Les signes de qualité, labels et démarches alimentaires sont censés donner aux consommateurs des garanties en termes d’origine des produits, de préservation de l’environnement ou des terroirs, et devraient également être exemplaires au regard des critères de consommation responsable. Néanmoins, deux analyses publiées aujourd’hui et produites par Greenpeace France, le WWF France et le BASIC d’une part et l’UFC-Que Choisir d’autre part montrent de grands écarts entre les promesses et la réalité. Afin que les labels puissent réellement jouer leur rôle de repères, les trois organisations demandent une révision des conditions de certification (cahiers des charges, exigence des contrôles…), et que l’attribution des aides publiques aux différents labels soit conditionnée à une réelle garantie concernant les impacts environnementaux et socio-économiques.
On assiste à une prolifération de labels et de démarches officiels ou volontaires censés garantir l’origine, la qualité, la préservation de l’environnement ou d’autres aspects socio-économiques. Certaines de ces démarches bénéficient en outre de soutiens de la part des pouvoirs publics : statut de signes officiels, aides dans le cadre de la future Politique Agricole Commune (PAC) pour la Haute Valeur Environnementale et l’agriculture biologique, part minimale de produits considérés comme durables en restauration collective, etc. Alors que les étiquettes (liste d’ingrédients, labels, mentions, etc.) restent pour les consommateurs le canal principal d’information sur les produits qu’ils achètent, Greenpeace France, le WWF France et le BASIC, ainsi que l’UFC-Que Choisir ont enquêté sur la fiabilité et les impacts de ces labels et démarches pour déterminer s’ils peuvent véritablement constituer des repères pertinents pour orienter les achats.
AOP fromagères et Labels Rouges : aucune garantie de typicité ou de qualité pour 4 cahiers des charges sur 12
L’UFC-Que Choisir a fait procéder à l’analyse [1] des cahiers des charges de 8 Appellations d’origine protégée (AOP) fromagères et de 4 filières viandes sous Label Rouge, afin de vérifier si les critères définis pour les zones et les conditions de production sont à la hauteur des exigences de ces signes officiels. À rebours des promesses de terroir pour l’AOP et de qualité supérieure pour le Label Rouge, les résultats révèlent en réalité qu’une proportion significative des produits étudiés ne devraient pas bénéficier des labellisations officielles :
● Fromages AOP : le terroir en défaut pour le St Nectaire, le Cantal et le Munster. Les cahiers des charges étudiés permettent de garantir un réel lien au terroir grâce aux exigences que les professionnels ont définies pour 5 des AOP étudiées : Abondance, Camembert de Normandie, Laguiole, Picodon et Salers. En revanche pour les trois autres -Saint-Nectaire, Cantal et Munster- les productions d’entrée de gamme se révèlent très peu différentes des productions industrielles sans AOP. En particulier, leurs cahiers des charges autorisent le lait pasteurisé et l’ensilage et manquent d’exigences formelles sur les races de vaches.
● Viandes Label Rouge : la qualité supérieure absente pour le porc. Si le Label Rouge est mérité pour les filières volailles et bœuf, il ne l’est pas en revanche pour les productions qui se contenteraient des exigences minimalistes définies pour le porc Label Rouge, des critères importants pour la qualité supérieure tels que la race et l’accès des animaux à l’extérieur étant insuffisamment pris en compte dans les cahiers de charges étudiés.
● Un système de certification sous l’influence des professionnels
Cette incapacité des signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO) à garantir aux consommateurs une information pertinente sur les caractéristiques et qualités des produits labellisés résulte d’un dysfonctionnement majeur du système français de certification. En effet l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), établissement public censé garantir la conformité des SIQO, ne peut contraindre les professionnels à faire évoluer les cahiers des charges de leurs produits. Au sein de l’INAO, les comités chargés de l’examen des cahiers des charges comptent une écrasante majorité de professionnels au détriment des représentants de l’administration et des consommateurs. Enfin, la quasi-totalité des contrôles pour vérifier la conformité des produits est déléguée à des organismes de contrôle très liés aux professionnels de la filière.
