Le gaz naturel liquéfié (GNL), énergie fossile qui aggrave la crise climatique, connaît un boom retentissant depuis la guerre en Ukraine. Dans une investigation publiée jeudi 27 avril ,intitulée “À qui profite la guerre ? Comment les entreprises gazières tirent profit de la guerre en Ukraine”, Greenpeace International analyse l’évolution du commerce de GNL entre les États-Unis et l’Union européenne.
Ce rapport détaille un système énergétique toxique qui sert les intérêts des pollueurs, aux dépens des populations et du climat. Il expose toutes les parties du système, depuis les communautés qui souffrent de la fracturation hydraulique pour le gaz de schiste aux États-Unis, jusqu’aux intermédiaires de l’industrie gazière (le Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport, l’ENTSOG) qui manipulent et sapent les politiques climatiques et énergétiques européennes, en passant par les ménages qui devront une fois de plus mettre la main au porte-monnaie alors que les entreprises pétro-gazières engrangent des bénéfices records. Les États-Unis prévoient ainsi de doubler leur capacité d’exportation, tandis que l’UE fait plus que doubler sa capacité d’importation.
« Depuis le début de la guerre en Ukraine, les entreprises gazières se frottent les mains tandis que l’Union européenne, en passant de la dépendance russe à la dépendance américaine, maintient avant tout son addiction aux énergies fossiles. Pendant ce temps, notre capacité commune à maintenir des niveaux de réchauffement viables s’éloigne toujours davantage », commente Edina Ifticene, chargée de campagne Énergies fossiles chez Greenpeace France. Greenpeace demande l’arrêt immédiat du développement des contrats et des infrastructures gazières aux États-Unis et en Europe.
Retrouver le résumé en français du rapport et le rapport complet en anglais
Un gaz superflu aux effets délétères sur le climat
En réalité, la plupart des projets gaziers proposés (production et infrastructures) ne pourront pas être opérationnels à temps pour éviter les pénuries d’énergie à court terme provoquées par la guerre en Ukraine et ne se concrétiseront qu’en 2026, ce qui sera trop tard pour compenser l’insuffisance de l’offre actuelle.
Cependant, les effets de ce boom du GNL auront des impacts à très long terme, notamment sur le climat. Actuellement, huit terminaux de gaz liquéfié sont en construction en Europe et 38 autres ont été proposés. Si l’intégralité de ces terminaux sont construits, ils émettront chaque année 950 millions de tonnes d’équivalent CO2, augmentant les émissions totales de CO2 de l’UE de 32 % par rapport à 2019.
De plus, les États-Unis ont approuvé des projets qui, s’ils sont réalisés, doubleront leur capacité d’exportation de gaz liquéfié pour la porter à 439 milliards de mètres cubes par an, avec des émissions annuelles (tout au long de leur cycle de vie) équivalentes à celles de 393 millions de voitures. D’ici à 2030, les exportations américaines de gaz liquéfié pourraient à elles seules dépasser les volumes mondiaux estimés acceptables par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans ses scénarios zéro émission nette.
Des impacts gravissimes pour la santé des populations locales
Le rapport met également en évidence les effets considérables de ce boom du GNL américain sur la santé et la sécurité des communautés locales. Tout en interdisant des méthodes néfastes comme la fracturation hydraulique et le recours au gaz de schiste sur leur territoire, les pays européens encouragent le recours à ces méthodes aux États-Unis. Au Texas, au Nouveau-Mexique et en Louisiane, l’extraction et le transport de gaz liquéfié ont engendré une détérioration de la qualité de l’air, une contamination de l’eau et une augmentation du risque de maladies respiratoires, de problèmes à la naissance et de cancers dans ces populations, dont la plupart sont racisées, autochtones et ont de faibles revenus.
John Beard, défenseur de la communauté de la région de Port Arthur, vivant à proximité du plus grand terminal d’exportation américain, Sabine Pass LNG, d’un terminal en construction, Golden Pass LNG, et du projet Port Arthur LNG (tous situés dans un rayon de 10 km) rappelle ainsi : « Le ’freedom gas’ (gaz de la liberté comme l’appelle l’industrie) n’existe pas. Il a un coût. Ce coût, c’est la vie et la santé des habitants du sud du Golfe du Mexique ainsi que des conséquences climatiques mortelles dans le monde entier ».
La France, pays européen le plus addict au GNL américain
La France a plongé la tête la première dans le GNL des États-Unis, gaz de schiste compris, malgré son interdiction de production dans l’Hexagone. Elle est ainsi devenue le 1er importateur mondial de GNL américain en 2022. À l’échelle européenne (en incluant le Royaume-Uni), ce sont 69 milliards de mètres cubes (bcm) de GNL américain qui ont été importés en 2022 et la France représente presque un quart de ces importations (23,5%), suivie par le Royaume-Uni (19%) et l’Espagne. Le GNL américain représente près de 50% du GNL livré en France en 2022, avec 16,2 bcm venant des États-Unis, 7,4 bcm de Russie, 4,4 bcm d’Algérie, 2,2 bcm du Qatar, 1,3 bcm du Nigéria, 1,1 bcm d’Angola, 1,1 bcm de Norvège, 0,8 bcm d’Egypte et 0,4 bcm de Trinidad. Des quantités moindres sont aussi arrivées de Guinée équatoriale, d’Oman et du Pérou en 2022.
L’augmentation importante des importations de GNL américain en France et au sein de l’UE avait commencé bien avant le début de la guerre en Ukraine. La trajectoire de cette politique énergétique semble s’installer sur le long terme puisqu’il est prévu que les exportations américaines continuent d’augmenter, engendrant le développement de capacités de liquéfaction et d’exportation supplémentaires aux États-Unis. La France va également se doter en septembre 2023 d’une nouvelle infrastructure gazière avec le terminal flottant (FSRU Cape Ann affrété par TotalEnergies), dans le port du Havre, officiellement pour une durée de cinq ans, et compte investir dans l’extension ou le dégoulottage de certains terminaux existants (la France possède déjà quatre terminaux d’importation de GNL sur son territoire).
« Emmanuel Macron avait annoncé en février 2022 que la France deviendrait en 30 ans la première grande nation à sortir des énergies fossiles, rappelle Edina Ifticène. La politique énergétique mise en place par le gouvernement français est en complète contradiction avec ces annonces ». Dans ce rapport, Greenpeace formule une série de recommandations à destination des décideurs américains et européens afin de mettre en place de toute urgence une politique de sortie du gaz et de toutes les autres énergies fossiles, seule solution face au changement climatique.