La répression des manifestations non violentes, un risque pour notre démocratie

Un vent de répression

Déjà lors de la COP21 (2015), des militant·es écologistes étaient, au nom de l’état d’urgence, assignés à résidence sans aucune justification liée à des activités terroristes ou à un danger pour l’ordre public. Ces abus trouvaient leur cause directe dans la mise en œuvre des pouvoirs administratifs par les préfets sans aucun contrôle du juge et donc sans enquête contradictoire.

C’est dans cette même veine que le gouvernement a poursuivi avec la loi dite « anti-casseurs », baptisée à juste titre par le syndicat de la magistrature de « projet anti-manifestants ». Entrée en vigueur, cette loi entrave la liberté de circulation des manifestant·es en octroyant notamment de nouveaux pouvoirs aux forces de police tels que la fouille à proximité de la manifestation. Elle crée aussi un nouveau délit de dissimulation partielle du visage aux abords de la manifestation (article 431-9 du Code pénal), ce qui risque de poser des difficultés lorsque les militant·es non violent·es doivent se protéger des gaz lacrymogènes des forces de police.

Manifestation de Greenpeace contre les projets de Total de forer près du récif de l’Amazone, 1er juin 2018.
© Simon Lambert / Greenpeace

Une large contestation

En effet, à l’occasion de manifestations avec notamment le mouvement « gilets jaunes », la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a alerté sur l’incompatibilité des méthodes employées lors des opérations de maintien de l’ordre avec le respect des droits humains. La Commissaire a notamment appelé à suspendre l’usage de l’arme du LBD (lanceur de balles de défense) par les forces de l’ordre, comme l’avait aussi vainement déjà rappelé le Défenseur des droits en 2017. La Commissaire avait aussi rappelé à juste titre les obligations qui incombent au gouvernement d’assurer une amélioration des conditions de travail des forces de police.

Amnesty International a alerté sur la mise en danger de nos libertés de manifester et d’expression. Outre l’usage excessif de la force policière, l’utilisation massive des armes de guerre (LBD, grenades GLIF4 ou de désencerclement) durant les manifestations ne diminue pas et entraîne de nombreux blessés.

Le 28 juin 2019, la police a dispersé à grand renfort de gaz lacrymogènes et de coups de matraque des militant·es du mouvement écologiste Extinction Rebellion qui bloquaient la circulation sur un pont . Le 21 septembre 2019 à Paris, à l’occasion d’une manifestation Climat regroupant des milliers de personnes dont des familles, des militants·e écologistes, des gilets jaunes etc., les forces de police ont lancé des grenades lacrymogènes sur des manifestant·es non violent·es, une intervention totalement disproportionnée dénoncée par les organisations.

Ces intimidations contre des militant·es non violent·es participent à une stratégie politique visant à dissuader les mouvements qui dérangent (associations écologistes, gilets jaunes etc.) de s’exprimer.

Manifestation de soutien lors du procès en première instance des activistes de Greenpeace, suite à leur intrusion dans la centrale nucléaire de Cattenom, 27 février 2018.
© Pauline Maes / Greenpeace

Des poursuites disproportionnées

Les poursuites judiciaires qui découlent de ces manifestations ou actes de désobéissance citoyenne sont tout aussi disproportionnées. Les suites judiciaires « immédiates » peuvent consister dans le recours abusif aux comparutions immédiates.

D’autres poursuites judiciaires, de nature différente mais tout aussi démesurées, peuvent prendre la forme de « poursuites bâillons » ou de condamnations pénales à des peines disproportionnées pour des actes de désobéissance.

Des associations (notamment Sherpa,  France-Libertés) et des journalistes ont dénoncé l’instrumentalisation des délits de presse à leur encontre par les multinationales telles que Bolloré, Veolia ou Vinci. Avec ces procédures, et notamment des demandes financières exorbitantes, les entreprises aspirent vainement à dissuader les associations d’exercer leur droit à la liberté d’expression.

Quant aux actes de désobéissance des militant·es non violent·es, on ne peut aussi que constater une aggravation de la répression. Les « auditions libres », dont la forme est intimidante pour un·e militant·e qui n’a ni accès à son dossier ni à un avocat, sont par exemple utilisées par les forces de police pour tenter de soutirer des informations au militant et de remplir son dossier pénal. Elles peuvent notamment déboucher sur une ordonnance pénale  soit une décision non contradictoire inscrite au casier judiciaire du militant.

Toutefois, les actions de décrochage des portraits de Macron ont aussi permis à une juridiction correctionnelle de reconnaître l’état de nécessité dans lequel se trouvaient les militant·es prévenu·es, c’est-à-dire qu’ils et elles n’avaient plus d’autre choix que de « désobéir » pour interpeller l’Etat. Ces lanceurs et lanceuses d’alerte, les juridictions de jugement ont la possibilité de les reconnaître. En matière environnementale, l’urgence est telle que le juge est fortement convié à faire preuve d’activisme judiciaire. Il est au contraire dans son rôle de contre-pouvoir dans notre pays dont les libertés sont gravement menacées.

Des activistes de Greenpeace lancent un feu d’artifice sur la centrale de Cattenom, 12 octobre 2017.
© Vivien Fossez / Greenpeace

Les désobéissant·es écologistes non violent·es démontrent parfois le vain épuisement des voies légales pour faire protéger l’intérêt général face à un risque industriel ou climatique, justifiant d’autant plus le recours à des actions de désobéissance non violentes. C’est particulièrement le cas dans le nucléaire où le secteur demeure très opaque (secret défense) avec très peu de leviers légaux pour pouvoir dénoncer les risques industriels.

 

A Bure, les opposant·es au site de stockage Cigéo font l’objet d’une surveillance généralisée et d’une criminalisation systématique. Les activistes de Greenpeace qui sont entrés, le 12 octobre 2017, dans la centrale de Cattenom pour dénoncer la vulnérabilité du site ont été condamnés pour certains, pour la première fois dans l’histoire de Greenpeace France, à des peines d’emprisonnement ferme. Leur procès en appel aura lieu le 30 octobre à Metz et l’association demandera leur relaxe car ils ont agi dans l’intérêt général et sans aucun acte de violence.

Punir les lanceurs et lanceuses d’alerte ne fera pas disparaître le problème et n’entamera pas non plus notre détermination. Au contraire, cela renforce notre conviction que les actes de désobéissance civile sont plus pertinents que jamais pour protéger l’intérêt général. Défendre la liberté d’expression et de manifestation non violente est un devoir que nous continuerons à accomplir. Lorsque entreprises et autorités utilisent le bâillon de la répression et de la dissuasion pour faire taire des activistes pacifiques qui dénoncent les risques nucléaires, l’inaction du gouvernement face au changement climatique ou encore la répression policière, nous devons toutes et tous nous mobiliser pour les soutenir car ce sont aussi nos intérêts et notre démocratie qui sont en jeu.

Pour aller plus loin :

Des marches à l’ONU : le mouvement climat gêne E. Macron

Guide du manifestant, élaboré par le syndicat de la magistrature

Guide du lanceur d’alerte, élaboré par Transparency International