Tribune de l’actrice et activiste Emma Thompson, publiée sur le site de Greenpeace International.
Les balades en gondole font partie de la découverte traditionnelle de Venise, pour les touristes qui peuvent se le permettre. Lors de ma dernière visite, j’ai pour ma part choisi un bateau différent, mais tout aussi emblématique. We Are Here Venice, une organisation à but non lucratif qui œuvre pour la sauvegarde de cette ville durement affectée par le dérèglement climatique et de nombreuses activités humaines, m’a invitée à bord du Rainbow Warrior, un bateau de Greenpeace, qui n’était clairement pas venu sur place pour faire du tourisme.
J’ai participé à deux expéditions en Arctique avec Greenpeace : l’une sur l’Esperanza (aujourd’hui disparu, mais je n’y suis pour rien !) et l’autre sur l’Arctic Sunrise. J’y avais rencontré deux membres de l’équipage qui sont désormais sur le Rainbow Warrior, toujours aussi engagés dans la lutte pour la justice climatique dans le monde entier.
Il y a quelques semaines, alors que la Grande-Bretagne battait non seulement son propre record de température, mais aussi ceux de Cuba, de Singapour et du Panama, des gens continuaient à scander que tout cela était parfaitement normal et qu’il s’agissait d’une journée ensoleillée ordinaire. Dans quel monde imaginaire ces gens vivent-ils, et qui l’a bâti pour eux ? Mon voyage à Venise m’a aidé à répondre à cette question.
Je ne le savais pas en arrivant, mais les activistes de Greenpeace se préparaient à une action qui consistait à parcourir les canaux de la cité lagunaire sur des bateaux traditionnels, tout en brandissant les logos des grandes entreprises pétrolières et gazières européennes qui pratiquent le greenwashing (des techniques de marketing qui tentent de nous convaincre que ces entreprises sont respectueuses de l’environnement alors qu’elles veulent, au contraire, aggraver notre dépendance aux combustibles fossiles). Voilà ce qui tue la planète. Les activistes ont ironiquement annoncé qu’il s’agissait de la dernière visite guidée de Venise, car la ville risque d’être submergée en raison des impacts climatiques dans la région méditerranéenne, comme ceux auxquels nous avons assisté récemment avec les vagues de chaleur et les feux de forêts qui ont battu des records dans la région.
En octobre dernier, Greenpeace et 30 autres organisations ont lancé une initiative citoyenne européenne appelant à une nouvelle loi interdisant la publicité et le parrainage en faveur des combustibles fossiles dans l’Union européenne, à l’instar de ce qui s’est passé avec le tabac au début de ce siècle. Si la pétition recueille un million de signatures en un an, la Commission européenne sera obligée d’examiner la proposition des associations !
Pourquoi une telle loi est-elle importante ?
Aujourd’hui, alors que l’opinion publique soutient largement l’action en faveur du climat et que la communauté scientifique désigne sans réserve l’industrie des combustibles fossiles comme étant en très grande partie responsable de la crise climatique, l’image des entreprises pétrolières et gazières, qui ont délibérément ralenti l’action en faveur du climat pendant des décennies, est écornée. L’industrie s’accroche à la publicité et au sponsoring comme l’un des derniers moyens de garder la tête haute.
« Retarder et tromper » est le nouveau mantra. Les entreprises des combustibles fossiles investissent des millions dans le greenwashing en faisant des promesses vides de sens sur leur “neutralité carbone” et en introduisant de fausses « solutions », afin d’occulter leurs décennies de destruction. Elles se présentent comme des alliées uniquement pour faire perdurer leurs activités d’un autre âge.
Les scientifiques en ont assez. Cette année, pour la première fois, un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a dénoncé cette stratégie de désinformation en déclarant : « Les acteurs qui dominent les débats dans les médias, ainsi que le degré d’ouverture de ces débats, varient considérablement d’un pays à l’autre en fonction des moyens matériels et technologiques des acteurs. Les industries des combustibles fossiles jouissent d’un accès unique aux médias grand public par le biais de publicités, façonnant ainsi les récits narratifs des articles et exerçant une influence politique dans des pays comme l’Australie et les États-Unis. »
Plus de 450 scientifiques ont également signé une lettre appelant les agences de relations publiques et de publicité à cesser de travailler avec les entreprises du secteur des combustibles fossiles et de diffuser de la désinformation sur le climat. C’est la première fois qu’autant de scientifiques dénoncent le rôle des relations publiques et de la publicité dans (l’aggravation de) la crise climatique.
Les entreprises pétrolières et gazières s’achètent du prestige en parrainant des musées, en influençant la sphère de l’éducation via des investissements dans l’enseignement supérieur et en gagnant en popularité lorsque leurs logos sont associés au sport. Elles investissent beaucoup dans l’achat d’une “licence sociale” leur permettant de poursuivre leurs activités comme si de rien n’était, en s’insinuant dans notre vie quotidienne et en dissimulant leurs dégâts. Nous devons de toute urgence les chasser de nos cerveaux, de nos cœurs et de nos communautés.
L’année dernière, grâce à un travail de terrain acharné, l’université de Harvard a déclaré qu’elle allait supprimer progressivement ses participations dans des entreprises de combustibles fossiles. Au Royaume-Uni, la National Portrait Gallery et le Scottish Ballet ont confirmé qu’ils ne concluraient pas d’autres accords de parrainage avec BP. La fédération australienne de tennis (Tennis Australia) a arrêté son partenariat avec l’entreprise gazière Santos.
Au début de ce siècle, l’UE a interdit la publicité et le parrainage à l’industrie du tabac après avoir reconnu qu’ils faisaient augmenter la consommation et dissimulaient les avertissements sanitaires. Aujourd’hui, avec les preuves scientifiques accablantes sur le dérèglement climatique et son lien indiscutable avec les entreprises des combustibles fossiles, il est temps d’interdire la propagande en faveur de ces industries, car elle est mortelle et criminelle, et nous conduit inexorablement vers la catastrophe climatique. L’activisme fonctionne. Ensemble, nous pouvons dire à celles et ceux qui détiennent le pouvoir comment nous voulons vivre et ce qui doit changer.
Emma Thompson est une actrice, militante et scénariste oscarisée anglaise.
La version originale de ce texte a été publiée sur le site du Guardian le 2 août 2022.
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