Le prix du climat

Un nouveau texte aujourd’hui au Bourget, et des négociations qui s’enferrent un peu. Des annonces de Google et des actions pour sortir les pollueurs de la COP. Après l’impulsion plutôt positive des chefs d’Etat en début de semaine, les contradictions commencent à se voir.

Texto

De 54 pages, on est donc passé à… 50. Soit 4 pages de retranchées en trois jours. Pour des millions de textos échangés. Lent, très lent.

Si les options sur la table se clarifient nettement concernant l’objectif de long terme qui devrait permettre aux acteurs économiques et politiques d’anticiper l’avenir et de mettre en œuvre une transition dans leurs pratiques et leurs législations, le texte ne contient toujours aucun appel à développer 100% d’énergies renouvelables pour tous d’ici à 2050. Côté Greenpeace, nous continuons à nous battre pour que cette demande soit remise dans les mains des ministres la semaine prochaine, afin de la politiser davantage et que l’accord éclaire aussi les solutions à engager.

Climat, trop cher

Beaucoup de points de crispation, notamment sur la question des financements et de la « différenciation ». Qui est responsable de quoi dans le dérèglement climatique ? Qui donne quoi à qui ? Selon quelles modalités de contrôle ? Autant de questions qui fâchent. Et que les négociateurs, répartis en sous-groupes, tentent laborieusement de résoudre, article par article. Dans les faits : nettoyer les dizaines d’options contenues dans les parenthèses qui parsèment le texte.

Les pays pétroliers bloquent les débats sur la question de « décarbonisation » de l’économie. Quant à l’ambition d’inclure les droits humains dans le texte pour les relier aux enjeux climatiques, ce qui induit de transférer la question écologique de l’espace économique vers le champ démocratique, elle est pour l’instant sévèrement battue en brèche par les négociateurs. Petite lueur d’espoir : les États-Unis sont plus ouverts qu’auparavant sur la question des « loss and damage », comme on dit dans les négos. L’idée : trouver un moyen de couvrir les pertes irréversibles liées aux catastrophes naturelles dont souffrent majoritairement les pays pauvres.

L’impression de lenteur : une constante dans les négociations onusiennes. Sauf que les ministres arrivent la semaine prochaine pour procéder aux derniers arbitrages d’un texte censé être fin prêt ce WE.

Divestment

Et si la finance, dans la question climatique comme ailleurs, était bel et bien le nerf de la guerre ? C’est toute la théorie du mouvement « divestment » (pour désinvestissement).

Reprenons. 70% et 90% des émissions de CO2 et 67% des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales sont issues de la consommation d’énergies fossiles (pétrole, charbon, tourbe, gaz naturel). Elle rejettent notamment du CO2, dont la concentration dans l’atmosphère a battu un nouveau record en mars 2015 (400ppm). Et ce n’est pas un hasard si 2014 fut l’année la plus chaude jamais enregistrée. Car en emprisonnant la chaleur solaire dans l’atmosphère, les GES empêchent une régulation correcte du climat. Avec les conséquences que l’on sait : hausse du niveau des mers, sécheresses, phénomènes météorologiques extrêmes, déplacement de population, etc.

Pour éviter un chaos global, dont pâtissent en premier lieu les pays pauvres, notamment les îles du Pacifique sud, dont les rivages fondent sous l’appétit des flots, il faudrait maintenir la hausse de la température sous un seuil de 1,5°C. Ce qui implique de laisser au moins 80% des réserves fossiles connues dans le sol. Or, l’industrie des énergies fossiles perçoit 10 millions de dollars par minute de subventions mondiales.

Par ailleurs, en plus des subventions publiques et du prix de vente de la marchandise, ces grandes compagnies tirent leurs ressources de leur valorisation boursière. Elles nourrissent d’ailleurs une véritable bulle spéculative, car comme chacun sait, ces ressources ne sont pas inépuisables. L’idée générale, c’est donc de pousser toutes les entités économiques, des fonds de pensions aux petites épargnes des ménages en passant par les Etats, à retirer leurs billes des entreprises qui engrangent des profits en pourrissant l’atmosphère.

Pour la petite histoire, c’est le Guardian, un quotidien anglais de référence, qui a largement contribué à amplifier cette approche en Europe, autrefois défendue par quelques ONG américaines seulement, dont 350.org, rejointe ensuite par Greenpeace. Avec quelques succès notables puisque nous venons d’apprendre qu’environ 3 400 milliards de dollars avaient été désinvestis des industries fossiles, contre 2 700 en septembre 2015. Cette tactique de campagne a notamment porté ses fruits en Australie, où le projet d’un terminal charbonnier menacant directement la Grande barrière de corail (essentielle pour la régulation du climat) a été stoppé, suite aux retraits successifs de plusieurs investisseurs, dont des banques françaises et anglaises. En juin 2015, c’est le fonds souverain norvégien qui se désengageait totalement du charbon.

Faucher les chaises

Autre tactique de campagne sur les aspects financiers : frapper l’évasion fiscale. La transition énergétique et l’adaptation des pays pauvres ou en voie de développement aux dérèglements climatiques nécessitent de l’argent public.

A cet égard, Thomas Piketty rappelle les pays pollueurs à leurs responsabilités (si la France émet peu sur son sol, les Français consomment des produits étrangers dont la production émet des gaz à effet de serre ailleurs) en leur demandant de financer la transition énergétique des autres pays. Ici intervient la notion de « justice climatique », sur laquelle les simples mécanismes de marché ne sauraient s’aligner. Où trouver cet argent – qui plus est dans un contexte d’austérité ? Dans les paradis fiscaux.

