Les débats en première lecture de la loi climat et résilience à l’Assemblée Nationale se sont donc achevés ce samedi avec le chapitre sur la justice environnementale et n’ont malheureusement pas permis d’amélioration significative sur l’ensemble du texte.
Cette loi, tant attendue, réussit l’exploit de faire l’unanimité de la société civile contre elle, et ne permettra pas de rompre avec l’inaction climatique sanctionnée par la justice dans l’Affaire du Siècle.
“Cette loi aurait pu paraître ambitieuse il y a 15 ou 20 ans, mais aujourd’hui elle n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique. L’écologie du quotidien vantée par la ministre Barbara Pompili n’est pas suffisante, nous avons besoin de l’écologie de demain, celle qui prendra ses responsabilités et contribuera à ralentir le cycle infernal du dérèglement climatique”, souligne Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.
“Les débats à l’Assemblée ont révélé combien la majorité parlementaire, le gouvernement et Emmanuel Macron restent sourds aux alertes des scientifiques et de la société civile. Seules des transformations profondes accompagnées d’un réel courage politique pour les mettre en œuvre pourront véritablement nous remettre sur une trajectoire cohérente avec les objectifs de l’Accord de Paris”.
Acculé sur le fond de la loi qu’il porte à l’Assemblée, le gouvernement a même tenté une diversion en s’emparant du classement « Green Future Index » du magazine MIT Technology Review où la France obtient la quatrième place, alors que la méthodologie prend essentiellement en compte les engagements des Etats, et non les résultats.
“Le gouvernement est si mal à l’aise avec son texte de loi qu’il a utilisé de nombreux stratagèmes pour réduire au maximum les discussions, comme limiter à 45h les débats ou juger irrecevables un quart des amendements déposés, privant les députés de la possibilité de rehausser l’ambition de la loi”, ajoute Jean-François Julliard.
Dans sa forme actuelle, cette loi ne permettra pas plus que les mesures prises par ailleurs de faire baisser les émissions de GES de 40% d’ici 2030, et encore moins d’atteindre le nouvel objectif européen (55% de réduction de GES) alors que la science recommande une réduction de 65%. Une récente étude réalisée par le cabinet Carbone 4 a conclu que les mesures adoptées ou envisagées par l’État, notamment dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, ne permettront pas d’atteindre l’objectif global de réduction de 40% des émissions de GES à 2030 par rapport à 1990.
Pour corriger le tir, les sénateurs et sénatrices devront significativement revoir le texte sous peine d’aboutir à une loi incapable de répondre aux urgences climatique et sociale, ainsi qu’aux objectifs officiels du pays.
A part quelques avancées arrachées de haute lutte sur l’introduction de plus de menus végétariens dans la restauration collective, avancées acquises dans le cadre d’une campagne menée depuis plus de trois ans par la société civile et les consommateurs et consommatrices, aucune évolution majeure n’a pu être constatée sur les autres chapitres structurants, les député·es se contentant d’adopter la plupart du temps des amendements dont l’impact sera superficiel :
- “se déplacer”
La proposition retenue d’interdire les vols intérieurs uniquement lorsqu’une alternative de moins de 2h30 en train est possible ne concerne au mieux qu’une poignée de vols intérieurs ce qui engendrerait une baisse infime des émissions du secteur.
Sur le volet extension d’aéroport, malgré des amendements ambitieux de renforcement de l’article actuel, venant de différents groupes politiques qui l’ont défendu, y compris de député·es LREM, l’article n’a pas connu de changements majeurs et reste donc inopérant pour interdire les projets d’extension d’aéroports… alors que c’est ce qu’il prétend faire.
- “consommer / produire”
L’interdiction des publicités commerciales pour les industries fossiles, soit les biens et services les plus polluants (énergie, transports carbonés) réclamée par la CCC a été transformée en interdiction de publicité pour la vente des énergies fossiles (quasi-inexistante aujourd’hui), élargie via des amendements à leur commercialisation et leur promotion, ce qui n’aura donc strictement aucune incidence pour faire véritablement évoluer les réflexes de consommation, tout comme le renforcement des sanctions en cas de greenwashing.
A la place, le texte prévoit des contrats climat qui sont de vagues et aléatoires engagements volontaires des industriels, devenus ainsi juge et partie, qui rendent la transition facultative. D’autant qu’aucun contrôle robuste ni aucune sanction dissuasive ne sont retenus en cas de défaut sur ces engagements.
