Pourquoi cette campagne et en quoi consiste-t-elle ?
La campagne « Manger bio et local, c’est l’idéal » est née en Rhône-Alpes. Elle est partie de l’idée de sensibiliser les consommateurs sur l’agriculture biologique, mais le but était également de les rapprocher des producteurs de leur région. Quelques années plus tard, elle a été étendue à d’autres régions et nationalisée. Aujourd’hui, une dizaine de régions est associée à cette campagne, avec l’idée de montrer aux citoyens que l’agriculture bio est présente sur son territoire.
Cette année, nous allons notamment insister sur l’importance de l’association entre bio et local. Face aux crises agricoles et alimentaires quasi permanentes en France, il y a une tendance lourde qui vise à dire que consommer localement est la solution. Mais ce n’est pas que cela. Cela fait partie de la solution mais il faut aussi s’intéresser aux conditions de production. Si on consomme des produits locaux mais qu’ils ont été faits à partir de soja OGM provenant d’Amérique du Sud, cela perd tout son sens. D’où la nécessité de consommer local ET bio.
Les avantages environnementaux de la production bio sont bien connus. Pouvez-vous esquisser les avantages économiques de la consommation bio et locale ?
L’agriculture biologique crée plus d’emplois (+ 60% par rapport à l’agriculture conventionnelle). En développant le bio, on favorise donc l’emploi sur le territoire.
D’autre part, cela permet aussi de créer de la valeur ajoutée au plus près du producteur. A partir du moment où il transforme et commercialise lui-même sa production, il crée de la valeur ajoutée et valorise beaucoup mieux son produit.
Mon mari, mon beau-frère et moi sommes producteurs laitiers. Nous faisons de la transformation de fromagère et vendons notre lait à un prix environ 3 fois plus élevé que le lait produit en filière longue bio et 5 fois plus que le lait vendu en agriculture conventionnelle. Nous transformons notre lait et commercialisons nous-mêmes nos produits. Nous avons donc dû embaucher et travaillons aujourd’hui avec 5 personnes salariées.
En tant qu’éleveurs en bio, nous ne sommes pas en crise du tout. Le marché du bio n’a rien à voir avec le marché de l’agriculture conventionnelle. Il y a un manque de lait bio par rapport à la demande. Les prix se maintiennent, voire augmentent. La crise de la production laitière que nous rencontrons actuellement est une crise du système agricole dans son ensemble. Ce système repose sur une stratégie qui a été construite sur l’exportation dans le but d’être compétitif à l’échelle mondiale. Mais on ne le sera jamais ! C’est illusoire. Ailleurs dans le monde, les coûts de production sont complètement différents et bien souvent moins élevés qu’en France.
Que répondez-vous aux préjugés du type « le bio, c’est trop cher » ?
L’agriculture biologique rémunère les producteurs. Le système demande d’avantage de main d’œuvre, parvient à créer de l’emploi, alors que nous sommes en période de crises économiques et sociales, et cela a un prix.
Notre campagne « Manger bio et local, c’est l’idéal » a aussi pour objectif de rendre les produits issus de l’agriculture biologique plus accessibles. La proximité, en réduisant le nombre d’intermédiaires, favorise des prix plus avantageux pour le consommateur.
La production bio doit s’adresser à toutes et à tous. Elle ne doit pas être réservée à des foyers ayant des revenus élevés. Se dire que seuls les consommateurs ayant des revenus élevés consomment des produits bio est une vision de l’esprit. Une étude Nutrinet faite par l’Inserm a permis de mettre en évidence le fait que les consommateurs de produits bio ont des revenus identiques aux consommateurs « traditionnels ». Ils ont simplement fait des choix différents.
N’avez-vous pas peur que le bio devienne une industrie ?
Le fait que l’agriculture bio se développe est essentiel. Il faut la développer pour répondre aux enjeux environnementaux globaux.
Mais nous portons aussi un projet de société. Ce que nous souhaitons développer c’est une filière comprenant transparence, traçabilité et rentabilité. Et il faut que cela soit accessible. Cela reste à construire.
