La véritable histoire de Standing Rock
La Résistance sioux
Cette poursuite-bâillon d’Energy Transfer contre Greenpeace cherche aussi à réécrire l’histoire du mouvement d’opposition à la construction de cet oléoduc, mené par le peuple autochtone sioux de Standing Rock en 2016-2017.
Dès le début de la construction de ce “serpent noir”, la résistance des peuples autochtones s’organise. Le tracé de cet oléoduc – destiné à transporter le pétrole produit dans l’ouest du Dakota du Nord jusque dans l’Illinois, sur près de 2000 km – passe à proximité du territoire sioux de Standing Rock et des réservoirs d’eau de sa population. Au printemps 2016, des membres de la communauté sioux installent un premier campement sur le site de construction pour préserver l’environnement, l’eau et l’héritage amérindien.
Pendant plusieurs mois, des milliers de manifestant·es rejoignent la résistance sioux, l’opposition internationale contre le pipeline prend de l’ampleur et les médias du monde entier relaient la lutte des peuples amérindiens pour défendre leurs terres. Le hashtag #NoDAPL devient le cri de ralliement des jeunes « water protectors » (protecteurs de l’eau) sur la toile.
Réaction de l’ONU
En septembre 2016, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des peuples autochtones demande aux États-Unis de suspendre la construction de cet oléoduc, citant les risques importants pour l’eau potable de la tribu sioux de Standing Rock et la destruction potentielle de leurs cimetières et de leurs sites sacrés. En octobre 2016, des représentants des Nations unies se rendent à Standing Rock et font part de leurs inquiétudes concernant la souveraineté autochtone. En novembre, les Nations unies dénoncent un usage excessif et injustifié de la force contre les manifestant·es à Standing Rock.
L’argument central des poursuites engagées par Energy Transfer est que Greenpeace – et non la tribu sioux de Standing Rock ou les protecteurs de l’eau autochtones – était l’instigatrice des manifestations à Standing Rock. Cette affirmation est à la fois ridicule et profondément raciste.
« Qu’il s’agisse de l’or des Black Hills, de l’hydroélectricité du Missouri ou des oléoducs qui menacent notre héritage ancestral, nos tribus ont toujours payé le prix de la prospérité de l’Amérique. »Dave Archambault, chef de la communauté sioux de Standing Rock
La vérité est que l’un des mouvements de protestation les plus puissants de l’histoire récente a été initié et organisé par des militant·es autochtones qui vivent en première ligne de l’expansion des énergies fossiles et sont confronté·es depuis des siècles à des politiques gouvernementales qui les dépossèdent de leurs terres et de leur culture.
Greenpeace solidaire des mouvements autochtones
Greenpeace ne faisait pas partie des organisateurs des manifestations de Standing Rock et n’a dirigé aucune des activités qui s’y sont déroulées. À la demande des dirigeants des manifestations, Greenpeace a soutenu des militant·es autochtones qui ont organisé des formations à la non-violence. Conformément à son principe fondateur de non-violence, Greenpeace ne s’est à aucun moment engagée dans la destruction de biens ou la violence.
Les déclarations de solidarité avec le peuple sioux auxquelles a pu adhérer Greenpeace, qualifiées de “diffamatoires” par Energy Transfer, avaient pour but de soutenir la communauté de Standing Rock et les autres nations autochtones qui s’opposaient à l’oléoduc. Toutes ces déclarations relèvent du droit à la liberté d’expression, protégé par la Constitution des États-Unis. Le droit de la société à s’exprimer sur des sujets qui concernent l’intérêt général ne doit pas être bafoué ou limité, même lorsque ce n’est pas du goût d’entreprises aux poches bien remplies.
En s’attaquant à ces déclarations de soutien, le procès cherche à briser les réseaux et le soutien mutuel qui font la force de nos mouvements sociaux, et à dissuader les citoyens et citoyennes de tout simplement se porter solidaires d’une cause.
Ce que veut Energy Transfer, ce n’est pas obtenir justice : c’est étouffer toute contestation
Depuis 2016, des lois anti-manifestation contre les énergies fossiles ont été promulguées dans pas moins de 18 États américains. Partout dans le monde, à l’heure où s’intensifie la lutte globale contre l’industrie des combustibles fossiles, responsable du changement climatique, celle-ci redouble d’efforts pour préserver ses profits et limiter les espaces de contestation.
