bovines n’auraient pas été touchées. On peut se demander pourquoi ces politiciens se sont tant battus pour attribuer un droit à polluer à 1 % des plus grandes fermes-usines de bovins. Pendant ce temps, la campagne européenne se noie dans le fumier, avec des conséquences délétères sur l’air, l’eau et les sols.”
Les négociateurs ont convenu que cette nouvelle version de la directive devrait couvrir davantage d’élevages de porcs, puisqu’elle s’applique désormais à ceux qui comptent plus de 1200 animaux, à l’exception des élevages biologiques de porcs ou des élevages gérés de manière extensive (les règles actuelles de l’UE en matière d’émissions industrielles couvrent déjà les élevages de plus de 2000 porcs). Le seuil d’application de la loi pour les élevages de poulets de chair reste inchangé, à savoir 40 000, tandis que pour les poules pondeuses, le nouveau seuil est fixé à plus de 21 500, contre 40 000 auparavant.
Une directive pour réduire les émissions de polluants de l’industrie en Europe [1]
Pour rappel, la production agricole de l’UE, et en particulier l’élevage, est responsable de 93 % de la pollution de l’UE par l’ammoniac, et le secteur de l’élevage représente à lui seul 54 % des émissions de méthane, principalement dues aux bovins [2]. Toutefois, la directive actuellement en vigueur ne couvre que les exploitations agricoles responsables de 18 % des émissions d’ammoniac et de 3 % des émissions de méthane.
En juillet dernier, le Parlement européen avait voté contre l’élargissement du champ d’application de la directive aux élevages de bovins ou à davantage d’élevages de porcs et de volailles [3]. Les négociations en trilogue n’ont pas permis d’étendre les règles aux élevages de bovins et n’ont réussi à couvrir qu’un peu plus d’élevages de porcs et de volailles.
En France, la réglementation sur les ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement [4]), qui existait préalablement à la directive européenne, encadre les exploitations les plus polluantes pour les principales filières d’élevage (avicoles, porcines et bovines). Greenpeace appelle le gouvernement français, et en particulier le ministre de l’Agriculture, à mettre en place des mesures ambitieuses pour réduire la pollution provenant de ces élevages industriels. La transition de l’élevage doit être au cœur de la future loi d’orientation agricole prévue pour 2024. Il est plus que jamais urgent d’amorcer une sortie de l’élevage industriel en instaurant un moratoire sur tous les nouveaux projets de création ou d’extension de fermes-usines (ICPE soumises à autorisation) en France [5].
Prochaines étapes
L’accord conclu par le Parlement européen, la Commission européenne et les États membres devra maintenant être formellement approuvé par le Parlement européen et les ministres de l’Agriculture des pays membres.
Greenpeace rappelle qu’il est nécessaire de réduire notre production et notre consommation de produits d’origine animale, ce qui passe par la transformation en profondeur du secteur de l’élevage.
Notes aux rédactions :
[1] Entrée en vigueur en 2010 et actuellement en cours de révision, la directive sur les émissions industrielles a pour objet de réduire les émissions de polluants de l’industrie en Europe. À partir d’un certain nombre d’animaux, les exploitations d’élevage sont considérées comme des exploitations industrielles et sont donc couvertes par cette directive. Les exploitations concernées ont alors un certain nombre d’obligations, dont la mise en place de mesures censées réduire les émissions.
[2] Voir les trois notes de décryptage sur les pollutions liées à l’élevage industriel :
– “Le méthane réchauffe le climat à plein gaz”, Greenpeace France, avril 2023
– “L’abus d’ammoniac est dangereux pour la santé et l’environnement”, Greenpeace France, avril 2023
– “Pollution de l’eau aux nitrates : un fléau européen”, Greenpeace France, avril 2023
[3] Voir “Élevage industriel en Europe : Greenpeace déplore l’exclusion des exploitations les plus polluantes de toute réglementation par les député.es européens”, communiqué de presse, 11/07/2023
[4] Définition d’une ICPE : “Toute exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques pour les tiers – riverains et/ou de provoquer des pollutions ou nuisances vis-à-vis de l’environnement, est potentiellement une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE).” Source.
[5] Voir “Élevage industriel : Greenpeace exige un moratoire sur les fermes-usines”, communiqué de presse, 16/05/2023