Petit Navire persiste et signe dans le greenwashing

 

Petit Navire répond rarement à ses détracteurs. L’année dernière, plutôt que de modifier sa politique d’approvisionnement, le numéro un français du thon en boîte avait préféré lancer une campagne de publicité et un site internet intitulé « questions de confiance ». Cette année, Petit Navire a publié une timide déclaration sur Facebook en réponse à notre campagne et Amaury Dutreil en personne a répondu à plusieurs personnes l’ayant interrogé par mail.

Il y a un an, nous avions déjà décrypté les déclarations de Petit Navire. L’entreprise a depuis mis à jour son site questionsdeconfiance.fr mais ne fait principalement que reprendre les arguments présentés depuis le début de notre campagne il y a maintenant près de deux ans.

Tout cela relève une fois encore plus de l’opération de greenwashing plutôt que d’une réelle implication en faveur d’une pêche plus durable. Ne laissez pas Petit Navire vous mener en bateau : décryptage, saison 2 !

« Les DCP, c’est pas si grave »

En effet, comme se plait à le rappeler Petit Navire, cette technique existe depuis l’Antiquité. Ce qui n’est pas le cas des bateaux industriels de pêche qui déploient jusqu’à plus de 1000 DCP par marée…Des DCP souvent composés de métal et de plastique.

Encore aujourd’hui, des pêcheurs artisans utilisent des DCP pour la pêche aux thons et autres espèces locales. Mais, il s’agit de DCP ancrés. Leur nombre est limité. Par exemple, aux Maldives, il y a 50 DCP ancrés autour de l’archipel, à une faible distance des côtes. Ces DCP sont contrôlés par le ministère de la Pêche. Les pêcheurs artisans viennent y pêcher à la canne. Les poissons sont remontés un par un ce qui limite grandement le risque de prise accessoire. C’est une situation très différente de l’usage massif et incontrôlé de DCP tel qu’il est aujourd’hui pratiqué par l’industrie des thoniers senneurs et les fournisseurs de Petit Navire.

« Les prises accessoires sont un problème ‘accessoire’ »

La quantité de prises accessoires liées à la pêche à la senne sur DCP est estimée à environ 5% du volume total des prises. Soit près de 100 000 tonnes, thons juvéniles non compris. C’est l’équivalent des prises de thons annuelles françaises. Si le pourcentage peut sembler faible, comparé à d’autre pêcheries, le problème est que les espèces qui composent ces prises accessoires sont des espèces menacées, comme les requins. …

Lors de notre expédition, nous documentons tous les DCP rencontrés, et observons systématiquement des requins soyeux à proximité, une espèce qui figure sur la liste rouge des espèces en danger établie par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Selon les scientifiques, les DCP déployés dans l’océan Indien causeraient la mort de près d’un million de requins soyeux par an.

Voici une vidéo que l’Esperanza a tourné quelques jours après son départ :

« La pêche à la canne est quasi dévastatrice »

La pêche à la canne est une pêcherie ciblée. Comparer les prises accessoires de la pêche avec DCP à celles de la pêche à la canne prêterait à sourire si la question n’était pas si importante.

« La pêche industrielle du thon est une manne pour les communautés locales »

L’industrie thonière a déjà un impact négatif sur les communautés de pêcheurs locaux et les populations qui dépendent du poisson pour leur subsistance.

Les pêcheurs artisans qui ciblent le thon souffrent de la pression que les industriels font peser sur les stocks. Les pêcheurs de Mayotte, de l’Ile Maurice et de la Réunion rencontrés par Greenpeace ont témoigné de la même difficulté : à cause d’un trop grand nombre de navires et de l’utilisation massive des DCP, il devient de plus en plus difficile de trouver du poisson.

Autre exemple, le poisson « cassé » : le thon jugé comme de moindre qualité et les autres espèces de poissons commercialisables sont utilisés pour payer les dockers en nature. Ces derniers les vendent ensuite sur les marchés locaux, notamment en Côte d’Ivoire et à Madagascar. Or l’arrivée de ce « faux poisson » ou « poisson cassé », comme il est communément appelé, déstabilise les marchés locaux car il est vendu à bas prix. Le « faux poisson » vendu au port est si bon marché que les pêcheurs locaux n’arrivent plus à vendre leur pêche et voient leurs revenus s’effondrer.

Souvent présenté par l’industrie comme un moyen de fournir de la nourriture à des populations pauvres et d’éviter le gaspillage de poisson, le « faux poisson » est en fait une manière cynique pour l’industrie de détourner l’attention du vrai problème : un niveau trop élevé de prises accessoires.

« Les DCP, c’est bon pour lutter contre le changement climatique »

Contrairement à ce qu’affirment les partisans des DCP, une étude a récemment montré que plus un navire utilise de DCP, plus il consomme de carburant.

Notamment car certains navires chassent les DCP de leur concurrents !

