Le Salon international de l’agriculture a fermé ses portes la semaine dernière. Au menu de cette grand-messe : stands colorés de quelques multinationales, animations pour les enfants de la filière céréalière, quizz et projections vidéos de la filière bovine. Le tout agrémenté de vins et de fromages régionaux, de cocktails exotiques et de cuisine du monde. De quoi ressortir de sa visite avec le sourire. Enfin, presque. Car ne nous y méprenons pas : si la vitrine dorée du salon donne au secteur agricole un air de fête, le cœur n’y est pas. Greenpeace profite de la fermeture de ce salon pour faire le tour d’un modèle agricole à bout de souffle.
Des producteurs en galère
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : tous les trois jours, un agriculteur se suicide en France. La chute des prix et les aléas climatiques ne suffisent pas à expliquer les difficultés rencontrées par les céréaliers, les éleveurs et les producteurs laitiers de notre pays.
L’origine de ces épreuves se trouve dans les fondements du modèle agricole dominant. Produire toujours plus, plus vite et pour moins cher : la doctrine portée par l’agro-industrie est toxique pour notre territoire et ses agriculteurs. Le cas de la grippe aviaire qui fait rage en France jusqu’en ce début d’année 2017 est là pour nous le rappeler : à l’origine de la multiplication des épidémies dans le monde se trouvent l’expansion et l’intensification des filières ainsi que la mondialisation des échanges et les mouvements croissants des animaux qui vont de pair. En bout de course, on trouve les petits producteurs, directement affectés par les pratiques de leurs confrères industriels.
Un gouvernement qui patine
Les sols sont épuisés, nos eaux sont empoisonnées. Pour compenser les pertes de productivité, les producteurs n’ont parfois d’autres choix que d’y aller à grand renfort d’intrants chimiques, souvent aux dépens de leur terre et de leur santé. Certains agriculteurs décident de briser ce cercle vicieux et se lancent dans l’aventure de l’agroécologie ou du bio, parfois pour des raisons éthiques ou environnementales, de plus en plus souvent pour des raisons économiques. L’État, plein de bonne volonté, lance des plans d’action et des mesures financières pour soutenir ces formes d’agriculture, mais elles peinent à se mettre en place.
Pour commencer, le plan Ecophyto II vise à réduire de 50 % l’utilisation de pesticides d’ici 2025 – une date repoussée de sept ans suite à l’échec du premier plan Ecophyto. Création d’un réseau de fermes expérimentales (fermes Déphy), certificats d’économie de produits phytosanitaires, outils de diffusion d’information… autant de moyens dont les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances : la consommation de pesticides en France n’a cessé d’augmenter ces dernières années.
Le gouvernement ne parvient pas non plus à garantir aux agriculteurs en conversion ou déjà en bio une sécurité financière suffisante pour faire face à leurs difficultés. Premièrement, les aides nécessaires ont été largement sous-estimées et ce, malgré les alertes répétées de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), qui reste aujourd’hui fortement mobilisée.
Ensuite, la réorganisation des régions françaises et de leur exécutif est relativement récente. Parmi les nouvelles missions échues à ces régions se trouve la gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural. Sauf qu’en pratique, toutes les régions n’ont pas encore développé les compétences nécessaires à cette gestion, d’où une accumulation des retards. Comme si cela ne suffisait pas, une défaillance informatique au niveau national est venue aggraver ces retards.
Ainsi, les aides à la conversion et à la reconnaissance des services environnementaux (dites aides “de maintien”), ainsi que certaines mesures agro-environnementales et climatiques (les MAEC) des années 2015 et 2016 n’ont toujours pas été versées dans leur totalité. D’après la FNAB, l’annonce récente du gouvernement de débloquer une enveloppe de 343 millions d’euros pour pallier au manque ne réglera pas le problème de fond lié à la sous-estimation des budgets 2014-2020. Tout cela pose de sérieuses difficultés aux agriculteurs en conversion en particulier : leurs rendements commencent à diminuer et ils ne peuvent pas encore vendre au prix du bio. Sans compter que parfois ils n’ont pas prévu de trésorerie suffisante pour assurer cette transition. L’État ne s’étant pas engagé en termes de délais de versement de ces aides, les banques ne font pas confiance aux agriculteurs et refusent de leur accorder des prêts.
