Le couperet est tombé : les députés de l’Assemblée nationale viennent de voter en faveur du projet de loi agricole, qui accélère non seulement l’industrialisation de notre agriculture mais aggrave aussi la paupérisation du monde paysan. Greenpeace est en particulier très inquiète des reculs environnementaux contenus dans ce texte, dont le sort est désormais entre les mains des sénateurs : Greenpeace les appelle à faire preuve de responsabilité en revenant sur ces régressions afin de ne pas s’enfermer dans une fuite en avant démagogique contre l’écologie.
“Cette loi est un fiasco complet et ne répond pas aux crises environnementales et sociales auxquelles font face les mondes agricoles, s’indigne Sandy Olivar Calvo. Non seulement nous prenons des années de retard dans la nécessaire transition agroécologique puisque cette loi ne propose pas de cap clair pour sa mise en œuvre mais pire, cette loi a surtout servi à détricoter les normes environnementales difficilement acquises ces dernières années [1].”
Pour Greenpeace, cette loi, dans la continuité de la gestion de la crise agricole par le gouvernement, sera le marqueur de l’un des virages contre l’écologie du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Avec ce texte, le gouvernement a fait le choix de ne répondre qu’aux exigences de l’agro-industrie, sans jamais prendre en compte les volontés d’une grande partie du monde agricole (62% des agriculteurs estiment que la transition écologique est une nécessité [2]) et les préoccupations de la société civile (88% des Français sont favorables à développer rapidement une agriculture locale et écologique [3]).
“Nous sommes enfermés depuis plusieurs décennies dans des politiques agricoles qui ne favorisent qu’un seul modèle : l’agriculture industrielle, poursuit Sandy Olivar Calvo. Pourtant, au regard des multiples crises que subissent ce secteur, il est certain que ce système n’est pas le bon. Il ne s’adapte pas au changement climatique et les agriculteurs et agricultrices en sont et en seront les premiers impactés si rien n’est fait rapidement. N’oublions pas non plus qu’en bout de chaîne, ce sont les consommateurs et les citoyens aussi qui en subiront les conséquences [4 et 5].”
Une stratégie politique contre l’écologie
“Le gouvernement a délibérément choisi de négocier le texte afin d’obtenir les voix du groupe Les Républicains, plutôt que d’écouter l’ensemble des forces politiques de l’Assemblée nationale et d’aboutir à un texte qui répond aux besoins des mondes agricoles ! dénonce Sandy Olivar Calvo. En adoptant cette stratégie politique, le gouvernement savait pertinemment que les négociations se feraient au détriment de l’environnement et de l’avenir de notre agriculture. Un choix politique qui prouve, une fois de plus, que ce gouvernement privilégie les calculs politiciens réactionnaires de court terme à une vision ambitieuse, progressiste et écologique de l’agriculture.”
La partie 4 du projet de loi, intitulée “sécuriser, simplifier et libérer l’exercice des activités agricoles”, illustre ce manque de considération écologique. Bien loin d’une simplification administrative, elle démantèle purement et simplement les normes environnementales : dépénalisation des atteintes aux espèces et espaces naturels protégés, accélération des recours en cas de contentieux sur les mégabassines et les projets d’industrialisation de l’élevage, facilitation de l’arrachage des haies… Greenpeace condamne fermement l’ensemble de ce chapitre, qui va à l’encontre des défis écologiques actuels et profite à une minorité d’agro-industriels au détriment de l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation.
Greenpeace appelle à la responsabilité des sénateurs
Le projet de loi doit être débattu en commission des affaires économiques au Sénat les 12 et 13 juin, puis par l’ensemble des sénateurs la semaine du 24 juin. Greenpeace demande au Sénat d’arrêter ce cycle infernal qui vise à détruire l’environnement en prenant sérieusement en considération les risques juridiques concernant l’article 15 [6] et en réinscrivant les objectifs chiffrés de développement des surfaces cultivées en agriculture biologique et de cultures de légumineuses, qui ont été retirés du code rural lors de la réécriture de l’article premier à l’Assemblée nationale [7].
Notes aux rédactions :
[1] Voir “Loi agricole à l’Assemblée nationale : Greenpeace alerte les députés et exige une refonte profonde du texte”, communiqué de presse de Greenpeace France, 13 mai 2024
[2] Voir Enquête de BVA Xsight (en partenariat avec Terra Nova et avec le soutien de Parlons Climat) pour le Collectif Nourrir : “Quelles sont les véritables préoccupations et attentes des agriculteurs ?”, février 2024
[3] Voir sondage BVA pour Greenpeace France, juillet 2021
[4 et 5] Pour rappel, l’agriculture industrielle a des impacts dramatiques sur l’environnement et ne permet pas de régler le mal-être paysan (16 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté monétaire), ni d’assurer le renouvellement des générations (la France a perdu les ¾ de ses agriculteurs ces 40 dernières années et il est souvent difficile de trouver des repreneurs pour les exploitations). Sources : “Entre les ménages agricoles, les inégalités de revenu sont plus fortes que dans la moyenne de la population”, Le Monde, 27 février 2024 et INSEE, Revenus et patrimoines des ménages 2021.
Voir aussi “Les coûts cachés de l’alimentation pour la santé et l’environnement pèsent plus de 10 % du PIB mondial”, Le Monde, 6 novembre 2023
[6] La Défenseure des droits a d’ailleurs jugé que cet article “porte atteinte au droit au recours” en donnant une “présomption d’urgence” aux projets hydrauliques et d’élevage. Elle pointe également des “risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice” (voir l’avis de la Défenseure des droits, avril 2024). Le Conseil d’État avait aussi préconisé l’abandon de ces dispositions dans son avis sur le projet de loi.
[7] Lors de la réécriture de l’article 1er, le gouvernement a validé un amendement réécriture qui a retiré les ambitions chiffrées pour l’agriculture biologique et pour les cultures de légumineuses du code rural. Après un rétropédalage, évoquant le “droit à l’erreur”, le gouvernement a finalement renoté ces objectifs à l’article 8 du projet de loi mais le doute plane sur l’aspect contraignant car ces objectifs ne figurent dorénavant que dans un article programmatique et non plus dans le code rural.