La raffinerie de Total à La Mède, dans les Bouches-du-Rhône, est sur le point d’être mise en service. Le gouvernement français a autorisé Total à y importer jusqu’à 550 000 tonnes d’huile de palme pour la fabrication d’agrocarburants. Le 5 juillet 2018, nous déposions un recours devant le Tribunal administratif de Marseille pour annuler l’arrêté créant cette bioraffinerie climaticide, autorisée dans des conditions inadmissibles. Cette semaine, nous demandons des comptes au ministère de la Transition écologique et solidaire, ainsi qu’au préfet des Bouches-du-Rhône. Ce projet controversé est emblématique d’une politique industrielle française totalement déconnectée des grandes urgences écologiques.
« Les huiles végétales seront introduites dans le système, puisque maintenant tout est opérationnel », disait il y a quelques jours Patrick Pouyanné, PDG du groupe Total, à propos de la raffinerie de la Mède dans les Bouches-du-Rhône. De quelle huile végétale s’agit-il ? De la tristement célèbre huile de palme, connue pour être l’une des causes principales de la déforestation dans le monde. 85% de l’huile de palme utilisée dans le monde vient de l’Indonésie et de la Malaisie, en Asie du Sud-Est.
Le 21 mars 2019, la première cargaison d’huile de palme brute importée par bateau d’Indonésie arrivait sur le site de la raffinerie. Ces dernières semaines, les citoyennes et citoyens vivant à proximité du site ont eu le plaisir de voir s’en élever une flamme, accompagnée d’une fumée noire. Ces épisodes prolongés de torchage décrits par Total comme préalables à la mise en service du site sont un signe de plus que l’ouverture de la raffinerie se précise, malgré la volonté de l’Union Européenne et du Parlement français de mettre un terme à l’incorporation d’huile de palme dans les carburants.
De l’huile de palme sale directement importée d’Indonésie
Total prétendait n’importer que de l’huile de palme durable à la Mède. Premier problème parmi tant d’autres : l’huile de palme livrée en mars dernier à la Mède provient d’une filiale du groupe Apical, grand exportateur indonésien, évalué dans un des rapports de Greenpeace et pointé du doigt pour ses manquements en matière de lutte contre la déforestation.
Il faut ajouter que la mise en service de cette raffinerie et les importations massives d’huile de palme qu’elle implique ont lieu à un moment où le gouvernement indonésien entrave toute réforme de l’industrie de l’huile de palme et veut saper la transparence déjà fragile du secteur. Dans ces conditions, impossible de s’assurer que l’huile de palme importée n’est pas responsable de la destruction des forêts tropicales.
Cette situation constitue une preuve de plus que c’est aux pays importateurs d’imposer un système strict de traçabilité. La France en particulier doit mettre en œuvre les engagements pris au sein de la Stratégie nationale contre la déforestation importée, qui reste pour l’instant une déclaration de bonnes intentions non suivie d’effets.
L’huile de palme durable dans les carburants n’existe pas
La culture du palmier à huile entraîne une déforestation telle qu’il est impossible de parler d’huile de palme durable sur le sujet des agrocarburants. Le « biodiesel » que Total veut produire à La Mède n’a strictement rien de « bio » : il serait responsable de trois fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que des carburants fossiles conventionnels et aurait donc un impact catastrophique sur le climat.
Total, entre intox et mauvaise foi
Ces derniers mois, Total se plaît à défendre l’huile de palme pour tenter de justifier l’injustifiable projet de La Mède. Quitte à proférer quelques contre-vérités sur la nature du projet et sur l’impact environnemental de l’huile de palme.
Total feint par exemple de ne pas comprendre que le débat autour des agrocarburants s’articule essentiellement autour de ce qu’on appelle l’effet CASI, acronyme qui renvoie au changement d’affectation indirecte des sols.