L’agriculture biologique connaît un changement d’échelle. Nous assistons à une vague de conversions et une consommation croissante car les citoyens sont en pleine interrogation sur la qualité de leurs aliments.
Le défi est d’éviter de reproduire en bio ce que l’on a fait en conventionnel. Il faut engager un dialogue entre tous les acteurs pour travailler à un projet commun sur un territoire et voir comment avancer ensemble.
C’est pour cela que lors de la dernière Assemblée générale de la FNAB nous avons réaffirmé nos valeurs au travers d’une charte qui interpelle notamment les enseignes de la grande distribution pour voir comment elles pourraient participer et anticiper ce changement d’échelle de l’agriculture biologique.
Pour la FNAB, la vague de conversions n’est pas facile à endiguer car nous recevons beaucoup de demandes en régions. Il a fallu embaucher et ensuite se poser la question des moyens pour aider les producteurs à changer de système. L’accompagnement des agriculteurs est extrêmement important mais nous manquons cruellement de moyens.
Les pouvoirs publics doivent investir dans la transition écologique de l’agriculture. L’agriculture bio est le moteur de cette transition.
Justement, nous arrivons à la fin de l’année 2016 et en 2014 le ministère de l’Agriculture lançait le programme Ambition bio 2017 avec pour objectif de doubler les surfaces de production bio d’ici fin 2017. Où en est-on aujourd’hui ?
On n’y arrivera malheureusement pas. En 2014, nous étions à 4% de SAU (surfaces agricoles utiles) en bio. Aujourd’hui nous sommes à un peu plus de 5%. Nous pouvons éventuellement atteindre les 6% fin 2017 mais difficilement.
Fin août 2016, Stéphane Le Foll a demandé à l’Agence Bio de réunir l’ensemble des acteurs de la filière pour élaborer une nouvelle stratégie, voire pour amender le programme. On s’en félicite et on espère que cela va aboutir à des annonces concrètes. Tout n’avait pas été prévu, notamment les aspects budgétaires sur les aides à la conversion et les aides à la reconnaissance des services environnementaux et sociaux du bio. Par exemple, quand le producteur passe en conversion, il pratique l’agriculture bio mais ne peut pas vendre ses produits en bio pendant deux à trois ans. Il faut des aides pour accompagner l’agriculteur durant cette période. Aujourd’hui, elles sont insuffisantes. Les budgets alloués par l’Etat et les régions ne sont pas à la hauteur. Cela fait deux ans que la FNAB se bat pour cela, mais nous n’avons pas encore obtenu gain de cause.
La production bio représente un peu plus de 5% des SAU. En France, elle progresse d’année en année mais est encore à la traine par rapport à ces voisins européens alors que le Président Hollande affirmait en début d’année son ambition de faire de la France le 1er pays bio d’Europe. Quels sont les freins et que faire pour y remédier ?
Les moyens politiques ne sont malheureusement pas à la hauteur des ambitions. Il n’y a jamais réellement eu de suivi poussé des programmes. Ni échéance claire, ni bilan qui nous auraient permis de faire bouger les lignes. De plus, la Politique Agricole Commune (PAC) ne reconnaît pas les services environnementaux et sociaux rendus par la bio (préservation de la qualité de l’eau, de la biodiversité, créations d’emplois…) ; on y travaille pour la prochaine PAC (2020) et le soutien des ONG comme Greenpeace sera important.
Par ailleurs, au Sénat, le lobby agricole est très présent et très fort. On y évite toute référence à la bio ! Cela s’est vu lors du retrait de l’amendement sur les 20% de produits bio dans la restauration collective, mais aussi au moment du vote de la loi biodiversité avec le texte sur les néonicotinoïdes.
Heureusement, en contrepartie, nous avons les consommateurs et les citoyens avec nous. Le problème est que l’on attend toujours que la demande soit là et pressante ou qu’il y ait une crise agricole pour lancer une vraie dynamique, mais souvent en y affectant des moyens insuffisants .