L’industrie du thon tropical s’interroge-elle enfin sur la durabilité ?

 

Cette conférence est un forum de discussion pour les acteurs de l’industrie du thon tropical présents en Afrique, particulièrement prisés des industriels européens.

Il ne s’agit donc pas d’une réunion où l’on prend des décisions. Ce n’est pas là non plus que des mesures de gestion de la pêche sont adoptées. C’est un forum où l’industrie fait le point sur les enjeux auxquels elle a à faire face. De fait, c’est aussi un très bon thermomètre sur l’état d’esprit de l’industrie, sur la perception qu’elle a de son activité, et aujourd’hui, l’industrie est inquiète. Ce n’est pas non plus une réunion de militants écolos. A Abidjan, on parle avant tout économie, viabilité et rentabilité du secteur. Bref, comme cela existe dans tous les secteurs économiques, les industriels se réunissent pour parler de leur business. Or celui-ci est entièrement dépendant de l’état d’une ressource naturelle : le thon.

Pourtant, à la lumière des sujets abordés, des débats ou des thématiques développés dans les différentes cessions, on pourrait presque se demander si la deuxième conférence sur le thon en Afrique n’était pas avant tout une conférence dédiée à la protection de la ressource.

La durabilité a été le mot clef de cette conférence. Greenpeace a été invité afin de présenter sa campagne pour une pêche durable au thon tropical et la campagne internationale sur Thaï Union (ou Petit Navire, en ce qui concerne la France). Si la durabilité économique est la principale préoccupation de l’industrie, la durabilité environnementale a été plus que jamais au centre des discussions. En d’autres termes, l’industrie est inquiète du futur de son activité et de la ressource.

Le thon albacore de l’océan Indien dans tous les esprits

Après des années d’une pression trop forte sur le thon albacore de l’océan Indien, il existe aujourd’hui un consensus scientifique visant à dire que cette espèce, la plus consommée en France, est surpêchée. Vu l’importance de ce stock pour les industriels du thon, on comprend mieux l’inquiétude exprimée lors de cette conférence. Mais d’autres stocks sont aussi soumis à une pression trop importante.

Bien que pêché avec des dispositifs de concentration de poissons (DCP), seuls les stocks de thons listao semblent encore sains. Sauf que l’utilisation de ces dispositifs a des effets de bord sur les stocks de thons albacores. Lorsque les flottes industrielles pêchent le listao sur DCP, de nombreux thons albacores juvéniles se retrouvent pris au piège alors qu’ils n’ont pas encore eu le temps de se reproduire. Certains de ces thons font moins d’un kilo et demi et ne sont même pas commercialisables. Ils sont alors rejetés à la mer morts ou mourants.

Il est donc indispensable d’avoir une approche écosystémique. Il ne faut pas gérer la pêche espèce par espèce, de manière cloisonnée, mais se poser la question des impacts et des mesures à adopter pour la pêche au thon tropical dans son ensemble.

Les DCP restent le principal problème

Il semble que nous ne prêchions plus dans le désert. L’inquiétude portée par Greenpeace face à l’augmentation massive et hors de contrôle des DCP est aujourd’hui partagée par une partie des acteurs de l’industrie du thon tropical. Cette préoccupation était déjà visible lors de la dernière réunion de la Commission des thons de l’océan Indien (CTOI) en mai dernier, où certaines délégations proposaient une réduction significative du nombre de DCP déployés. A Abidjan, nous avons pu entendre une description précise et honnête des menaces qui pèsent sur la ressource à cause de l’utilisation généralisée de ces DCP.

Transformer une menace en opportunité ?

Pendant les deux jours de discussions, cette question est souvent revenue et on peut l’entendre comme un appel à agir, à changer les pratiques, pour s’orienter vers cette durabilité souvent évoquée. Cependant il serait naïf de penser que toute l’industrie est prête au changement, que la prise de conscience ou l’appel au changement est unanime.

Si des armateurs, des dirigeants de conserveries, des administrateurs des pêches de pays africains et des ONG ont fait part de leurs ambitions pour aller vers une pêche plus durable, le chemin est encore très long avant de pouvoir considérer que les stocks de thons tropicaux sont saufs.

Pour que les menaces se transforment réellement en opportunités, les opérateurs de pêche doivent limiter l’usage des DCP, mettre fin au recours à des navires de soutien chargés de déployés les DCP et augmenter la part de thon pêché sans DCP. Les acteurs de l’aval, les marques et la grande distribution, doivent quant à eux proposer davantage de thon pêché sans DCP dans les gammes de produits que l’ont trouvent dans les rayons en Europe. Sur ce point, les citoyen-nes et consommateur-rices ont aussi un rôle à jouer en choisissant de consommer le thon avec modération et pêché durablement (sur des stocks en bonne santé et pêché sans DCP)

Plus d’informations ici et là.

Mais où est donc Thaï Union ?

On a pu constater un absent de marque à la conférence d’Abidjan : Thaï Union, plus connu des Français-es par sa marque Petit Navire. Thaï Union possède deux conserveries en Afrique de l’Ouest. Invité à participer aux débats de la conférence sur le thon en Afrique, le numéro un mondial des produits de la mer a préféré annuler sa participation au dernier moment. On ne peut que regretter cette absence car il aurait été utile d’entendre ce que Thai Union a à dire au sujet de la durabilité du thon tropical, sur l’usage des DCP, sur les besoins de changements, et surtout, sur la nécessité pour les grandes marques de s’engager vers du thon durable.