Le pétrolier Total a rendu publics ce matin de nouveaux engagements pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Un engagement de neutralité carbone qui n’en est pas un, et qui entretient la confusion sur les réels objectifs du groupe. Plutôt que de faire des effets d’annonce, la major pétrolière Total, dont l’empreinte carbone est comparable à celle du territoire national (445 MtCO2 selon la SNBC 2020), doit s’engager urgemment pour changer de modèle et sortir des énergies fossiles.
Pour l’ONG Greenpeace France : “ces annonces, qui auraient pu être historiques, ne sont au final qu’un nouveau rendez-vous manqué au regard de l’urgence climatique et surtout sont bien en deçà des ambitions nécessaires. Il ne s’agit que d’une tentative de plus de la part de Total pour verdir son image. Cela ne modifie en aucun cas sa stratégie qui consiste à produire toujours plus de pétrole et de gaz”.
Pour l’ONG Reclaim Finance : “ces annonces apparaissent comme une manœuvre, cautionnée par des investisseurs menés par BNP Paribas et Hermes EOS, pour contrer une résolution déposée par des actionnaires bien plus ambitieux en amont de l’assemblée générale de l’entreprise. BNP Paribas et Hermes EOS actent aujourd’hui l’échec de l’Accord de Paris en cautionnant l’ouverture de nouveaux projets d’énergies fossiles et la hausse de la production d’hydrocarbures”.
Un engagement de neutralité carbone qui oublie la majorité des émissions de Total
Total annonce un objectif de neutralité carbone d’ici 2050, mais uniquement sur les scopes 1 et 2 [1] au niveau mondial. Le scope 3 qui représente la grande majorité des émissions, notamment l’utilisation des produits vendus, ici le pétrole et le gaz, n’est qu’en partie couvert par l’engagement de neutralité carbone puisque seule l’Europe est concernée.
Autrement dit, Total ne vise pas la neutralité carbone sur la totalité de ses activités et la totalité des produits qu’elle vend – une aberration alors que le développement de ses activités se fera à l’avenir principalement hors d’Europe. L’Europe est déjà sur une trajectoire décarbonée et passe progressivement à l’électrique ; les ventes de pétrole pour usage final y ont baissé de 40% depuis 2010, tandis qu’elles ont progressé de 60% dans le reste du monde [2]. Un objectif de neutralité carbone partout dans le monde impliquerait d’infléchir dès maintenant le business model de Total et de ne plus développer de nouveaux projets d’énergies fossiles. Or non seulement Total ne prend aucun nouvel engagement de court terme, mais les engagements monde de Total ne se comptent qu’en intensité carbone, une manière de ne jamais prendre en compte la réduction des volumes de production en fossiles.
Avec cette annonce, Total s’engage à réduire de 60% ou plus l’intensité carbone moyenne des produits énergétiques utilisés dans le monde par ses clients d’ici 2050. Or pour limiter le réchauffement à 1,5°C, il faut diminuer les émissions de CO² en valeurs absolues. Total propose de ne diminuer que l’intensité carbone de ses produits, une manière de continuer d’investir dans l’extraction du pétrole et du gaz et de continuer d’émettre toujours plus de gaz à effet de serre.
Pour Edina Ifticene, chargée de campagne pétrole chez Greenpeace France : “Total dit vouloir respecter les objectifs de l’Accord de Paris mais ses engagements ne sont qu’un leurre, présentant des méthodes de calculs qui entretiennent la confusion et cachent la réelle stratégie du groupe. Pour Total et son PDG Patrick Pouyanné, la seule durabilité qui compte est celle de leurs profits et de leurs dividendes. S’engager à la hauteur de l’Accord de Paris, cela veut dire un changement radical de paradigme pour l’entreprise, en d’autres mots arrêter toute production de pétrole et de gaz. On est encore très très loin du compte.”
De faux engagements soutenus par des investisseurs peu crédibles en matière de lutte contre le changement climatique
Ces annonces arrivent dans un contexte ou une résolution a été déposée par 11 investisseurs demandant au pétrolier des engagements bien plus ambitieux pour lutter contre le changement climatique. Il ne s’agit là que d’une contre-attaque au rabais de la part de l’entreprise, soutenue par des investisseurs bien plus frileux, comme BNP Paribas, qui a accordé 84 milliards de dollars aux énergies fossiles depuis la COP21 et augmenté de 72% ses investissements en fossiles entre 2018 et 2019 [3].
Pour Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance : “En soutenant les mesures annoncées aujourd’hui par Total, BNP Paribas et Hermes EOS décident de protéger leurs intérêts de court terme ainsi que ceux du plus gros pollueur français. La décision de BNP Paribas est inadmissible mais peu surprenante : BNP Paribas est le plus gros financeur français des énergies fossiles et son Président siège au sein même du conseil d’administration de Total. Les investisseurs qui n’ont pas encore pris position ne doivent pas être dupes. Ils doivent s’engager à voter la résolution climat déposée par 11 investisseurs en vue de l’assemblée générale du 29 mai”.
Pour Greenpeace France et Reclaim Finance, Total doit donc présenter une trajectoire zéro émission nette sur les scope 1, 2 et 3 au niveau mondial, accompagnée d’une véritable feuille de route comprenant des objectifs de court, moyen et long termes de réduction de la production en hydrocarbures, seule et unique façon de réellement réduire les émissions. En refusant d’initier une véritable transition énergétique, Total condamne son entreprise et menace l’avenir de ses salarié·es.
Notes :
[1] • Émissions directes de GES (ou SCOPE 1). Émissions directes provenant des installations fixes ou mobiles situées à l’intérieur du périmètre organisationnel, c’est-à-dire émissions provenant des sources détenues ou contrôlées par l’organisme comme par exemple : combustion des sources fixes et mobiles, procédés industriels hors combustion, émissions des ruminants, biogaz des centres d’enfouissements techniques, fuites de fluides frigorigènes, fertilisation azotée, biomasses…
• Émissions liées à énergie indirectes (ou SCOPE 2). Émissions indirectes associées à la production d’électricité, de chaleur ou de vapeur acquise pour les activités de l’organisation.
• Autres émissions indirectes (ou SCOPE 3). Les autres émissions indirectement produites par les activités de l’organisation qui ne sont pas comptabilisées au scope 2 mais qui sont liées à la chaîne de valeur complète comme par exemple : l’achat de matières premières, de services ou autres produits, les déplacements des salariés, transport amont et aval des marchandises, gestions des déchets générés par les activités de l’organisme, utilisation et fin de vie des produits et services vendus, immobilisation des biens et équipements de production.
[2] Calculs de Greenpeace réalisés d’après les données de Total.
[3] Banking on Climate Change 2020, Rainforest Action Network, Reclaim Finance and al. https://reclaimfinance.org/site/2020/03/18/bnp-paribas-augmente-massivement-ses-financements-aux-energies-fossiles/