Greenpeace France, en collaboration avec le cabinet d’analyse Carbone 4, a estimé l’empreinte carbone du patrimoine financier détenu par les ménages en fonction de leurs revenus. Les conclusions vont-elles vous surprendre ?
Plus on est riche, plus on consomme, plus on pollue
En raison de leur train de vie, les 1 % les plus riches de la planète seraient responsables de deux fois plus d’émissions de CO2 que la moitié la plus pauvre.
De plus ce sont les populations les plus pauvres qui paient le plus lourd tribut au réchauffement climatique, lequel agit à l’heure actuelle comme un accélérateur des inégalités, selon l’ONU.
En France, le constat est le même : le niveau d’émission d’un individu est fonction croissante de son niveau de vie. Ainsi, d’après une étude de l’OFCE, l’empreinte carbone des ménages aux revenus les plus bas s’élève seulement à 15,2 tonnes d’équivalent CO2 (tCO2eq) contre 40,4 tCO2eq pour ceux aux revenus les plus hauts – soit 2,7 fois plus.
Plus on est riche, plus on possède, plus on pollue
Si ces données sur l’impact environnemental de la consommation des ménages révèlent de premières inégalités, elles doivent être complétées par celles sur le patrimoine financier. En effet, le patrimoine financier détenu par les ménages n’est pas sans impacts sur les émissions de CO2. Par exemple, posséder des actions BNP Paribas revient à investir dans des actifs fossiles, notamment du charbon : d’après un rapport des Amis de la terre et d’Oxfam, en 2018, les activités de cette banque étaient responsables de l’émission de 782 millions de tonnes de CO2eq, soit 16 tonnes de CO2eq pour un investissement de 1000 euros. Cela revient à financer des activités polluantes et à en tirer des bénéfices.
Dans notre rapport, nous montrons que le patrimoine financier moyen des 1 % des ménages avec les plus hauts revenus émet 66 fois plus de GES que celui des 10 % des ménages avec les revenus les plus faibles.
Greenpeace France a aussi estimé l’empreinte carbone du patrimoine financier assujetti en 2017 à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), avant sa suppression par Emmanuel Macron. L’exploitation des données disponibles conduit à une empreinte estimée à 97 millions de tonnes de CO2eq par an. Pour avoir un ordre de grandeur de son importance, l’empreinte carbone de la France se monte à 749 MtCO2eq. À elles seules, les émissions de gaz à effet de serre associées au patrimoine financier détenu par les ménages assujettis à l’ISF en 2017 représentent environ un tiers de l’ensemble des émissions liées au patrimoine financier des ménages français.
Sources : Insee, enquête Patrimoine 2014-15 -données début 2015, Carbone 4, Greenpeace France
Ainsi la suppression de l’ISF en 2017 pose doublement question au regard des inégalités contributives et de l’empreinte carbone associée au périmètre de responsabilité des ménages. Et s’il était instauré un nouvel ISF climatique ?
Vers un juste partage de l’effort climatique : pour l’instauration d’un ISF cohérent avec l’empreinte carbone
La fiscalité des ménages doit donc évoluer dans deux directions complémentaires : augmenter la contribution des ménages les plus riches et intégrer les disparités d’empreinte carbone associées à la consommation comme au patrimoine, notamment financier. En ce sens, Greenpeace France propose de renforcer l’effort contributif des ménages les plus aisés par la création d’un ISF climatique dérivé de l’ISF en vigueur jusqu’en 2017. Cet ISF climatique verrait son barème renforcé et serait pondéré en fonction non seulement du volume d’actifs financiers détenus par le ménage imposé, mais également de l’empreinte carbone de ces mêmes actifs.
D’après nos estimations, cette mesure permettrait de rapporter environ 4,3 milliards d’euros par an à l’État.
Par ailleurs, une telle mesure aurait le mérite d’être percutante : elle inciterait en effet les ménages les plus fortunés et les plus émetteurs à se désinvestir des activités les plus émettrices en décarbonant leur patrimoine. Et pourtant, c’est tout l’inverse qui se produit depuis des années…
L’injuste taxe carbone
Fin 2018, l’annonce de l’augmentation annuelle de la taxe carbone sur les carburants, présentée comme une mesure “efficace” pour lutter contre le réchauffement climatique, mettait le feu aux poudres et enclenchait la crise des Gilets jaunes.