L’ONG Business & Human Rights Resource Center a recensé en 2021 l’existence de 355 cas s’apparentant à des procédures-bâillons dans le monde depuis 2015. Ces procès d’intimidation ont été intentés par des acteurs du monde des affaires contre des organisations, des individus ou des groupes liés à la défense des droits humains ou de l’environnement.
Plus récemment en France, TotalEnergies a tenté de poursuivre Greenpeace France en justice pour avoir remis en question la véracité de son bilan carbone. Le tribunal judiciaire de Paris a annulé la procédure.
Energy Transfer a d’abord porté plainte en 2017 contre le chef Archambault et les « protecteurs de l’eau », mais sa plainte a été rejetée. L’entreprise a alors lancé des premières poursuites contre Greenpeace, au niveau fédéral, sur la base de la loi américaine sur les organisations motivées par le racket et la corruption. Cette loi, connue sous le nom de « loi RICO », vise à lutter contre la criminalité organisée et la mafia… Le juge fédéral ayant rejeté cette poursuite en 2019, Energy Transfer s’est alors tournée vers la justice de l’État du Dakota du Nord, et le procès devrait débuter en février 2025.
Par ailleurs, cette action en justice pourrait avoir fait partie d’un effort coordonné pour s’en prendre à Greenpeace en particulier. Le cabinet d’avocats qui représentait Energy Transfer au niveau fédéral représentait aussi l’entreprise Resolute Forest Products, qui avait intenté une action similaire contre Greenpeace l’année précédente. Greenpeace a finalement gagné ce procès en 2023, et l’affaire a été définitivement résolue en 2024 après près d’une décennie de litiges. Le cabinet en question (Kasowitz Benson Torres, fondé par l’un des avocats personnels de Donald Trump) a déclaré à Bloomberg qu’il était en contact « avec d’autres entreprises » qui envisagent de poursuivre Greenpeace.
Rappelons aussi que l’une des premières mesures prises par Donald Trump après son arrivée au pouvoir a été d’autoriser la construction de l’oléoduc, début 2017. Le PDG d’Energy Transfer, Kelcy Warren, avait fait un don de 250 000 dollars à l’occasion de l’investiture de D. Trump, puis permis de lever 10 millions de dollars pour la seconde candidature de D. Trump en 2020. La construction a été achevée et l’oléoduc est entré en service en juin 2017.
Procédure-bâillon contre pouvoir citoyen
Depuis la mise en service de l’oléoduc en 2017, le pétrole coule à flot. Mais la tribu sioux de Standing Rock a continué à se battre. Elle a poursuivi son action en justice et, en 2020, un juge fédéral américain a remis en question le permis d’exploitation, dans l’attente de la réalisation d’une étude d’impact environnemental complète sur le passage de l’oléoduc. Toutefois, l’ordre de fermer l’oléoduc n’a pas été confirmé. Aujourd’hui, le peuple sioux de Standing Rock continue d’exiger l’arrêt de l’oléoduc et la réalisation d’un examen environnemental en bonne et due forme.
Comme toutes les poursuites-bâillons, l’actuel procès sans fondement d’Energy Transfer contre Greenpeace est une attaque contre les deux piliers sur lesquels repose la défense des intérêts publics : la liberté d’expression et la protestation pacifique. Un jugement défavorable dans cette affaire pourrait avoir des répercussions désastreuses pour Greenpeace, mais aussi pour toute personne qui voudrait simplement prendre part à une manifestation ou oserait s’exprimer contre un acteur privé aux moyens importants.
Ce procès constitue une tentative désespérée de faire taire Greenpeace pour la détourner de son travail de campagne et l’épuiser avec des procédures judiciaires longues et coûteuses. Malgré ces plaintes abusives, Greenpeace ne se détournera pas de son combat pour la justice environnementale, climatique et sociale. D’ailleurs, Greenpeace International, la maison mère de Greenpeace dont le siège se trouve aux Pays-Bas, a décidé de ne pas se laisser faire : si Energy Transfer ne retire pas les poursuites à son encontre, Greenpeace International aura recours à la directive européenne contre les procédures-bâillons, récemment entrée en vigueur. Elle serait ainsi la toute première ONG à utiliser ce nouvel outil juridique de protection de la liberté d’expression.
Pour soutenir Greenpeace face à cette tentative d’intimidation de l’industrie des énergies fossiles, vous pouvez rejoindre le mouvement international de solidarité en signant notre pétition :