Paris, le 25/06/2018
L’enquête de Greenpeace [1] révèle qu’une surface équivalente à deux fois la taille de Paris a été détruite par Gama, une entreprise d’huile de palme dirigée par des cadres dirigeants de Wilmar et des membres de leur famille [2]. Sur les photos et les vidéos réalisées par Greenpeace lors de récents survols, on peut observer des activités de déforestation en cours dans deux concessions de Gama, situées dans la province indonésienne de Papouasie.
« Notre enquête a permis de percer à jour la combine à laquelle Wilmar et Gama se livrent depuis des années : Gama se charge de la sale besogne, et Wilmar garde ainsi les mains propres. Maintenant que nous avons dévoilé leur stratagème, le PDG de Wilmar doit réagir vite. Le groupe Wilmar doit immédiatement cesser de s’approvisionner auprès de fournisseurs qui ne sont pas capables de prouver qu’ils ne détruisent pas les forêts », déclare Cécile Leuba, chargée de campagne Forêts pour Greenpeace France.
Gama, l’une des plus grandes entreprises indonésiennes du secteur des plantations de palmiers à huile, a été créée en 2001 par le co-fondateur de Wilmar, Martua Sitorus, et son frère, Ganda Sitorus [3]. Les concessions de Gama sont détenues et gérées par des membres de la famille des deux frères, dont le directeur et le directeur adjoint de Wilmar Indonésie.
Wilmar a été le premier négociant d’huile de palme à publier une politique « zéro déforestation, zéro destruction des tourbières et zéro exploitation de la main d’œuvre », en décembre 2013. Cette politique est applicable à ses propres plantations ainsi qu’à celles de ses fournisseurs. Les analyses satellites et cartographiques de Greenpeace montrent que Gama a détruit 21 500 hectares de forêts tropicales et de tourbières depuis que Wilmar a pris cet engagement.
Wilmar siège au conseil d’administration de la Table ronde sur l’huile de palme (RSPO), dont la conférence semestrielle débute aujourd’hui même à Paris. Au moins une entreprise de Gama, S&G Biofuel Ltd, est membre de la RSPO. Conformément aux règles de la RSPO, les entreprises qui partagent la même direction doivent être considérées comme une seule et même entreprise. Selon ces règles, Wilmar est donc responsable de ce qui se passe sur les concessions de Gama.
Greenpeace demande à la RSPO d’appliquer ses règles et de demander à Wilmar et à Gama de s’enregistrer en tant qu’un seul et même groupe, et de suspendre l’adhésion de Wilmar tant que les forêts tropicales détruites par Gama n’auront pas été restaurées.
Ce n’est pas la première fois que Wilmar fait une entorse à ses engagements en matière de respect de l’environnement et des droits humains. Pour échapper à ses responsabilités, le groupe a ainsi cédé ses concessions les plus « problématiques » à Gama [4].
L’analyse des données commerciales montre que le groupe Wilmar continue d’acheter de l’huile de palme à Gama pour le compte de nombreuses grandes marques internationales, alors qu’il sait pertinemment que Gama viole sa politique zéro déforestation.
« Une fois de plus, on constate que les grandes marques ne peuvent pas faire confiance à leurs fournisseurs. Wilmar a revendu l’huile de palme de Gama dans le monde entier, notamment à des entreprises comme Mondelez, Nestlé ou Unilever. Ces entreprises ne doivent pas se laisser duper : elles doivent rompre leurs contrats avec Wilmar jusqu’à ce que le négociant soit en mesure de leur prouver que son huile de palme n’a pas de lien avec la déforestation et qu’elle provient de fournisseurs responsables », ajoute Cécile Leuba.
Le groupe Wilmar nie avoir une influence quelconque sur Gama, mais il a reconnu dans un fax adressé à Greenpeace que Gama est dirigée par des cadres de Wilmar et des membres de leur famille.
L’utilisation de sociétés écrans, dirigées par des membres de la famille ou des gérants d’autres sociétés, est une pratique courante dans le secteur des plantations de palmiers à huile en Asie du Sud-Est, pour dissimuler la déforestation.
« Un débat public d’ampleur s’est engagé autour de l’huile de palme en France, notamment après l’autorisation donnée à Total par Nicolas Hulot d’en importer massivement pour faire du diesel dans son usine de La Mède. Cette nouvelle affaire prouve que le secteur est encore bien loin d’être vertueux. Alors que le gouvernement négocie sa Stratégie Nationale contre la Déforestation Importée, il est urgent que Nicolas Hulot s’engage pour une régulation stricte des importations d’huile de palme, à commencer par leur diminution. » affirme Clément Sénéchal, chargé de campagne Forêts pour Greenpeace France. « Les certifications privées ont fait la preuve de leur inefficacité ».
Notes aux rédactions
[1] L’enquête (en anglais) est accessible ici. Des photos sont accessibles ici.
[2] Cette déforestation concerne principalement trois des concessions examinées dans le rapport de Greenpeace :
· PT Graha Agro Nusantara (PT GAN), Kalimantan occidental, district de Kubu Raya– 7 000 hectares de forêts ou de tourbières détruits depuis 2014.
· PT Agriprima Cipta Persada (PT ACP), Papouasie, district de Merauke – au moins 3 190 hectares de forêts détruits depuis 2015.
· PT Agrinusa Persada Mulia (PT APM), Papouasie, district de Merauke – au moins 2 500 hectares de forêts détruits depuis 2016.
[3] Comme de nombreuses entreprises familiales en Asie du Sud-Est, Gama n’a pas de structure formelle : elle est composée par un réseau d’entreprises de plantations et d’huile de palme détenues, gérées ou contrôlées par Ganda et Martua Sitorus et des membres de leur famille. Martua Sitorus est le co-fondateur de Wilmar et siège toujours à son conseil d’administration. Il est également PDG de Gama.
Le beau-frère de Ganda et Martua Sitorus, Hendri Saksti, est directeur de Wilmar Indonésie. Il est également propriétaire ou gérant de plantations de Gama.
Darwin Indigo, neveu de Martua Sitorus et de H. Saksti et fils de Ganda Sitorus, est directeur adjoint de Wilmar Indonésie. Il est également gérant de S&G Biofuel, une joint venture de Gama.
Le frère de Darwin Indigo, Andy Indigo, gère les autres plantations et filiales de Gama.
[4] En 2004, Wilmar a cédé PT Jatimjaya Perkasa à l’entreprise Gama (alors appelée Ganda Group) après avoir été accusé par Friends of the Earth d’activités de déforestation sur cette concession.
En 2013, Wilmar a cédé PT Asiatic Persada à l’entreprise Gama (alors appelée Ganda Group) suite à des accusations liées à des conflits sociaux avec les communautés locales.
En 2014, Wilmar a cédé PT Citra Riau Sirana à Gama, après avoir été accusé par Eyes on the Forest et le WWF de s’être approvisionné en régimes de fruits frais auprès de plantations illégales dans le parc national de Tesso Nilo.