Depuis le début de l’épidémie du COVID19, les compagnies aériennes européennes ont déjà négocié au moins 12,8 milliards d’euros d’aides de la part des gouvernements européens, sans qu’aucune condition environnementale contraignante n’y soit le plus souvent associée. C’est ce que démontre un outil de suivi publié aujourd’hui par Greenpeace, Transport & Environment et Carbon Market Watch. Cet outil fournit une liste complète des aides accordées aux compagnies aériennes [1] selon les informations disponibles publiquement à ce jour – les montants augmenteront encore puisque de nombreuses négociations sont en cours.
En France, la question du soutien financier aux entreprises polluantes est au coeur de l’actualité, alors que le projet de loi de finances rectificative doit être discuté ce jour au Sénat. Une enveloppe de 20 milliards est prévue pour recapitaliser les entreprises dont Air France, sans que, là encore, aucune contrepartie environnementale et sociale contraignante ne soit requise. Un véritable chèque en blanc alloué par le gouvernement et sa majorité parlementaire aux grands pollueurs. Hier encore, le Haut Conseil pour le climat appelait le gouvernement à conditionner les aides publiques destinées aux entreprises, dont l’aérien, à « des plans précis » en faveur du climat.
Pour Air France, l’outil de suivi rappelle qu’une garantie de prêt par la France et les Pays Bas, d’un montant d’au moins 6 milliards d’euros, est également en cours de discussion.
Pas de soutien public sans contrepartie climatique et sociale
Le soutien ponctuel de l’Etat aux entreprises polluantes, comme les entreprises aériennes, doit servir en priorité à protéger les salariés impactés et être conditionné à une interdiction stricte de distribution de dividendes.
De plus, les aides accordées à des entreprises très émettrices comme Air France, devraient être conditionnées impérativement à la mise en oeuvre d’un plan de transformation compatible avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris, les contraignant à réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre.
Interdire les vols court-courriers
Le secteur aérien est l’un des secteurs dont la contribution aux émissions de gaz à effet de serre (GES) a le plus fortement augmenté au cours des deux dernières décennies, et ce à tous les niveaux (mondial, régional et local) [2], avec une augmentation de 26% des émissions en Europe au cours des cinq dernières années [3].
“Dans un secteur aussi émetteur que l’aérien, les demi-mesures ne suffisent pas, rappelle Sarah Fayolle, chargée de campagne Transports pour Greenpeace France. Il faut nécessairement réguler et réduire le trafic aérien. C’est pourquoi Greenpeace est favorable à une interdiction des liaisons aériennes court-courriers quand une alternative plus écologique existe, notamment en train de jour ou de nuit”.
Il est aussi indispensable de mettre un terme aux avantages fiscaux dont bénéficie le secteur au détriment d’autres modes de transport plus écologiques comme le train, et malgré les bénéfices conséquents accumulés par de nombreux dirigeants et actionnaires du secteur. Les 20 plus grandes compagnies aériennes (basées dans l’Espace économique européen et au Royaume-Uni) ont réalisé un bénéfice combiné d’au moins 33 milliards d’euros durant ces cinq dernières années.
Synthèse des demandes prioritaires de Greenpeace relatives au sauvetage du secteur aérien en Europe
- Les aides financières d’urgence accordées au secteur aérien doivent servir à maintenir l’emploi et assurer la protection sociale et les revenus des salariés impactés. De plus, des plans de transformation des entreprises aériennes soutenues doivent être établis pour organiser la nécessaire réduction du trafic aérien en prenant en compte les enjeux sociaux, en lien avec les syndicats ; des fonds de transition doivent être prévus pour la formation et la reconversion des travailleurs impactés vers des emplois dans des secteurs cohérents avec le défi climatique.
- Tout soutien public aux entreprises, notamment du secteur aérien, doit être conditionné à la suspension de distribution de dividendes puis à leur encadrement à moyen terme, et à l’interdiction de rachat d’actions ou d’augmentation des salaires ou bonus des dirigeants.
- Le secteur aérien doit s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris et notamment l’objectif de limiter la hausse moyenne des températures au plus près de 1.5°C. Cela implique des objectifs annuels contraignants de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et une baisse significative du trafic aérien par rapport aux niveaux connus avant la crise. A cet égard, les vols courts (vols domestiques ou entre pays voisins) doivent être interdits quand une alternative, notamment en train, existe – et ces alternatives doivent être développées pour que l’interdiction des vols courts puissent être généralisée au plus vite.
- Un plan solide de développement des réseaux de trains de jour et de nuit, des transports publics, des mobilités douces comme le vélo, et de l’intermodalité, est indispensable et devra être la priorité pour la relance du secteur des transports, aux échelles nationale et européenne. Cela suppose un investissement public massif dans ces modes de transport plus écologiques. Mais également des mesures fiscales pour mettre fin notamment aux avantages dont bénéficie injustement le secteur polluant de l’aviation – les ressources ainsi dégagées devraient être investies par les Etats Membres et l’Union européenne pour rendre accessible à toutes et tous un système de transport plus respectueux du climat.
Notes aux rédactions
[1] Cet outil n’intègre pas le soutien accordé par certains Etats aux entreprises en difficulté (dont les entreprises aériennes), au travers par exemple du financement du chômage partiel, ni les mesures éventuelles permettant le report de paiement des taxes. Il se concentre sur les prêts, garanties de prêts ou recapitalisations/nationalisations concernant spécifiquement le compagnies aériennes.
[2] https://theicct.org/publications/co2-emissions-commercial-aviation-2018
[3] https://www.transportenvironment.org/news/airlines-are-biggest-carbon-emitters-four-european-countries