Billet rédigé par Axel Renaudin, qui a suivi les procès des activistes de Greenpeace ayant participé à l’action du 5 décembre 2011 – son flux Twitter : @AxelRenaudin
Mise à jour le 2 mars : Les parquets de Troyes et de Privas ont fait appel des décisions des tribunaux.
La justice s’est prononcée à l’encontre des neuf militants de Greenpeace qui s’étaient introduits, le 5 décembre dernier, dans les centrales nucléaires de Nogent-sur-Seine (Aube) et des deux autres activistes, qui, le même jour, étaient restés cachés quatorze heures durant dans la centrale de Cruas (Ardèche).
Pour les « neuf de Nogent », le tribunal de Troyes s’est déclaré incompétent.
Concernant les « deux de Cruas », le tribunal de Privas a prononcé la relaxe, suivant les demandes d’annulation des gardes à vue soulevées lors du procès par l’avocat de Greenpeace.
Dans les deux cas, les décisions des juges, fondées uniquement en droit, illustrent bien l’embarras des tribunaux français à juger les militants de Greenpeace sur le fond…
Retour sur les procès
Lors des deux procès, qui se sont déroulés fin janvier, le sujet « nucléaire et démocratie » a constitué l’essentiel du débat. Et c’est une première. Habituellement, les juges s’intéressent principalement aux détails logistiques des actions menées par les militants de Greenpeace : comment êtes-vous venus ? Qui vous a fourni le matériel ? Etc. À Troyes comme à Privas, le tribunal a préféré chercher à comprendre pourquoi des citoyens « lambda » ont décidé d’ recourir à une action directe non-violente pour faire passer un message sur le nucléaire. Les réponses des militants, toutes bien argumentées, ont démontré la même chose : nucléaire et démocratie ne sont pas compatibles. Impossible de vraiment se faire entendre et de dénoncer un problème ayant un lien avec le nucléaire en utilisant « seulement » les outils mis à disposition dans notre démocratie.
Pourtant EDF, partie civile au cours des deux procès, avait envoyé son avocat le plus connu pour tenter de faire passer le message inverse. Maître Jean-Pierre Mignard a essayé de montrer que Greenpeace et ses militants ne jouaient pas le « jeu » de la démocratie. Pour cela, il a voulu déstabiliser les participants à l’action en leur demandant pourquoi ils ne faisaient pas passer leur message au sein des Cli. C’est mal connaître Greenpeace et ses militants, qui sont membres de plusieurs Cli (La Hague et Flamanville notamment).
Répondant aux questions posées par le médiatique avocat d’EDF, les militants à la barre ont démontré que Greenpeace et ses adhérents connaissent parfaitement le dispositif « démocratique » mis en place autour du nucléaire et que celui-ci est largement insuffisant. Être membre d’une Cli n’est pas une fin en soi ! Oui cela permet d’obtenir quelques informations, de poser des questions (auxquelles il n’y a pas toujours de réponse). Mais non, ce n’est pas le bon endroit pour, par exemple, dénoncer la faiblesse d’un audit commandité par le gouvernement sur les installations nucléaire françaises. La seule manière d’être entendu sur un point comme celui-là, en France, est d’enfreindre la loi en s’introduisant sur des sites nucléaires et ainsi mettre en lumière directement les faiblesses dénoncées.
Les tribunaux ont donc eu une affaire difficile à juger d’autant plus que le Premier ministre a, en quelque sorte, donné raison aux militants de Greenpeace en demandant, suite à leur action à Nogent-sur-Seine et Cruas, un nouvel audit spécifique sur les intrusions dans les sites nucléaires français.
L’embarras de la justice
À Privas, la relaxe prononcée le 28 février par le tribunal découle de l’annulation des gardes à vue décidées par les juges, à la demande de l’avocat de Greenpeace qui avait notamment souligné la notification tardive des droits.
À Troyes, le tribunal n’a pas jugé. La déclaration d’incompétence communiquée le 21 février découle d’une requalification du principal chef d’inculpation. Pourtant, sur les clôtures des centrales nucléaires, il est écrit que l’intrusion sans autorisation est punie par l’article 413-7 du code pénal concernant l’« intrusion dans un site intéressant la défense nationale ».
Et le délit « intrusion dans un site intéressant la défense nationale » peut entraîner des peines moins élevées que la violation de domicile : jusqu’à six mois de prison et une d’amende dans le premier cas, contre jusqu’un an de prison et une amende dans le second.
Lors du procès, l’avocat de Greenpeace a fait valoir que le procureur aurait du retenir le chef d’« intrusion dans un site intéressant la défense nationale », indiquant que la justice n’avait pas de raison de poursuivre les militants pour un motif différent de celui affiché sur les clôtures du site sur lequel ils sont entrés.
Les juges de Troyes ont donné raison à l’avocat de Greenpeace.
La stratégie de banalisation du nucléaire mise en échec
Ces deux procès illustrent bien l’embarras de la justice à juger les militants de Greenpeace sur le fond, en particulier quand il s’agit de nucléaire. Et la décision rendue à Troyes rappelle aussi que les centrales nucléaires ne sont pas de simples lieux de production d’électricité, mais des « sites intéressants la défense nationale », et qu’une intrusion sur ces sites doit donc être jugée par une cour à compétence militaire. Voilà qui confirme que la frontière entre nucléaire civil et militaire n’existe pas, et qui met en échec la stratégie de banalisation du nucléaire, que tentent d’orchestrer les industriels et les gouvernements successifs depuis la mise en place de cette énergie.
Les parquets de Troyes et de Privas ont fait appel des décisions des tribunaux. Dans quelques mois (les dates ne sont pas encore fixées) la justice aura à nouveau à gérer une affaire bien embarrassante pour elle.