« Une batterie dans un caillou ». Voilà comment la compagnie canadienne The metals company qualifie les nodules polymétalliques, ces petites formations rocheuses que l’on trouve dans certains grands fonds marins. Constitués de métaux utilisés dans la fabrication des batteries et de certaines technologies vertes, ces fameux nodules attisent la convoitise des industriels qui voudraient voir démarrer leur exploitation commerciale au plus vite, dès cet été.
Dans un rapport publié ce lundi 13 mars, intitulé ‘Ruée vers les métaux des grands fonds. Réflexions sur l’exploitation minière en eaux profondes’, Greenpeace Allemagne réfute cet argumentaire et met en lumière le fait que les grands fonds marins ne fourniront pas les métaux nécessaires à la transition vers des modes de transports électriques ou les technologies vertes.
« Nous ne sauverons pas la planète en détruisant les océans, commente François Chartier, chargé de campagne Océans chez Greenpeace France. La transition énergétique et la lutte contre le changement climatique doivent se faire via une utilisation raisonnée des métaux nécessaires, axée principalement sur la sobriété, le recyclage et l’économie circulaire. Nous n’avons pas besoin d’ouvrir un nouveau front de destruction de l’environnement pour cela ».
Les négociations internationales visant à autoriser ou non l’exploitation minière en eaux profondes reprennent ce jeudi 16 mars au sein de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), à Kingston, en Jamaïque.
Un potentiel de ressources important mais incomplet et à usage limité
Ce rapport, rédigé par l’Institut Oeko de Fribourg (Allemagne), démontre que les nodules polymétalliques, en particulier ceux de la zone de Clarion-Clipperton, dans le Pacifique, constituent le gisement en eaux profondes suscitant le plus vif intérêt, tant du point de vue de l’approvisionnement en ressources que des perspectives économiques. Cependant, si le potentiel des ressources est très élevé et excède en partie les réserves terrestres, cela ne signifie pas que l’exploitation de tels volumes est réaliste. Même une fois les concessions d’exploitation accordées, les projets d’extraction minière ne pourront utiliser en réalité qu’une fraction de ces métaux.
En effet, un grand nombre de métaux contenus dans ces nodules ne pourront vraisemblablement pas être extraits au cours du processus métallurgique pour un usage commercial. C’est le cas pour le lithium, essentiel pour les batteries électriques mais présent en trop faible quantité pour être exploité. De plus, d’autres éléments indispensables aux batteries, comme le graphite ou les terres rares, ne sont pas présents dans ces nodules. Ainsi, les seuls métaux exploitables sont le cobalt, le nickel, le cuivre et le manganèse ; seul le cobalt serait nécessaire en quantité importante pour les usages spécifiques de la transition.
La constitution des batteries évolue
De plus, si le cobalt et le nickel entrent aujourd’hui dans la composition de nombreuses batteries Li-ion, les plus répandues sur le marché, ils peuvent tous deux être remplacés par d’autres matériaux dont l’approvisionnement est moins sous tension. En effet, la quantité moyenne de cobalt dans les batteries Li-ion a déjà été réduite au cours des dernières années afin de limiter les coûts de fabrication, et on trouve sur le marché des batteries Li-ion entièrement dépourvues de cobalt et de nickel.
Étant donné que l’extraction minière en eaux profondes, si elle était autorisée cette année, ne sera pas en mesure de fournir des quantités suffisantes de matières premières avant 2030, il se peut que les choix qui se portent aujourd’hui sur le cobalt et le nickel ne soient pas en adéquation avec les réalités de demain. En résumé, il se peut qu’on ait finalement beaucoup moins besoin de ces métaux que ce que projette The metals company.
Inclure la sobriété et le recyclage dans les scénarios
Ces différents éléments démontrent avec certitude qu’une décision défavorable à Kingston vis-à-vis de l’exploitation minière en eaux profondes ne sonnera pas le glas de la production mondiale des batteries Li-ion, ni des projets en faveur des technologies d’énergies vertes qui en dépendent. De plus, il est primordial de mettre davantage l’accent sur d’autres stratégies pour un approvisionnement durable en métaux, basé sur le recyclage et la sobriété.
« Repenser des schémas de transports en commun, plutôt que de miser sur une vision productiviste visant à remplacer chaque véhicule thermique par un gros SUV électrique, développer un système mondial de reprise et de recyclage, favoriser la durabilité et la réparabilité des produits sont autant de pistes à prioriser. Une chose est certaine : en aucun cas l’exploitation minière des océans ne nous apportera une solution à la crise climatique. Elle ne fera que l’aggraver » , conclut François Chartier.