Mordue de viande, l’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja
Derrière la viande, les œufs et les produits laitiers consommés en Europe se cache un phénomène massif de déforestation qui alimente la crise climatique et la disparition du vivant. C’est ce que démontre Greenpeace France dans un rapport publié aujourd’hui et intitulé « Mordue de viande, l’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja ». Ce dernier reprend et compile les données existantes concernant la déforestation et la destruction d’écosystèmes en Amérique du Sud liées à la culture et aux importations de soja, ainsi qu’à la production de viande et produits laitiers au sein de l’Union européenne.
« Le système d’élevage intensif et la surconsommation de viande, d’œufs et de produits laitiers au sein de l’Union européenne nous a conduit à une situation destructrice pour le climat et la biodiversité, explique Cécile Leuba, chargée de campagne Forêts chez Greenpeace France. Afin de nourrir les millions de poulets, cochons, vaches laitières… élevés chaque année au sein de l’UE, on importe des millions de tonnes de soja qui ont potentiellement contribués à la destruction d’écosystèmes précieux et uniques comme le Cerrado brésilien ou encore le Chaco. Cette situation est d’autant plus inacceptable que cette production de soja se fait à grands renforts d’OGM et de pesticides, dont certains sont même interdits en Europe. Imaginez, pour produire 100 grammes de poulet, il aura fallu 109 grammes de soja, c’est aberrant ! ».
Après l’Amazonie, le Chaco et le Cerrado menacés
La demande mondiale de soja a explosé depuis 20 ans, tirée par la demande d’aliments destinés aux élevages industriels. L’Union européenne, deuxième importateur mondial, fait entrer en moyenne chaque année sur son territoire 33 millions de tonnes de soja. 87 % du soja consommé dans l’UE est destiné à l’alimentation animale, dont près de 50 % pour la volaille (poulets de chair et poules pondeuses), suivie par les porcs (24 %), les vaches laitières (16 %) et les bovins allaitants (7 %). Le reste (4 %) sert à nourrir le poisson d’élevage et à la production d’autres viandes.
L’Amazonie brésilienne, longtemps victime du soja, fait l’objet d’un moratoire depuis 2006 qui s’est avéré efficace pour endiguer la déforestation. Mais le soja y reste une cause indirecte de déforestation et le gouvernement de Bolsonaro fait peser de sérieuses menaces sur la forêt amazonienne. Surtout, l’exploitation du soja s’est développée dans d’autres régions comme le Gran Chaco, la plus grande forêt sèche d’Amérique latine, et le Cerrado, une savane brésilienne précieuse, qui abrite l’une des plus grande biodiversités au monde. Ce dernier a déjà perdu près de la moitié de sa végétation d’origine, environ 88 millions d’hectares, soit la taille du Venezuela.
Réduire notre consommation de protéines animales pour des animaux réellement nés, élevés et nourris localement
Vu les niveaux de consommation actuels, relocaliser en Europe la production de soja nécessaire à nourrir nos animaux d’élevage n’est pas envisageable. Pour la France uniquement, qui importe chaque année entre 3,5 et 4,2 millions de tonnes de soja, cela reviendrait à consacrer les terres agricoles de trois départements français (1) à cette unique culture, au détriment des cultures destinées à l’alimentation humaine.
« La seule solution est de réduire drastiquement notre consommation de viande et de produits laitiers et de favoriser l’élevage écologique et paysan, complète Cécile Leuba. Produire moins de viande mais de meilleure qualité, d’autant plus que les Européenne.s en consomment beaucoup trop aujourd’hui. C’est seulement comme ça que nous serons en capacité de produire localement les protéines nécessaires à l’alimentation animale et d’avoir réellement des animaux, nés, élevés et nourris localement. ».
Mettre en place des politiques ambitieuses pour favoriser la transition de l’élevage et lutter contre la déforestation
La réduction de la production de protéines animales et la transition d’un modèle intensif vers un élevage écologique et paysan nécessitent des incitations politiques et financières et un accompagnement des éleveurs. C’est le rôle de la Politique agricole commune, dont la nouvelle mouture est en discussion au Conseil des ministres et au Parlement européen. Greenpeace France demande ainsi la fin des subventions aux modèles productivistes pour enfin permettre cette transition vers un élevage écologique.
Les entreprises ont fait la preuve de leur incapacité à garantir que le soja qu’elles utilisent n’a pas contribué à la déforestation (2), malgré leurs promesses et engagements. Il est donc de la responsabilité des gouvernements de s’assurer que les matières premières importées n’ont pas contribué à la déforestation.
« Le gouvernement se targue d’agir contre la déforestation, or aujourd’hui personne n’est en mesure de garantir que le soja importé en France n’y a pas contribué, pointe du doigt Cécile Leuba. Le gouvernement français doit immédiatement appliquer les grands principes énoncés dans sa Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI). Pour réduire la dépendance aux importations toxiques de soja, il doit également mettre en place un Plan Protéines Végétales ambitieux en favorisant le développement de légumineuses diversifiées et adaptées aux territoires, tant pour nourrir les animaux que les humains.».
[1] Le Morbihan, les Côtes d’Armor et le Finistère
[2] Voir le rapport « Countdown to Extinction », publié par Greenpeace International le 11/06/19.