Nouvelle journée de négociations hier au Bourget. Avec un texte toujours trop long. Et des travées qui se vident un peu. Il faut dire que le récit des négociations onusiennes a quelque chose de prévisible.
Des points de blocage émergent, les journalistes et les ONG se saisissent des éléments que quelques négociateurs mécontents laissent filtrer pour appuyer leur position, les déclarations s’enchaînent, empreintes à la fois d’espoir et d’expectatives. Au moins, un texte un peu resserré est sur la table, sur la base duquel les pays ont accepté de poursuivre leurs discussions.
Les maires plus rapides que les négociateurs
Pendant que les négociateurs de disputent la virgule en apnée dans la zone bleue, le monde politique agit. Les maires, en l’occurrence. Les élus locaux. De terrain. Hier, Anne Hidalgo, maire de Paris, a annoncé que la capitale française se positionnait clairement en faveur de 100% d’énergies renouvelables en 2050. Et elle ne l’a pas fait seule : c’est une coalition de près d’un millier de maires de grandes villes du monde qui s’est formée pour porter cette demande au Bourget, où les négociateurs restent relativement sourds, trop occupés à enjoliver le désastre de formules administratives.
Parmi ces grandes villes, outre Paris : Chicago, Berlin, Istanbul, Madrid, Montréal, Los Angeles, Bordeaux, Rio de Janeiro, Séoul, Dakar ou encore Stockholm. Loin d’être négligeable, comme mouvement. Car les grandes villes du monde abritent aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale.
Par ailleurs, c’est la preuve que certains éléments politiques peuvent converger vers des demandes réalistes pour la sauvegarde du climat, qu’il s’agisse des chefs d’Etats vulnérables, des maires, des mouvements de la société civile… Car le dérèglement climatique commence à montrer ses effets irréfutables et tragiques à différents niveaux, sur plusieurs échelles, par des voies distinctes, multiples mais parallèles. Notre cécité collective se dissipe. Il ne s’agit plus que d’une question de rythme : les rapports de force qui structurent l’humanité seront-ils assez résilients et réactifs pour la préserver ?
Les Philippines à l’offensive
Les Philippines, c’est un grand archipel situé dans l’océan Pacifique où d’ores et déjà la crise climatique sévit. Cette année de nombreux Philippins ont dû quitter leur maison à cause de la montée des eaux, des cyclones à répétition, des tempêtes tropicales. Les tentes fleurissent là-bas. Les tentes de l’ONU justement, où se replient les réfugiés climatiques de notre temps.
Mais les Philippines ne se laisseront pas ballotter indéfiniment. En effet, la Commission philippine des droits humains (CHR) a annoncé qu’elle allait ouvrir des enquêtes sur de grandes entreprises polluantes du secteur fossile – les « big polluters » ou « carbon majors », dans le jargon. Cette initiative inédite, qui fait suite à plusieurs plaintes déposées par plusieurs ONG dont Greenpeace, pourrait déboucher sur des poursuites judiciaires. La CHR les accuse en effet d’être responsables des impacts dévastateurs du dérèglement climatique. Une cinquantaine de multinationales sont visées, parmi lesquelles Chevron, ExxonMobil, BP, Royal Dutch Shell, ConocoPhillips… Au total, 90 entités juridiques sont directement accusées d’être responsables de la majorité des rejets de CO2 et de méthane dans l’atmosphère.
Cette démarche inaugure une nouvelle ère sur le front climatique. Elle réorganise l’agencement hiérarchique des normes économiques et des normes écologiques, et affirme l’approche juridique comme porteuse de grands bouleversements. C’est une nouvelle manière de distribuer les responsabilités. Les tribunaux reconnaîtront-ils bientôt la notion de crime climatique ? Il faut l’espérer. Et faire en sorte que l’initiative de la Commission philippine des droits humains inspire d’autres instances à travers le monde.
Une révolution par le droit
En réalité, c’est une petite révolution qui est en train d’avoir lieu. Et si l’avenir de l’activisme climatique ne consistait pas justement à tracer les lignes rouges dans les pratiques des entreprises, sur lesquelles se redécoupera le droit à l’avenir ?
En juin 2015, une ONG néerlandaise, Urgenda, est parvenue par des voies juridiques à contraindre son gouvernement à réduire les émissions de gaz à effet de serre rejetées par le pays. Dans la foulée, un agriculteur pakistanais a obtenu de la justice la mise en place d’une commission de contrôle de la politique climatique du pays. Le 4 novembre 2015, le géant pétrolier ExxonMobil était placé sur le gril par le procureur de New York pour avoir financé des recherches et des ribambelles de lobbyistes climatosceptiques – avec un succès certain puisque la plupart des Républicains, majoritaires au Sénat, pensent que le réchauffement climatique est une invention des Chinois, quand il s’agit plutôt des suites chimiques de l’histoire et de la prospérité des États-Unis et autres pays industrialisés, fondée en partie sur l’eldorado pétrolier.
