Gustav Martner est un lauréat du Festival international de la pub, les Cannes Lions, et ancien membre du jury. Aujourd’hui, il est militant de Greenpeace et nous raconte pourquoi il a décidé d’agir et de rendre son prix.

Climat

« J’avais honte de ce prix reçu aux Cannes Lions. Alors je suis allé le rendre. »

Gustav Martner est un lauréat du Festival international de la pub, les Cannes Lions, et ancien membre du jury. Aujourd’hui, il est militant de Greenpeace et nous raconte pourquoi il a décidé d’agir et de rendre son prix.

C’est le deuxième jour de l’un des événements publicitaires les plus importants au monde. La dernière fois que je m’y suis rendu, c’était en tant que lauréat et membre du jury. J’y suis retourné hier soir, mais cette fois en tant que militant de Greenpeace. J’ai rendu les prix que j’avais gagnés en travaillant pour des compagnies aériennes et automobiles. J’en ai aussi profité pour appeler à l’interdiction de la publicité pour les entreprises fossiles. J’ai interrompu la cérémonie, j’ai gâché la fête et j’ai été sorti par le service de sécurité. Voici mon histoire.

© Greenpeace

J’ai reçu mon premier prix lors de la cérémonie de 2007. C’était pour un grand constructeur automobile, et cette reconnaissance de mon travail a changé la donne pour moi et l’agence que je dirigeais : nous faisions partie des meilleures équipes dans le secteur des publicités automobiles ! J’étais si heureux, si fier, au moment de monter sur scène pour recevoir ce symbole de réussite.
Mais peu de temps après, les choses ont commencé à changer. Le film « Une vérité qui dérange » d’Al Gore nous a ouvert les yeux, à moi et à beaucoup d’autres, sur la catastrophe climatique et la nécessaire sortie des énergies fossiles. Estimant que l’industrie devait faire sa part, j’ai travaillé pour Scandinavian Airlines sur un projet incitant les gens à prendre le train plutôt que l’avion pour les courts trajets. Nous avons réalisé de superbes publicités et j’ai été récompensé aux Cannes Lions une fois de plus. J’en étais convaincu : les grandes idées pouvaient résoudre la crise. Les grands pollueurs semblaient vouloir changer, et pour cela ils avaient besoin de gens comme moi.

Mais ont-ils réellement changé ? En 2015, l’accord de Paris a été signé. La même année, le criminel climatique Shell, aidé par l’agence MediaCom, a reçu un prix aux Cannes Lions. De son côté, Scandinavian Airlines avait mis fin à sa campagne sur le train pour se concentrer sur la vente de billets d’avion low-cost et a obtenu un prix pour une « expérience amusante sur les réseaux sociaux montrant que les gens aiment voyager vite ».

Depuis l’accord de Paris, au moins 300 prix ont été décernés à Cannes à des campagnes publicitaires promouvant le greenwashing de majors pétrolières et gazières, les voyages en avion, les SUV… Aujourd’hui, en 2022, alors que l’impact désastreux de l’industrie fossile sur le climat n’est plus à démontrer, les grandes agences de publicité ferment les yeux. Elles continuent à travailler avec les criminels climatiques. Pour la première fois cette année, le rapport du GIEC a clairement dénoncé les méthodes de l’industrie fossile et affirmé qu’elle bloquait l’action climatique grâce à la publicité et aux relations publiques. Les agences de publicité sont donc complices.

La stratégie des criminels climatiques consiste également à rejeter la responsabilité de l’action sur les individus, comme l’a fait BP avec son calculateur d’empreinte carbone. Idéal pour détourner l’attention, plutôt que de trouver de vraies solutions aux problèmes systémiques qu’ils ont créés… Cette stratégie a trouvé un écho du côté des Cannes Lions, où l’on promeut l’idée de « permettre aux consommateurs de voir leur impact » (vous pouvez le trouver sous le titre « It pays to be green » sur leur site web). Vous comprenez, travailler pour les pires pollueurs du monde rapporte gros. Face à l’urgence, alors que le climat s’emballe, que les alertes des scientifiques se multiplient et que les événements climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents ; certaines agences continuent à faire l’autruche, et célèbrent même cette complicité sur la Côte d’Azur.

Voilà pourquoi j’ai choisi de revenir aux Cannes Lions cette année, de rendre mes prix et de créer le malaise à la cérémonie de remise des prix de la publicité. Cannes Lions prétend être le « foyer de la créativité », je suis ici pour dire qu’il n’y a pas de créativité sur une planète morte.

J’ai donné à l’industrie de la publicité plus de deux décennies de ma vie professionnelle. Jusqu’à ce que je n’y arrive plus. Je ne peux pas accepter que tant de talent et d’argent soient dépensés pour aider les entreprises fossiles à détruire la planète et s’en laver les mains.

Quarante organisations ont lancé une initiative citoyenne européenne (ICE) pour l’interdiction, à l’échelle européenne, de la publicité, des partenariats et des mécénats pour toutes les entreprises vendant des biens et services fossiles. Si elle atteint un million de signatures en un an, la Commission européenne sera légalement obligée de réagir et d’envisager une réglementation.
Ensemble, nous pouvons contribuer à améliorer le secteur de la publicité et à mettre un terme définitif à toutes les publicités pour l’industrie fossile.

Gustav Martner,
militant de Greenpeace et ex-publicitaire.