Kingston, Jamaïque, 10 juillet 2023
Les délégations des États membres de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) se réunissent à partir d’aujourd’hui à Kingston pour discuter de la question de l’encadrement de l’exploitation minière en eaux profondes. Bien qu’une coalition inédite de gouvernements
se soit positionnée en faveur d’un moratoire, l’absence d’accord lors des réunions précédentes laisse la porte ouverte à la possibilité pour n’importe quelle entreprise de déposer une demande de permis d’exploitation des grands fonds marins à partir du 9 juillet [1].
« Pour garantir une protection de long terme aux océans, les gouvernements doivent empêcher le développement de cette industrie ravageuse qui évolue en dehors de toute régulation. À partir d’aujourd’hui, les entreprises minières peuvent demander une licence d’exploitation des grands fonds, à cause d’une faille dans les procédures de l’AIFM créant un vide juridique, alors même que les négociations pour encadrer ces activités n’ont pas encore abouti. Des entreprises comme The Metals Company pourraient ainsi imposer l’exploitation d’un bien commun à toute l’humanité. Face à l’ampleur de la menace, un nombre croissant de pays, d’organisations de la société civile et de scientifiques se mobilisent pour demander un moratoire”, déclare François Chartier, responsable de la campagne Océans de Greenpeace France, présent à Kingston à partir du 10 juillet.
La réunion du conseil de l’AIFM, qui commence aujourd’hui, doit en priorité trouver un accord pour sortir de cette faille dans la réglementation qui met en péril la crédibilité de l’institution et de ses membres, plutôt que d’essayer d’adopter dans l’urgence un code minier au rabais.
Le Chili, le Costa Rica, la France, Palau et le Vanuatu ont proposé d’inscrire un débat sur l’idée d’un moratoire contre l’exploitation minière en eaux profondes à l’agenda des réunions de l’Assemblée de l’AIFM, qui se tiendra du 24 au 28 juillet [2]. La proposition présentée par cette coalition interrégionale traduit une prise de conscience globale de la nécessité impérieuse pour les gouvernements de l’AIFM de protéger les grands fonds marins et de respecter leurs engagements internationaux en matière de climat et de biodiversité, ainsi que le principe de précaution.
Nous appelons tous les États membres de l’AIFM à soutenir cette proposition ; il est nécessaire de donner la priorité à la science et à la protection de la haute mer.
« Désormais, les barrières qui séparent l’incroyable richesse de la biodiversité des abysses et les bulldozers en quête de métaux, ne tiennent plus qu’à un fil. Mais de plus en plus de gouvernements, à l’écoute de la science, se mobilisent et redoublent d’efforts pour empêcher l’exploitation minière des grands fonds marins de voir le jour dès cette année. Les réunions de l’AIFM qui commencent doivent être l’occasion de voir cette mobilisation s’élargir. Il est urgent que les États réunis à Kingston accordent à ces zones uniques et encore méconnues la protection dont elles ont besoin, en adoptant à l’Assemblée de l’AIFM un moratoire reposant sur des critères écologiques et scientifiques« , ajoute François Chartier.
Nous assistons à une vague sans précédent de gouvernements qui expriment leurs inquiétudes quant à l’impact de l’exploitation minière en eaux profondes. Il y a quelques jours, la Suisse, la Suède et l’Irlande ont appelé à une pause dans l’exploitation [3]. Dans le même temps, les communautés autochtones du Pacifique et les scientifiques tirent également la sonnette d’alarme concernant cette menace pour les océans.
“Les liens étroits entre la direction de l’AIFM et l’industrie ont pour effet de concentrer l’attention sur l’adoption dans l’urgence d’un code minier. Pourtant, le mandat de l’AIFM n’est pas uniquement d’encadrer une potentielle exploitation mais aussi de protéger les océans.
Si les gouvernements prennent au sérieux leurs engagements récents en matière de protection de l’environnement, et en particulier l’adoption du traité sur la haute mer, ils doivent dire non à l’exploitation minière en eaux profondes. Soit ils laissent la possibilité d’autoriser le démarrage d’une toute nouvelle industrie extractive au beau milieu d’une crise écologique, soit, pour une fois, ils font le choix de tuer dans l’œuf une industrie qui serait dévastatrice”, conclut François Chartier.
[1] En 2021, le président de Nauru et la filiale de The Metals Company, Nauru Ocean Resources, ont activé la « règle des deux ans » pour faire pression sur les gouvernements de l’AIFM afin qu’ils autorisent l’exploitation minière en eaux profondes avant juillet 2023. Cette demande a été faite en vertu du paragraphe 15 de la section 1 de l’annexe de l’Accord relatif à l’application de la partie XI de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, qui stipule que si un pays membre notifie à l’AIFM qu’il souhaite commencer l’exploitation minière en eaux profondes, l’organisation disposera de deux ans pour adopter une réglementation complète, après quoi, si la réglementation n’est pas achevée, l’AIFM devra examiner une demande d’exploitation minière. Le délai accordé à l’AIFM pour l’adoption d’une réglementation complète expire ce mois de juillet, et le processus juridique après l’expiration de ce délai fait l’objet d’un débat politique et juridique.
[2] Supplementary list of agenda items for the twenty-eighth session of the Assembly
[3] Swiss want moratorium on deep-sea mining & Sweden says no to deep sea mining before more knowledge is available