Le nœud du problème est le suivant : utiliser des terres agricoles qui servaient auparavant à la production de nourriture pour la production d’agrocarburants crée un effet de déplacement des cultures alimentaires dans d’autres zones. Ce déplacement se fait souvent au détriment de forêts ou d’écosystèmes précieux, et contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre qui alimentent la crise climatique.
C’est ce phénomène qui a poussé l’Union européenne a faire machine arrière avec le Règlement délégué du 13 mars 2019 : désormais, l’huile de palme utilisée dans les carburants n’est plus présumée durable. En effet, lorsqu’on parle d’effet indirect, on pointe du doigt le fait que le surplus de demande d’huile de palme généré par le marché des agrocarburants a un impact sur l’affectation des sols au bout du compte. Par conséquent, peu importe les certifications ou les pratiques du fournisseur en huile de palme, car elles concernent les effets directs sans prendre en compte les effets indirects, à savoir le déplacement de la chaîne de production toujours plus loin dans la forêt pour satisfaire la demande préexistante, alimentaire par exemple.
De son côté, Total, par la voix de son responsable communication, répond aux critiques par la pirouette rhétorique suivante : « si nous ne le faisons pas, d’autres le feront » ! Traduction : autant générer nous-mêmes cette déforestation et cette destruction du climat. Voilà qui ne laisse plus subsister aucun doute sur l’esprit de prédation économique qui guide les décisions de l’entreprise.
Le gouvernement français empêtré dans ses contradictions
Le gouvernement français avait également promis que l’huile de palme utilisée à la Mède serait “durable”. Outre la contradiction dans les termes même (à cause de l’effet CASI, il est illogique de prétendre que l’huile de palme durable existe dans les agrocarburants), les récents développements tendent à montrer qu’il s’agissait d’un écran de fumée destiné à préserver les intérêts de Total, sans garde-fou sérieux. Le gouvernement français doit maintenant réagir et mettre un terme à ce désastre écologique.
Lors de son discours de politique générale du 12 juin 2019, le Premier ministre Edouard Philippe a déclaré vouloir être jugé sur des actes. Que penser d’un gouvernement qui parle d’une accélération sur l’écologie mais qui,dans les faits, donne carte blanche à des multinationales comme Total ? Comment ne pas parler de République des Pollueurs quand le gouvernement français ne s’oppose pas à des projets qui constituent une aberration écologique à plusieurs niveaux ? Faut-il comprendre que ce gouvernement donne priorité à la protection de Total et à la vente d’armes à des pays producteurs d’huile de palme, plutôt qu’à l’urgence d’enrayer la crise climatique et de lutter contre la déforestation ?
Greenpeace à la chasse aux informations
En fin d’année 2018, nous adressions une première demande de communication faite auprès du Ministère de la transition écologique et solidaire. Nous souhaitions notamment obtenir des détails sur la provenance de l’huile de palme qui doit arriver à La Mède.
En effet, à ce jour, seuls les États d’origine sont connus (le premier lot, reçu en mars 2019 venait d’Indonésie, d’autres pourront venir de Malaisie). Le Ministère a répondu sans ambage qu’il n’avait aucune information sur les zones géographiques précises de provenance. L’entrée en vigueur de la directive 2018/2001 et du règlement délégué 2019/807 imposent pourtant aux importateurs des exigences de précision, et impliquent que les Etats membres aient notamment connaissance de la localisation des concessions.
C’est la raison pour laquelle Greenpeace fait cette semaine une nouvelle demande de communication d’informations quant à la durabilité des huiles importées auprès du Ministère de la transition écologique et solidaire, mais également auprès du Préfet des Bouches-du-Rhône qui a autorisé la transformation de La Mède en bioraffinerie. En effet, la Préfecture a elle-même émis des exigences impératives quant à la durabilité de l’huile de palme importée grâce à des “critères vérifiables” permettant notamment de s’assurer de l’absence de “déforestation”. Aujourd’hui, aucune démonstration n’est apportée et Greenpeace sollicite une démarche de transparence de ces acteurs privé et publics dans les plus brefs délais.