La major pétro-gazière TotalEnergies met à exécution les menaces de poursuites judiciaires qu’elle avait formulées lors de la publication par Greenpeace France, en novembre 2022, du rapport ‘Bilan carbone de TotalEnergies, le compte n’y est pas’ : elle dépose une assignation s’apparentant à une poursuite-bâillon contre l’association.
Le 28 avril dernier, TotalEnergies a assigné Greenpeace France en justice pour “diffusion d’informations fausses et trompeuses” sur son bilan carbone, soi-disant préjudiciables à la major en tant que société cotée [1]. C’est la première fois que la major pétro-gazière attaque l’ONG sur le plan judiciaire. “Le plus gros pollueurs français attaque Greenpeace en justice, mais il est clair qu’au-delà de notre organisation, c’est tout le mouvement climat que TotalEnergies cherche à intimider. Cette détermination que la major déploie pour nous faire taire pourrait être utilisée à bien meilleur escient, comme en réalisant enfin sa transition énergétique”, réagit Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France.
L’assignation vise le rapport “Bilan carbone de TotalEnergies, le compte n’y est pas”, dans lequel Greenpeace dénonçait un écart abyssal entre les déclarations officielles des émissions de gaz à effet de serre de la multinationale et les recalculs de l’association.
Face à TotalEnergies qui déclarait avoir émis 455 millions de tonnes de CO2 équivalent (CO2e) en 2019, Greenpeace, au terme d’un décompte estimatif, a publié une estimation finale de 1 milliard 637 millions de tonnes de CO2e, soit un résultat 3,6 fois supérieur. La méthodologie employée est totalement transparente et accessible.
“TotalEnergies veut entraîner Greenpeace dans une longue procédure judiciaire sur le calcul de ses émissions carbone, tenter de faire supprimer nos rapports et nous empêcher de dénoncer ses pratiques trompeuses et climaticides : si cela visait à nous décourager, c’est raté, nous sommes prêts. Nous continuerons de lever le voile sur la responsabilité de TotalEnergies dans le réchauffement climatique. Rendez-vous au tribunal”, déclare Jean-François Julliard.
La temporalité de cette assignation n’est pas due au hasard. L’assemblée générale annuelle de TotalEnergies aura lieu le 26 mai prochain et le groupe fait déjà l’objet de nombreuses critiques. Un large mouvement climat appelle au blocage de cette AG ; dans le même temps, certains actionnaires ont déposé une résolution portant sur la stratégie climatique de la major. Pour rassurer certains de ses actionnaires, TotalEnergies veut faire taire les questionnements possibles concernant sa responsabilité dans la crise climatique.
TotalEnergies demande au juge civil d’obliger Greenpeace France à supprimer le rapport en question de son site internet et de tout autre support ainsi que de cesser toute communication y afférent, sous astreinte de 2000 euros par jour. Elle demande également la réparation de son préjudice pour un euro symbolique. Une poursuite-bâillon dans les règles de l’art, où une major aux super-profits toujours plus considérables (20,5 milliards de dollars pour 2022) tente de réduire au silence une organisation environnementale pour la dénonciation de sa responsabilité climatique.
Le choix de la procédure n’est d’ailleurs pas fortuit pour TotalEnergies, dont les ressources juridiques sont surdimensionnées : une procédure civile est longue et coûteuse. C’est là tout l’enjeu des procédures-bâillons qui sont des poursuites sous forme de représailles visant à dissuader la liberté d’expression sur des questions d’intérêt public. Leur caractéristique ? Elles sont à l’initiative d’entreprises ou de personnes fortunées, et visent des citoyens, des journalistes ou des ONG.
Après le déni, la fabrique du doute sur la réalité du changement climatique et le greenwashing de ses activités les plus climaticides, la major passe donc à l’attaque envers les militants et militantes du climat. Cette assignation constitue la première poursuite-bâillon de TotalEnergies contre une ONG en France, une pratique déjà répandue chez les majors américaines.
[1] L’assignation de TotalEnergies, représentée par le cabinet d’avocats Jones Day, repose sur la prétention selon laquelle l’entreprise aurait subi un préjudice moral du fait de la diffusion du rapport par Greenpeace France, celui-ci constituant une diffusion d’informations fausses et trompeuses préjudiciables à TotalEnergies en sa qualité d’émetteur d’instruments financiers au sens de l’article L. 465-3-2 I du Code monétaire et financier. La commission de cette infraction constituerait ici une faute civile pour laquelle TotalEnergies demande réparation.