La politique du fait accompli
Car ce couvercle n’est pas conforme : en avril dernier, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) annonçait la détection d’une anomalie dans la composition de l’acier de la cuve de l’EPR de Flamanville lors d’un de ses contrôle chez AREVA Saint-Marcel (Chalon-sur-Saône). En outre, une batterie de tests a démontré que l’acier de la cuve (déjà en place sur le chantier de l’EPR) et de ce couvercle (forgé en même temps mais jusqu’ici entreposé à Chalon) est plus fragile que ce que prévoient les normes de sûreté : ces éléments ne sont donc pas fiables en l’état. Or, la cuve et son couvercle forment deux pièces d’un seul tenant et il est impossible de la « rafistoler » tel quel, le cas échéant (il faudra tout redémonter). Par conséquent, fixer un couvercle lui-même défectueux dessus relève du non-sens absolu.
A quel jeu joue donc EDF ? A la politique du fait accompli. EDF entend simplement forcer la main à l’ASN au détriment de la sécurité des citoyens français – et de leur porte-monnaie, une fois de plus. Une manière de faire simplement scandaleuse, destinée à masquer le fait que le nucléaire, plus que jamais, est une voie sans issue.
C’est pourquoi nous sommes présents au départ du convoi : nous voulons dire aux Français que ce qui se trame avec l’EPR de Flamanville n’est pas acceptable. Et nous demandons à l’Etat, au président de la République François Hollande et à la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Ségolène Royal, de mettre un terme rapidement mettre un terme à ce chantier qui symbolise le fiasco industriel et économique de toute une filière. Une sérieuse reprise en main de la politique énergétique du pays s’impose.
Le fiasco des EPR
Ce coup de force est symptomatique de l’échec que représente Flamanville, et plus largement les réacteurs de type EPR. Lancé en 2007, le chantier ne devrait pas être terminé avant 2018, soit sept ans, au mieux, après la date initialement prévue. Surtout, il devrait coûter au moins 10,5 milliards d’euros, loin des 3,4 milliards d’euros prévus. Et encore, c’est sans compter sur les dépenses que pourraient nécessiter les recommandations de l’ASN, qui continue d’expertiser les failles détectées dans la cuve l’année dernière. Au final, Flamanville ne sera ni sûr, ni rentable.
Par ailleurs, les EPR peinent à remporter des marchés à l’international. D’abord parce que le marché du nucléaire se réduit face à la poussée des renouvelables. Ensuite parce que le produit n’est manifestement pas bon. Les Finlandais sont toujours en contentieux avec AREVA suite à des problèmes de livraison (retards, surcoûts) de l’EPR d’Olkiluoto (plus de 9 ans de retard et triplement du prix).
Quant aux Chinois, ils commencent à nourrir de sérieux doutes quant à la sûreté des EPR français qu’ils ont achetés. Ils ont ainsi décidé de différer la finition et la mise en service de leurs EPR de Taishan. Ils attendent les conclusions de l’ASN concernant les défauts de Flamanville.
Le marché conclu avec les Anglais pour construire des EPR à Hinkley Point accuse lui aussi de sérieux contrecoups. D’abord, le gouvernement britannique vient d’annoncer qu’il retirait son soutien financier au projet si Flamanville ne voyait pas le jour avant 2020 . Or les multiples contretemps en cours risquent bien de prolonger le chantier au-delà de cette date. De plus, si EDF devait au départ ne financer qu’un tiers d’Hinkley Point, il doit aujourd’hui en assumer deux – pour un projet qui pèse près de 24 milliards d’euros. Problème : EDF n’a pas l’argent pour, et fait donc pression sur l’Etat-actionnaire. Le patron du projet EPR anglais vient de démissionner.
Si bien que pour la première fois, un syndicat, FO, a officiellement enjoint à EDF d’abandonner le projet, beaucoup trop risqué financièrement. On mesure ainsi combien la stratégie de développement nucléaire poursuivie par EDF est erratique.
Une faillite industrielle
C’est une véritable ambiance de décrépitude industrielle qui entoure le nucléaire français. Car à côté du fiasco symptomatique des EPR, EDF accumule d’autres revers financiers.
Le site d’enfouissement des déchets nucléaire de Cigeo, d’abord. Qui devrait coûter officiellement 35 milliards d’euros d’après l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), au lieu des 13 milliards annoncés. La recapitalisation d’Areva, ensuite. Qui devrait coûter finalement plus cher que les 2,7 milliards annoncés, tant ses comptes sont dégradés. Le dédommagement de TVA, l’opérateur finlandais en contentieux avec EDF pour le retard de livraison de l’EPR d’Olkiluoto, qui devrait atteindre 2,5 milliards. Enfin et surtout, le grand carénage, à savoir la rénovation du parc nucléaire français (arrivant à obsolescence), qui devrait s’élever à environ 110 milliards d’euros. Lesquels ne sont pas provisionnés dans les comptes d’EDF.
Or EDF perd actuellement de l’argent. Ses comptes sont dans le rouge – la dette de l’électricien a doublé en 10 ans, s’établissant actuellement autour de 34 milliards d’euros. L’entreprise a même été exclue du CAC 40 au mois de décembre 2015. Elle a atteint son plus bas niveau historique en bourse. Et la situation ne risque pas de s’améliorer puisque l’électricité issue des énergies renouvelables non seulement voit un marché grandissant s’ouvrir à elle mais, en plus, du fait des améliorations techniques récentes, apparaît aujourd’hui comme globalement plus compétitive que l’énergie nucléaire.
L’urgence d’aller vers les renouvelables
Au lieu de laisser EDF s’enferrer dans une politique industrielle sans issue et coûteuse pour le contribuable, l’Etat devrait réorienter la politique énergétique du pays dans les renouvelables, où nous sommes toujours très en retard sur nos voisins européens. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), chargée de mettre en œuvre concrètement les dispositions inscrites dans la loi sur la transition énergétique (TE) votée à l’été 2015, est en discussion ces jours-ci. Un nouveau texte vient même d’être finalisé par le gouvernement, qui doit être présenté au comité de suivi avant la fin du mois.
C’était l’occasion pour l’exécutif d’engager vraiment la transition vers les énergies renouvelables. Or selon l’AFP, le texte actuel de la PPE prévoit que les renouvelables assureront 40% de la production énergétique en 2030. Le problème, c’est que la loi TE prévoit de réduire le nucléaire à 50 % du mix électrique d’ici 2025 (contre environ 80% aujourd’hui). Nous sommes donc loin du compte – à moins que le gouvernement ne décide d’investir dans les centrales à charbon ?
Bref, la loi TE implique de fermer des centrales, surtout pas d’en construire de nouvelles – et Flamanville est dangereuse, inutile, et coûteuse. Ensuite, l’Accord de Paris adopté en décembre dernier lors de la COP21 reconnaît l’urgence de lutter contre le réchauffement climatique et fixe l’ambition de contenir la hausse des températures à 1,5°C d’ici la fin du siècle. Or, cela ne pourra se faire sans un investissement massif et bien plus rapide dans les énergies renouvelables.