Si cette pente vertueuse se poursuit, elle aboutira à prohiber l’exploitation des énergies fossiles à l’avenir, dans des délais plus ou moins longs. Elle ne fera qu’intégrer dans le champ du droit les causalités objectives qui perduraient en dehors de la conscience politique et sociale de la collectivité, c’est-à-dire en dehors de ses règles communes. Oui, l’activité des pollueurs, source de revenus extravagants pour une poignée de personnes, tue des gens et hypothèque l’avenir de populations entières voire, à terme, de l’espèce humaine.
C’est pour cela que la jeunesse d’aujourd’hui doit militer sur cette voie. Parce qu’elle représente l’avant-goût des « générations futures » sur lequel se fonde ce droit de l’environnement. En fait, toute la problématique du droit de l’environnement est d’inclure la notion d’avenir de son examen des causalités. Car les coupables de crimes climatiques ne seront très certainement plus là pour en subir les effets : inclure la question de l’avenir et des générations futures permet de les ramener brutalement à leurs responsabilités présentes.
L’égoïsme des pays du nord
Cette approche est englobée par la notion de justice climatique. Au Bourget, la notion de justice climatique se décline principalement en cinq thèmes : « adaptation » et « financement », « différenciation », « pertes et dommages », « droits humains ». Le deux premiers concernent les financements auxquels doivent consentir les pays “développés” pour que les pays en développement s’adaptent aux changements climatiques. Le troisième concerne la dette respective et différenciée de chaque pays envers le climat et ceux qui subissent les effets de son dérèglement. Le quatrième, le moyen de couvrir financièrement les pertes et dommages irréversibles liés aux phénomènes météorologiques extrêmes provoqués par le réchauffement climatique. Le cinquième, à confronter l’action climatique à l’enjeu décisif du respect des droits humains.
Or les négociations patinent sur l’ensemble de ces points. Les droits humains pourraient être relégués au seul préambule de l’accord. Crispation sur la différenciation et les soutiens financiers. Quelques avancées sur le volet pertes et dommages, sans doute parce que les pays industrialisés comprennent qu’ils ne seront pas épargnés indéfiniment par des épisodes climatiques tragiques ; les États-Unis sont d’ailleurs déjà touchés.
Pour dessiner la toile de fond générale, disons que les États vont au moins se mettre d’accord pour réduire leurs émissions chez eux, ce qui leur semblera digne d’un grand succès, à faire valoir à la télé. Mais que les autres se démerdent. Personne ne fera de concession économique pour d’autres.
Là se trouve l’obstacle à surmonter pour la justice climatique : parvenir à établir un droit extraterritorial, qui puisse relier et aligner les justices des différentes parties. Si le dérèglement climatique est un phénomène global, alors il faut une justice globale. Nous sommes bien allés plus loin dans ce sens en ce qui concerne le droit de la guerre ou celui du commerce. Nous y arriverons pour le droit climatique.
Le fossile d’Arabie
Aujourd’hui, l’Arabie saoudite a enfin décroché le « Fossil of the day » qu’elle mérite tant. Pour son obstination à bloquer tout une kyrielle de points dans la négo, toujours pour de mauvaises raisons. Pour faire de son mieux pour que le texte ne mentionne par la limite des 1,5°C, alors que Laurent Fabius l’a encore rappelée hier au Bourget et que la majorité des délégations la considèrent désormais comme l’objectif principal.
Pour rappel, l’Arabie saoudite, c’est plus de 10 millions de barils par jour, les plus grandes capacités de production de pétrole brut et les plus grandes réserves de pétrole au monde. Un État qui prospère, de manière bien inégalitaire, sur notre addiction au pétrole et, partant, sur le pourrissement de l’atmosphère.
Le coup de main
Pendant que certains défendent leurs rentes, d’autres ne comptent pas leur temps. Aujourd’hui, c’est la journée mondiale des bénévoles. Des militants sans lesquels Greenpeace ne pourrait pas exister et sans lesquels, surtout, il n’y aurait plus autant de vie dans la société civile. Ce sont des hommes et des femmes qui s’engagent pour l’amour d’une cause et pour le plaisir d’être avec les autres. Qui portent aussi bien la bannière que le sourire. Des gens faits de ce qui fait l’humanité : le don de soi, le sens du partage, la faculté d’engagement. Des gens du coup de main. Des volontaires.
Et Greenpeace tient vraiment à féliciter toutes celles et ceux qui font vibrer cette association de leurs mille petits gestes qui, comme les rivières nourrissent les fleuves, emmènent les grandes victoires. Plus que jamais, chaque acte compte et nos rangs sont ouverts à toutes celles et ceux qui souhaitent s’engager avec nous pour construire de nouvelles aventures et, comme on peut, tous autant que nous sommes, donner le coup de main.
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PS : Pas de gazette demain. Besoin d’un peu de repos. Et puis les négos observent un jour de trêve. Mais la Gazette revient pleins gaz dès lundi !