La durabilité, parent pauvre des labels alimentaires
Greenpeace France, le WWF France et le BASIC ont réalisé une étude [2] pour évaluer la durabilité de onze démarches alimentaires (labels, certifications, etc.) à l’aide d’une grille d’analyse innovante et systémique. Accessible en ligne, cette grille comprend sept problématiques environnementales (impacts sur le climat, la biodiversité…) et sept problématiques socio-économiques (conditions de travail, impact sur la santé humaine…). Basée sur un travail de revue de littérature conséquent, l’étude croise l’analyse des cahiers des charges et des études d’impacts, avec un ensemble de données issues d’entretiens avec des porteurs des démarches et d’experts des systèmes alimentaires. L’étude montre que de nombreuses démarches alimentaires ont des bénéfices socio-économiques et environnementaux différents de leurs intentions affichées.
Consultez l’étude Greenpeace / WWF France
● Le bio tire son épingle du jeu : Les démarches partageant le socle de l’agriculture biologique (AB, Bio Equitable en France, etc.) obtiennent les bénéfices socio-économiques et environnementaux les plus forts et les plus avérés du fait de leurs impacts positifs notamment sur la santé humaine, la qualité des sols, les ressources en eau, la biodiversité, ou le bien-être animal.
● Haute Valeur Environnementale, des effets faibles et peu avérés : A l’inverse, les démarches partageant le socle de la certification environnementale : Agri Confiance, Zéro Résidus de Pesticides et la certification Haute Valeur Environnementale (HVE), ont les effets positifs les plus faibles et les moins avérés des démarches étudiées. Pour la démarche HVE notamment, si on note un impact positif modéré pour la qualité des sols, on relève en revanche des bénéfices faibles et peu avérés sur les critères de santé humaine et environnementaux (ressources en eau, biodiversité, qualité de l’air, climat …). Les bénéfices ne sont pas démontrables en l’état sur les autres critères socio-économiques (niveau de vie décent, cohésion sociale, etc.).
● Les démarches définies par filière avec de grandes disparités : certaines démarches ont un grand nombre d’impacts positifs tant sur les critères environnementaux que socio économiques. D’autres sont plus en retrait et demandent à être alignés sur les mieux disants. Au regard de l’hétérogénéité des bénéfices des démarches définies filière par filière (Bleu-Blanc-Cœur, Label Rouge, AOP, C’est qui le Patron ? etc.), il est alors difficile pour le consommateur de faire un choix raisonné.
Désirant que les labels alimentaires puissent véritablement servir de repères et de fléchage, Greenpeace France, l’UFC-Que Choisir et le WWF France demandent que les pouvoirs publics :
- Conditionnent le soutien public aux impacts des démarches et non à leurs intentions affichées, tout en accompagnant les démarches d’amélioration.
- Plus particulièrement, suspendent le soutien public à la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) tant que le cahier des charges n’a pas été révisé,
- Révisent les démarches identifiées comme “durables” dans la loi EGalim et dotent la commande publique de plus de moyens financiers afin qu’elle puisse constituer un réel levier pour accompagner la transition agro-écologique.
- S’inspirent de nos cadres d’analyses pour que le futur affichage environnemental garantisse le plus haut niveau d’ambition en matière de protection environnementale
- Intègrent des critères de durabilité environnementale et socio-économique dans les démarches faisant l’objet de valorisation publique tout en renforçant le contrôle du contenu des cahiers des charges
- Révisent la gouvernance des signes officiels (études d’impacts publiques, exigence des contrôles, etc.) en élargissant la représentation de la société civile dans l’élaboration et la gestion des labels.
Notre analyse montre que certains labels et signes de qualité délivrent déjà des impacts positifs sur le plan environnemental et social, et pas uniquement le label AB. L’objectif est donc loin d’être inatteignable, aux acteurs de s’en donner les moyens.
Notes aux rédactions :
[1] Étude réalisée par l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).
[2] Étude réalisée par Greenpeace France, WWF France et le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne)