Alors que l’élevage continue de s’industrialiser en France, les pouvoirs publics ont facilité cet essor ces dernières années : c’est ce que démontre un rapport de Greenpeace France publié aujourd’hui. L’association demande la création d’un moratoire sur les futures “méga-installations” en élevage.
« Le constat est sans appel : le système d’élevage français s’industrialise de plus en plus depuis une trentaine d’années, explique Suzanne Dalle, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace France. Cette industrialisation a été facilitée par les politiques menées par les pouvoirs publics, qui sont en grande partie responsables de l’essor des fermes-usines [1]. L’élevage industriel et la production massive de produits animaux (viandes, produits laitiers, œufs) posent problème car ils sont à l’origine de multiples conséquences négatives sur l’environnement et le climat. »
La situation est néanmoins très variable d’une filière à une autre : si le nombre d’ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement [2]) soumises à autorisation est non significatif dans la filière laitière, à l’inverse cela concerne 1/5 des exploitations avicoles [3]. Si l’on considère le nombre d’animaux élevés dans ces installations, 70% des poules pondeuses sont élevées dans des exploitations de plus de 50 000 têtes [3].
Autant d’animaux pour moins d’exploitations
Le rapport souligne une réduction forte du nombre d’exploitations (et donc du nombre d’exploitants) pour cinq types d’élevages (vaches laitières / allaitantes, poules pondeuses, poulets de chair, porcs), jusqu’à 87% de baisse, alors que le niveau de production a été maintenu. Cela implique une forte augmentation non seulement du nombre d’animaux par exploitation, mais aussi de leur productivité, repoussant les limites du possible au détriment du bien-être animal. C’est ainsi que le nombre de porcins par exploitation a été triplé entre 2000 et 2010.
Une réglementation démantelée par l’État lui-même
Cet état des lieux est d’autant plus inquiétant que l’on constate depuis une dizaine d’années un affaiblissement de la réglementation sur les ICPE. En effet, pour être soumise à autorisation, une exploitation doit élever un nombre minimum d’animaux mais ce nombre est sans cesse revu à la hausse. Depuis 2011, environ 10 000 exploitations sont ainsi sorties du régime d’autorisation, ce qui leur a permis au passage de réduire les contrôles auxquels elles devraient être soumises.
De plus, les moyens humains et financiers pour appliquer cette réglementation sont réduits d’année en année, preuve d’un vrai renoncement de l’État. L’administration se retrouve ainsi incapable de mettre réellement en œuvre la réglementation et les contrôles associés. Conséquence : les pollutions accidentelles, notamment en Bretagne, qui concentre 70% des méga-exploitations avec la région Pays de la Loire, sont nombreuses. L’agrandissement des fermes et la création de fermes-usines se retrouvent donc facilités, au détriment bien souvent de l’environnement.
On constate que ces méga-installations perçoivent d’ailleurs très souvent de l’argent public : au moins 40% des ICPE soumises à autorisation en Bretagne reçoivent des aides de la PAC [4], alors que 80% des Français·es souhaitent que l’argent public dédié à l’agriculture soit alloué en priorité aux agriculteurs bio ou déjà engagés dans la transition écologique [5].
Par ailleurs, la politique de libre-échange que l’Union européenne négocie avec ses partenaires commerciaux ne fait que renforcer des logiques de compétitivité qui incitent à l’industrialisation au détriment du climat.
L’élevage industriel : un fléau aux multiples conséquences négatives
Parce qu’elles exercent une pression sur les ressources naturelles, la multiplication des fermes-usines contribue très largement à l’aggravation de la crise climatique et environnementale en cours, ainsi qu’à l’aggravation de la vulnérabilité de nos systèmes agricoles et alimentaires. De plus, l’élevage, en particulier industriel, a une réelle influence dans la propagation de certaines zoonoses au-delà de sa contribution à la destruction d’écosystèmes : l’industrialisation des exploitations a en effet favorisé la concentration d’animaux uniformes génétiquement dans des espaces réduits, ce qui augmente la possibilité pour les virus de s’adapter et de se transmettre plus facilement aux autres animaux (sauvages ou non) et aux humains.
« Si rien n’est fait dans les prochaines années pour enrayer ce phénomène, ajoute Suzanne Dalle, l’industrialisation va se poursuivre indéniablement dans toutes les filières, y compris celles qui sont les moins touchées actuellement, comme la filière bovine. Pourtant, 91% des Français·es souhaitent développer rapidement une agriculture locale et écologique [5]. Greenpeace France demande la création d’un moratoire sur les futures “méga-installations” en élevage. En parallèle, les politiques publiques et en particulier la Politique agricole commune doivent amorcer la transition vers un modèle d’élevage écologique pour répondre aux urgences climatiques, environnementales et sanitaires. »
Notes aux rédactions
[1] Pour Greenpeace, une ferme-usine se définit principalement par un grand nombre d’animaux élevés sur une exploitation qui ne dispose pas d’une surface suffisante pour produire leur nourriture et/ou pour épandre sans risque le lisier ou fumier qu’ils ont produit.
[2] Il n’existe pas de données officielles pour dénombrer précisément les fermes-usines. Le rapport examine donc le nombre d’ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) d’élevage soumises à autorisation, qui correspond au plus haut régime de classification, pour quantifier le nombre de méga-installations en élevage et ainsi avoir une idée du phénomène des fermes-usines. D’autres indicateurs sur l’évolution de l’élevage en France ont également été pris en compte.
[3] Le seuil aujourd’hui en vigueur pour une ICPE d’élevage soumise à autorisation est de 40 000 emplacements pour les poules pondeuses.
[4] Données obtenues en croisant la liste des ICPE soumises à autorisation avec la base de données des bénéficiaires des aides de la PAC. Ce chiffre représente 17 millions entre octobre 2017 et octobre 2018.
[5] Sondage réalisé par BVA pour Greenpeace France et rendu public le 14 juin 2020 (voir page 14).