Cette taxe carbone évolutive est en effet fondamentalement injuste : elle ne s’accompagne d’aucun mécanisme redistributif et pèse quatre fois plus lourd sur les ménages les plus pauvres, en pourcentage de leurs revenus, que sur les plus riches. De plus, son augmentation significative en 2018 a fait suite à une série de mesures fiscales favorables aux plus riches, au premier rang desquelles la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) au profit de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Plans de relance : retour au monde d’avant
Depuis le gel de cette taxe carbone, aucun dispositif de substitution ne lui a été trouvé par le gouvernement.
La pandémie de Covid-19 a mis en lumière les dysfonctionnements de notre modèle socio-économique qui, depuis des décennies, creuse les inégalités et nuit gravement au climat et à l’environnement. Cette crise pouvait être l’occasion de repositionner l’économie dans les bornes de l’accord de Paris et des limites planétaires…
Au lieu de ça, l’État s’est lancé dans une course effrénée de dépenses pour relancer la machine économique du vieux monde. À coup de dizaines de milliards, il met en en place des plans de de sauvetage qui font la part belle à la recapitalisation des industries polluantes, sans la moindre conditionnalité climatique. Aucune mesure vraiment ambitieuse n’a été adoptée pour développer les secteurs de la transition énergétique et organiser la décrue des secteurs polluants.
100 milliards d’euros ont été annoncés dans le cadre du plan de relance 2021, ce rendez-vous annuel des parlementaires où est voté le budget de l’État et la manière dont il sera dépensé. Connaîtront-ils le même sort ? On peut penser que oui.
Toutes ces dépenses posent une question essentielle : qui va participer à l’effort budgétaire pour financer le plan de relance économique et la transition écologique, et dans quelle mesure ?
Macron président des riches : injustices fiscales incroyables
A cause d’une répartition qui apparaît de moins en moins équitable, à force de réformes qui profitent aux catégories les plus aisées, le consentement à l’impôt a tendance à s’éroder, comme l’a fait ressortir le malaise social exprimé par les gilets jaunes.
La réforme de la fiscalité du capital amorcée par Emmanuel Macron se traduit par une montée des inégalités. Ainsi, les 5 % de Français·es les plus pauvres devraient voir leur niveau de vie se réduire d’environ 240 euros par an sous l’effet des mesures socio-fiscales mises en œuvre entre 2018 et 2020, quand les 5 % les plus riches devraient voir le leur grimper de 2905 euros par an.
Différentes études montrent également que les riches paient moins d’impôts que le reste de la population, proportionnellement à leur revenus. Si l’on prend en compte l’ensemble des impôts en France, tou·tes les Français·es sont imposé·es à hauteur d’environ 50 % de leurs revenus, sauf les plus riches, qui payent 40 ou 45 % d’impôts sur l’ensemble de leurs revenus. Et les plus fortunés se sont encore plus enrichis avec la suppression de l’ISF : depuis la réforme, les 0,01 % les plus riches ont vu leurs contributions totales passer de 52 % en 2016 à 46,6 % en 2018.
Autant dire que le sobriquet de “Président des riches”, répandu dans l’opinion publique, est justifié. Comment envisager des réformes structurantes dans un tel contexte d’inégalités, alors qu’il faudrait retrouver une fiscalité plus juste et se demander quelles classes sociales, exactement, sont responsables du réchauffement climatique – et qui en subit d’abord les conséquences néfastes ?
Ces questions ne doivent plus être éludées. La mise en place d’un ISF climatique permettrait d’embarquer tout le monde dans la transition écologique.
Une telle réforme de la fiscalité doit pouvoir trouver sa place dans les lois de finances débattues chaque année au Parlement, si possible dès cette année, où le budget comprend une mission spéciale dédiée à la relance de l’économie qui engage des dépenses supplémentaires et exceptionnelles.