La totalité des amendements déposés pour encadrer les émissions de GES des grandes entreprises ont été déclarés irrecevables alors même que les motifs du projet de loi énoncent l’objectif de “la transition de nos modèles de production afin qu’ils soient décarbonés […] en renforçant l’encadrement des activités industrielles”
L’ISF climatique, qui permettait de poser le débat fiscal sur la table, a quant à lui été rejeté en commission spéciale.
- “se loger”
Alors que la loi Climat & Énergie, votée en 2019, annonçait la fin des passoires énergétiques, en 2028, il n’en est rien : seuls 2 des 5 millions de logements passoires en France (seuil de performance énergétique F&G) sont concernés par l’interdiction de location progressive d’ici 2028. Pire, pour obliger leurs propriétaires à rénover leur bien, les locataires en situation de précarité devront eux-mêmes saisir la justice !
Pas non plus de changement de paradigme sur la stratégie de rénovation : le gouvernement persiste majoritairement dans une logique incitative des petits gestes comme en témoigne l’absence d’obligation de rénovation performante.
Ni la définition de la rénovation performante retenue dans le projet de loi (qui permettra à des rénovations de logements arrivant à la classe énergétique C de bénéficier d’importantes subventions publiques au lieu de les concentrer sur les rénovations vraiment performantes), ni l’absence de vision à long terme au-delà de 2034 (date à laquelle les logements de classe E seront interdits à la location) ne devraient combler les larges retards de décarbonation du secteur.
L’objectif 2050 d’atteindre le niveau « bâtiment basse consommation » en moyenne sur l’ensemble du parc immobilier s’éloigne de plus en plus ce qui met en péril l’objectif de neutralité carbone de la France.
- “se nourrir”
C’est une des rares avancées du texte qui a pu être amélioré sur cette question.
Au terme des débats, les député·es ont acté une option végétarienne quotidienne obligatoire au 1er janvier 2023 dans les établissements et services de la restauration collective sous la responsabilité de l’Etat qui proposent déjà des choix multiples (services administratifs de l’Etat, CROUS, armées, prisons, hôpitaux, entreprises nationales de type SNCF) et entériné le menu végétarien hebdomadaire, mis en place à titre expérimental suite à la loi EGAlim en 2018, pour les cantines scolaires publiques et privées. Une évolution des référentiels de formation en cuisine pour y inclure les avantages en termes de santé et d’environnement de la diversification des protéines a également été votée.
L’article voté comporte cependant un manquement de taille : les collectivités locales ne sont pas concernées par les obligations. Malgré la détermination de certain·es député·es, les élèves de collèges et lycées ne pourront donc accéder à des options végétariennes que lorsque leurs gestionnaires le décideront.
Mais pour aller plus loin et répondre véritablement à l’urgence environnementale, c’est l’ensemble de la restauration collective, publique et privée, qui devrait proposer une option quotidienne végétarienne, ainsi que deux menus végétariens hebdomadaires pour tous les convives.
- Droit environnemental
Enfin, en cette 1ère lecture, le Parlement a adopté la création de nouveaux délits dont l’objectif affiché était de mieux réprimer et prévenir les atteintes à l’environnement.
Sur ce sujet aussi, la plupart des propositions d’amendements des associations environnementales ont été rejetées.
La création du délit d’écocide, mise en avant par le gouvernement, est un leurre. En réalité, le gouvernement ayant pour seule préoccupation de rassurer les industriels et acteurs étatiques, les délits retenus, qui vont dépendre de l’action de l’Administration, seront impraticables pour que la société civile puisse s’en emparer efficacement.
Face aux risques industriels, exiger de démontrer leur caractère immédiat ou encore une atteinte environnementale d’une durée de 10 ans minimum, constitue en réalité un blanc seing aux pollueurs qui ne sont pas prêts d’être inquiétés par la justice.
Greenpeace France soutenait aussi la création d’une procédure pour permettre à la société civile d’accéder aux informations environnementales efficacement. La transparence et l’information constituent le socle de notre démocratie, le rejet de cet amendement illustre bien une volonté du gouvernement de préserver des intérêts privés au mépris de l’intérêt général.