Des feux contenus mais toujours en cours
Les feux, qui ont débuté le 3 avril, ont été propagés par un temps anormalement chaud, sec et venteux. Ces feux sont les plus importants jamais observés dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Cette zone sauvage, l’une des plus vastes d’Europe, mettra des années à s’en remettre.
Aux côtés de l’équipe Forêts de Greenpeace Russie et du département de cartographie de Greenpeace International, j’ai suivi l’évolution de ces feux depuis le départ. Les images satellite montrent qu’environ 57 000 hectares ont brûlé jusqu’ici dans le périmètre d’exclusion, soit 22 % de la zone.
Au moment où j’écris ces lignes, soit trois semaines après le début des feux, au moins trois des principaux foyers sont toujours actifs. L’un d’entre eux se situe à proximité de l’ancienne centrale, à seulement quatre kilomètres du sarcophage. Des centaines de pompiers, souvent mal équipés, sont encore à pied d’œuvre pour venir à bout des flammes.
Le vent a transporté la fumée vers des zones plus peuplées. Le 16 avril, la capitale ukrainienne, Kiev, à quelque 200 km, s’est ainsi retrouvée enveloppée dans un épais brouillard de fumée. Même si les niveaux de radioactivité ne dépassaient pas les normes, ils étaient plus élevés qu’à l’accoutumée. La fumée et les cendres ont aussi traversé les frontières : l’autorité de sûreté nucléaire norvégienne a détecté une légère augmentation des concentrations atmosphériques de césium-137 sur son territoire.
La hausse du niveau de césium-137 et d’autres radionucléides dans l’air est susceptible d’entraîner une augmentation des cas de cancers. Les personnes qui respirent ces fumées pourraient également inhaler des substances radioactives.
Des particules radioactives se déplacent-elles ?
Oui, des radionucléides potentiellement dangereux sont charriés par les panaches de fumée. En réalité, depuis 1986, les forêts de la région ont accumulé de la radioactivité, principalement dans la végétation et les couches supérieures du sol. C’est pourquoi les populations vivant à proximité des zones contaminées n’ont pas le droit d’utiliser la forêt pendant les 300 prochaines années. La zone d’exclusion autour de la centrale est toujours, 34 ans plus tard, fortement contaminée en césium-137, strontium-90, américium-241, plutonium-238 et plutonium-239. Les particules de plutonium sont les plus toxiques : elles seraient près de 250 fois plus nocives que celles de césium-137.
Les feux libèrent ces particules dans l’air et le vent peut les transporter sur de longues distances, élargissant ainsi les frontières de la contamination radioactive. A l’heure actuelle, il n’existe aucune donnée sur la quantité de particules que ces feux ont relâché dans l’atmosphère. Nous ne savons pas non plus jusqu’où elles ont pu être transportées. Il est cependant probable que la plupart de ces radionucléides se déposeront au sein de la zone d’exclusion ou à proximité, étant donné qu’il s’agit de particules lourdes.
Carte élaborée par le département cartographie de Greenpeace. Source : NASA Worldview, OpenStreetMap
En 2015, lors d’épisodes de feux de moindre envergure, les scientifiques ont estimé que les quantités de matières suivantes avaient été rejetées dans l’atmosphère : 10,9 TBq de césium-137 ; 1,5 TBq de strontium-90 ; 7,8 GBq de plutonium-238 ; 6,3 GBq de plutonium-239 ; 9,4 GBq de plutonium-239 et 29,7 GBq d’américium-241. Il ne fait aucun doute que, cette année, ces chiffres seront plus élevés.
Les pompiers et les habitants des environs sont exposés à un double risque : l’inhalation de fumée et les radiations. Des villes comme Kiev sont exposées sur le court terme aux impacts sanitaires liés à l’inhalation de fumée et, sur le long terme, à la contamination radioactive (qui provoque une irradiation interne) via la consommation de baies, de champignons ou de lait contaminés, vendus sur les marchés locaux. Personne n’est à l’abri de consommer des produits radioactifs.
Les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl se font toujours sentir. Des personnes sont toujours en danger et continuent de se battre contre ces feux, qui sont un très gros problème pour l’Ukraine, mais aussi le Bélarus et la Russie où, d’après les données officielles, cinq millions de personnes vivent toujours dans des zones contaminées. Ces feux se produisent pratiquement tous les ans.
Les autres années, des brigades de Greenpeace Russie ont prêté main forte à plusieurs reprises pour éteindre les feux dans des territoires contaminés. Cette année, nous n’avons pas pu nous rendre sur place en raison de la pandémie Covid-19.
Ces feux sont un fardeau de plus à gérer dans un contexte de crise sanitaire
En réalité, ces feux montrent que des situations d’urgence liées au nucléaire peuvent venir aggraver d’autres situations d’urgence, et que notre capacité à contrôler ces situations est faible voire nulle.
Les risques liés au nucléaire sont quant à eux aggravés par le manque de transparence. Au début des feux, les premières estimations officielles de la surface affectée étaient 600 fois inférieures à la réalité. Ce manque de transparence est aussi l’une des raisons derrière la gravité de la catastrophe de 1986 : il a plus tard été confirmé par la justice que le directeur même de la centrale de Tchernobyl n’avait pas été informé d’une catastrophe survenue en 1975 à la centrale nucléaire de Leningrad, et dont les retours d’expérience auraient pu contribuer à comprendre ce qui s’est passé au niveau du réacteur 4 de Tchernobyl.
La catastrophe de Tchernobyl va continuer à représenter une menace pour de nombreuses générations à venir.
Par Rashid Alimov, chargé de campagne sur le nucléaire à Greenpeace Russie. Article traduit de l’anglais par Greenpeace France.
Qu’en est-il en France ? La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) a indiqué dans le un communiqué de presse le 23 avril que “le niveau de contamination de l’air en France, par les panaches issus des incendies qui se sont déroulés du 4 avril à ce jour en Ukraine n’est pas un sujet d’inquiétude”.
Pour aller plus loin :