C’est la réponse des faucheurs de chaises, qui s’évertuent à réquisitionner des chaises dans les banques coupables de planquer l’oseille à l’étranger pour ne pas contribuer à l’effort collectif. Et hier matin, les faucheurs de chaises étaient en rang devant le siège de la BNP-Paribas pour se faire entendre. Pourquoi la BNP ? Parce qu’elle refuse toujours de fermer les sept filiales qu’elle possède aux îles Caïmans, où l’on ne fabrique pas grand chose, sauf peut-être des transats et des boîtes aux lettres. Elle en détient en tout 171, dans les paradis fiscaux. Une paille.

Pour rappel, l’évasion fiscale représente environ 20 000 milliards d’euros par an. Largement de quoi abonder le fonds vert pour le climat, auquel il manque toujours 90,3 milliards d’euros sur les 100 prévus. Et encore, les 9,7 milliards récoltés le sont de bien mauvaise manière puisque les Etats étant à sec, ce sont désormais les prêts fournis par le secteur privé qui sont privilégiés.

Les faucheurs de chaises tiendront donc ce week-end une assemblée générale, à mi-parcours de la COP21, avec les 196 chaises réquisitionnées, soit autant que toutes les parties prenantes des négos onusiennes.

Kick out !

Au même moment que le blocage de la BNP à Paris, au Bourget, des jeunes militants lançaient une action pour protester sur la mainmise des business men sur les négociations climatiques. Leur mot d’ordre : sortir les sponsors privés de l’enceinte des négociations. Leur slogan : « Les entreprises polluantes font partie du problème, elles ne peuvent pas faire partie de la solution ». Élémentaire, d’une certaine manière.

Cette action a eu lieu dans l’espace « société civile » de la COP21, un espace séparé de la zone bleue, où les ONG ne sont pas seules. Les entreprises aussi sont considérées comme partie prenantes de la société civile.

Google cop

Côté business, nous avons appris que Google avait converti 842 mégawatteurs de la consommation d’énergie de ses data centers en renouvelables. L’entreprise américaine se rapproche ainsi de son objectif écologique : ne consommer que de l’énergie renouvelable. Plutôt une bonne nouvelle. Cela démontre que les énergies renouvelables sont prêtes à prendre le relais des énergies fossiles et fissiles à grande échelle. C’est un signal fort envoyé aux négociateurs : la transition énergétique est déjà en marche, trève de fébrilité messieurs.

Google constitue la pointe avancée d’un vaste mouvement en faveur des énergies renouvelables, né en 2011 au sein du secteur des technologies internet aux Etats-Unis, incluant notamment Apple, Adobe, Facebook, Linkedin ou Microsoft. C’est notamment l’objet de l’une de nos campagnes actuelles : retracer et révéler l’empreinte carbone de ces entreprises en jouant sur leur image de marque, un paramètre particulièrement important dans ce secteur d’activité.

Tiens au fait : actuellement, une recherche Google équivaut à consommer autant d’énergie qu’une ampoule classique de 60 watts allumée pendant 17 secondes…

Prix Pinocchio pour la BNP-Paribas et EDF

Dans la soirée, on a appris que c’était justement la BNP-Paribas, aux côtés de Chevron et d’EDF, qui avait récolté le prix Pinocchio du développement durable, décerné chaque année depuis 2008 par les Amis de la Terre suite à un vote en ligne ouvert à tous les citoyens. La BNP pour les impacts locaux de ses activités, notamment pour son financement de la filière charbon à travers le monde. Chevron pour ses activités de lobbying intenses, notamment pour exporter ses projets d’extraction de gaz de schiste en Argentine. Enfin EDF pour son savoir-faire inégalable dans le greenwashing, consistant à vendre le nucléaire comme une énergie propre alors qu’on ne sait toujours pas vraiment quoi faire de ses déchets radioactifs.

Résidents de la République

La société civile se porte bien. En dehors des portes closes derrière lesquelles on opère le texte de l’accord, elle se fait entendre.

Cela malgré la tentative du pouvoir d’enfermer ses membres à domicile. Depuis une semaine en effet, 26 personnes seraient toujours assignées à résidence jusqu’au dernier jour des négos au prétexte de l’état d’urgence. Alors même que samedi 28 novembre dernier, François Hollande avait assuré que ces assignations seraient levées. Par ailleurs, d’autres citoyens européens ont été placés en centres de rétention administrative récemment.

Ces mesures portent évidemment atteinte à des libertés publiques essentielles, comme le droit de circulation, le droit de se réunir, la liberté d’expression. Et chaque fois, ce sont des activités militantes passées qui sont invoquées pour justifier cette torsion démocratique. Militer pour la défense de l’environnement serait donc devenu un délit, voire le signal d’un penchant terroriste. Première nouvelle.

Cette répression par anticipation qui, en même temps qu’elle musèle une partie des militants du climat, fait porter l’ombre du doute et de la crainte chez tous les autres, n’a pourtant strictement rien à voir avec la lutte contre le terrorisme et ne saurait s’appuyer sur aucun fondement juridique sérieux. En l’occurrence, c’est faire de l’état d’urgence une licence de l’abus de pouvoir. Car du fait de l’état d’exception mis en œuvre – et dans la mesure où subséquemment ces procédures échappent au contrôle judiciaire – ces personnes n’ont tout simplement pas les moyens de pouvoir se défendre correctement.

Il s’agit là de dérives sécuritaires tout à fait inacceptables. Inefficaces, qui plus est. Car quels que soient les obstacles ou les tentatives d’intimidation, les militants auront toujours pour résidence leurs convictions.