Jeux d’influence
La connivence entre les lobbies et les représentants politiques est de notoriété publique. Le secteur agricole n’est pas en reste. Cela est particulièrement vrai au sein des Chambres d’agriculture, où les représentants du syndicat majoritaire, la FNSEA, se mêlent à ceux de l’exécutif régional. Les dérives sont ainsi fréquentes (voir notre article à ce sujet) et affectent la question des aides. Ainsi, en 2016, certaines régions ont voté la redirection des budgets alloués au développement de l’agriculture biologique vers les Chambres d’agriculture – et donc vers la FNSEA. Cela équivaut à limiter drastiquement voire couper les budgets en faveur des acteurs historiques du bio. En Île-de-France, par exemple, le budget des Chambres d’agriculture a été multiplié par trois, tandis que le Groupement d’agriculture biologique et le réseau AMAP d’Île-de-France ont vu leur budget réduits de 30 et 35 % respectivement, et que Les Champs des Possibles (qui forme et accompagne des paysans bio dans leur installation) ainsi que Terre de Liens (qui achète des terres agricoles pour y installer des paysans bio) ne sont plus financés. Une façon de renforcer le développement d’une agriculture industrielle au détriment d’une agriculture locale, citoyenne et familiale.
Prochaines étapes
Au sein du secteur privé, certains acteurs ont par exemple décidé de devancer le gouvernement dans la lutte pour la réduction des pesticides. C’est le cas des distributeurs qui ont répondu aux demandes de la Course zéro pesticide de Greenpeace, s’engageant ainsi à accompagner leurs fournisseurs vers une agriculture plus écologique. D’autres enseignes, de distribution mais également de restauration collective et d’hôtellerie, se sont également engagées à cesser de vendre des œufs de poules élevées en batterie. Certaines marques viennent d’annoncer le lancement d’une filière porcine sans OGM et sans antibiotiques. Le modèle porté par ces grands groupes n’est certes pas celui porté par Greenpeace, mais ceux-ci pèsent lourd sur le secteur agricole et il est donc nécessaire que la transition passe également par eux.
Du côté des politiques, il est clair que les années à venir vont être marquées par un enjeu de taille : la renégociation de la Politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne. Bien que celle-ci ait largement contribué à la faillite du système agricole et alimentaire, à travers la promotion de méthodes agro-industrielles et de filières alimentaires globalisées, il est absolument essentiel de la préserver. Une réforme radicale de ce système est néanmoins nécessaire et un appel de plus de 150 organisations a été signé en ce sens. Sa renégociation s’annonce d’ores et déjà compliquée, du fait notamment du Brexit qui va entraîner un déficit pouvant s’élever à trois milliards d’euros.
Au niveau français, il est essentiel que le-a futur-e Président-e maintienne le cap dessiné par Stéphane Le Foll et fasse du développement de l’agriculture écologique une priorité – avec une mise à disposition de réels moyens financiers et techniques pour les acteurs du secteur agricole qui souhaitent s’engager. En ce qui concerne l’agriculture biologique plus spécifiquement, la FNAB, la commission bio de Coop de France et le Synabio proposent ainsi aux candidats à la présidentielle de signer leur Pacte pour une agriculture et une alimentation d’intérêt général, signé en mars 2017 par plus d’un millier d’élus.
Et les citoyens alors ? Nous pouvons tous agir : nous avons un pouvoir énorme sur l’évolution de notre agriculture via nos achats quotidiens, notre alimentation et nos votes politiques. Nous pouvons également agir en soutenant les associations qui défendent l’environnement, le bien-être animal ou la santé. Enfin, à une échelle plus collective, il nous est possible d’interpeller les entreprises et les élus, mais également les responsables de nos lieux de travail et d’éducation de nos enfants (grands et petits patrons, directeur d’écoles et professeurs, responsables d’hôpitaux) : enseigner, modifier les menus de nos cantines d’entreprises et de nos villes… autant d’actes qui, mis bout à bout, transforment notre société !