Plus largement, la plus grande partie de l’empreinte carbone des boites de thon est dégagée par le processus de mise en conserve. Si l’industrie thonière veut réellement se préoccuper de son empreinte carbone, elle devrait promouvoir les énergies renouvelables dans ses conserveries.

« Pêcher des thons juvéniles en plus des adultes permet de maintenir le stock à l’équilibre »

Dans le jargon, cette approche s’appelle le « balance harvesting ».

Késaco : cela consiste à pêcher des poissons de manière égale dans les différentes classes d’âges. Mais cela reste aujourd’hui une idée purement théorique qui pourrait être vraie si on parlait d’un écosystème marin parfaitement équilibré et donc aussi de stocks de thons parfaitement équilibrés, ce qui n’est pas le cas. Le balance harvesting est très prisé des industriels. Mais ne fait pas l’unanimité chez les scientifiques. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs récemment mis à mal le concept. Pour les « geeks », voici une étude très technique sur le sujet.

« Le nombre de DCP par bateau peut être limité »

Une estimation indique que 91 000 DCP seraient actuellement déployés à la surface des océans. La Commission thonière de l’océan Indien a adopté l’année dernière une « limite » à 550 DCP actifs par navire. Or si chaque senneur industriel appliquait cette « limite », 370 000 DCP flotteraient dans les océans tropicaux, soit plus du triple de l’estimation actuelle.

« Il existe des DCP écolos »

Les DCP non maillant ou « écologiques » n’ont d’écologique que le nom. S’ils permettent de réduire l’emmêlement des requins et des tortues, ils n’empêchent pas la concentration des requins et autres espèces autour du DCP. L’invention du DCP « écologique » consiste à modifier quelques détails à la marge, comme les matériaux utilisés pour leur fabrication en optant pour des matières biodégradables plutôt que pour du plastique. Cela n’améliore en rien la sélectivité de l’engin de pêche. On retrouve encore de nombreux DCP maillants ou devenus maillants à force d’être dans l’eau.

« L’encadrement de la pêche dans l’océan Indien avance »

Greenpeace est présente chaque année lors des réunions de la Commission thonière de l’océan Indien pour convaincre les parties prenantes d’adopter des mesures de gestion efficaces de la pêcherie permettant une stabilisation des stocks de thon à un niveau durable. C’est un travail de longue haleine. La prochaine réunion a lieu fin mai sur l’île de la Réunion et nous serons présents.

Voici un billet de blog sur la réunion de l’année dernière.

Petit Navire va baisser de 20% ses prises de thon albacore de l’océan Indien

L’annonce de Petit Navire de baisser les approvisionnements d’une espèce en se reportant sur une autre espèce n’est pas une solution crédible ou durable. Petit Navire ne fait que déplacer le problème de la surexploitation des stocks de thon d’une espèce à une autre ou d’un océan à un autre : l’année dernière, la marque expliquait augmenter la part d’albacore de l’océan Indien pour épargner le stock de l’Atlantique ; aujourd’hui elle compte privilégier l’océan Pacifique pour épargner l’océan Indien…

 

« Greenpeace se tourne les pouces sur la pêche illégale »

M. Dutreil semble regretter que Greenpeace ne soit pas mobilisée contre la pêche illégale… il devrait mieux se renseigner sur les campagnes de notre organisation. En effet, Greenpeace fait campagne contre la pêche illégale, de l’Afrique de l’Ouest à l’océan Austral en passant par l’océan Pacifique.

Greenpeace a également établi une base de données mise à jour régulièrement, listant les bateaux impliqués dans des pratiques de pêche illégale.

« La campagne de Greenpeace est injuste »

(le syndrome de Caliméro !)

Petit Navire estime être la cible de la campagne de Greenpeace car « référent » de l’industrie du thon en France. Il feint sûrement d’oublier que d’autres entreprises ont pris de l’avance dans le domaine de la pêche durable.

Greenpeace mène campagne vers les plus importantes marques de thon en boite, marques distributeurs incluses, et plusieurs ont déjà changé leurs pratiques.

Si Greenpeace continue de viser particulièrement Petit Navire, c’est parce que la marque n’a pas montré la même volonté de changement, préférant lancer une campagne de publicité et un site de communication vers les consommateurs.

La prochaine mise à jour du classement aura lieu l’année prochaine afin d’évaluer la mise en œuvre concrète des démarches entreprises ou annoncées par les marques.

Comme pour la transition énergétique, l’adoption de méthodes de pêche durables comme la senne sans DCP, la canne et la ligne de traîne, ne pourra se faire du jour au lendemain. Une transition progressive vers des méthodes moins intensives, parallèlement à la mise en œuvre d’une réduction de la capacité de pêche au thon, permettra aux stocks de se porter mieux et donc à terme de fournir des volumes plus importants avec des méthodes de pêche durables.