Mise à jour du 2 juillet 2018 : Sans grande surprise, le Sénat a fait preuve d’un conservatisme encore plus prononcé que l’Assemblée nationale lors des discussions sur le projet de loi “Agriculture et Alimentation”.
Est tout de même à noter : la réintroduction de l’objectif d’atteindre 20% de produits bio dans la restauration collective (alors que cette disposition avait été supprimée par les sénateur-rice-s de la Commission des affaires économiques). Youpi.
Pour ce qui est du reste, et notamment sur l’introduction de repas végétariens hebdomadaires dans les cantines scolaires, le Sénat est resté au point mort. Pire : pour ce qui est de la diversification des protéines dans la restauration collective (un plan déjà peu ambitieux), il a reculé par rapport à la proposition de l’Assemblée puisqu’il souhaite que seuls les établissements de plus de 300 couverts soient concernés (alors que l’Assemblée nationale visait les établissements de 200 couverts et plus). Ils ont également voté pour l’interdiction de toute dénomination faisant écho à celles des aliments carnés concernant la vente – et même la promotion ! – de produits « contenant une part significative de matières d’origine végétale ». Fini donc les « steak végétaux », ainsi que les slogans de type « Oh la vache ! C’est 100 % végétal ».
Hécatombe des mesures pour une “alimentation saine, durable et accessible à tous” : les sénateurs ont eu le même effet sur ce texte que… les néonicotinoïdes sur les abeilles !
Les rares mesures positives qui avaient passé le filtre de l’Assemblée nationale ont été évincées.
Restauration collective : 50% de produits dits “durables”, 20% de produits bio.. où en est-on ?
L’un des articles phare du projet de loi (celui sur l’alimentation saine et durable) concerne la restauration collective et en particulier l’introduction de 50% de “produits durables” (article 11). Cet article, qui était loin d’être parfait, a été vidé du peu de substance qu’il lui restait puisque l’objectif d’atteindre 20% de produits bio, qui devait être pris au travers d’un décret, a été supprimé. L’argument ? Cela favoriserait les importations.
En savoir plus : les arguments du Sénat sur le rejet de l’introduction des produits bio dans la restauration collective contrés par la FNAB.
Concernant le reste de l’article, le Sénat n’a fait que confirmer le manque d’ambition des député-e-s et du gouvernement ! Les 50% de produits dits “durables” incluent en effet tout et n’importe quoi : les produits issus d’exploitations ayant obtenu la certification environnementale de niveau 1 et 2 (qui ne présentent aucune obligation de résultats – seul le niveau 3, la Haute Valeur Environnementale, permet de certifier qu’un produit est durable), ou encore les produits labellisés, tels que le Label Rouge ou encore les appellations d’origine protégées. Pour rappel, le Label Rouge est un label de qualité gustative avant tout. Il n’intègre aucun critère de durabilité, et ne devient intéressant que lorsqu’il est associé à la mention “produit fermier”. Enfin, ça, c’était avant que l’Assemblée nationale n’adopte un autre amendement…
La mention “fermier” jetée en pâture à l’agro-industrie par l’Assemblée nationale sans aucune réaction du Sénat
“Vous ne l’aviez pas rêvé ? Ils l’ont fait quand même”, s’exclamait le journaliste Guillaume Meurice cette semaine au sujet d’une autre actualité du secteur agricole. Lors du passage du texte à l’Assemblée nationale à la fin du mois dernier, les député-e-s ont voté un amendement permettant aux agro-industriels de récupérer le terme de “fermier” (article 11 octies). Cette mention ne voudra plus rien dire puisqu’un fromage qui n’aura pas été entièrement transformé dans une ferme sera tout de même en mesure d’obtenir cette appellation. “Les producteurs seront lésés, les consommateurs trompés”, dénonce la Confédération Paysanne dans le texte de sa pétition adressée au gouvernement. La Commission des affaires économiques du Sénat, qui affirme vouloir “revenir à l’essentiel [et] permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leur travail [et] promouvoir les productions locales et de qualité” est restée silencieuse sur cette question…
Transparence et information des consommateurs
Les député-e-s avaient voté un article imposant l’étiquetage des aliments (mode d’élevage, origine, utilisation des produits phytos, mention « nourri aux OGM »…) – un article clé pour les ONG de la Plateforme pour une transition agricole et alimentaire. Mais les sénateurs ont purement et simplement supprimé l’article en question. Pierre Médevielle, rapporteur de la commission du développement durable, craignait que “cela ne pénalise les producteurs français face à des productions étrangères non soumises à la même obligation”. La suppression de cet article est emblématique de la volonté du Sénat et du gouvernement : ne rien imposer, sans pour autant donner les moyens aux consommateurs de réaliser par eux-mêmes des choix éclairés.
Un article a réussi à passer les mailles du filet de la commission : celui concernant l’étiquetage de l’origine des miels. L’article ne s’en sort pas indemne pour autant, les sénateurs ayant fait reculer la date butoire de 2019 à 2020.
Pesticides : En Marche (arrière) vers la transition !
Les amendements adoptés par le Sénat cette semaine parlent d’eux-mêmes :
- L’interdiction des remises, rabais et ristournes sur les produits phytosanitaires initialement votée par les député-e-s a été supprimée.
- Le champ de l’expérimentation d’épandage aérien par drones a été étendu à tous les pesticides, sans aucune distinction (celle-ci devait concerner uniquement les produits “autorisés en agriculture biologique ou faisant l’objet d’une certification du plus haut niveau d’exigence environnementale mentionnée à l’article L. 611-6 du même code”). Non, vous ne rêvez pas…
- L’interdiction d’utilisation de pesticides contenant une substance active présentant des modes d’action identiques à celles des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits a été supprimée (sic!).
- La disposition qui visait à favoriser l’usage des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP: purins, macérations, etc.) et qui constituait pour les agriculteurs la principale avancée concernant le soutien aux alternatives aux pesticides a été supprimée. La Confédération Paysanne et l’Aspro-PNPP dénoncent ce recul “qui continue à placer les paysan-ne-s dans l’illégalité, lorsqu’ils utilisent, par exemple, de la consoude [une plante très fertile utilisée comme engrais]”. Consoude qui serait d’ailleurs utilisée dans le jardin du Sénat lui-même…
Et les protéines animales dans tout ça ?
Greenpeace milite depuis plusieurs mois maintenant pour une réduction de la part des protéines animales dans notre consommation, et une amélioration de leur qualité. Plus de 70 député-e-s de cinq partis politiques différents ont déposé ou signé des amendements proposant l’introduction de menus sans viande ni poisson dans la restauration scolaire. Aucun n’a finalement été voté. Seul celui concernant la présentation d’un plan de diversification de protéines a été ajouté par les député-e-s au texte initialement proposé par le gouvernement. Il a été conservé tel quel par les sénateur-rices (pour l’instant). Il est ainsi rédigé : “Les gestionnaires d’organismes de restauration collective publique servant plus de deux cents couverts par jour en moyenne sur l’année sont tenus de présenter à leurs structures dirigeantes un plan pluriannuel de diversification de protéines incluant des alternatives à base de protéines végétales, dans les repas qu’ils proposent”. Un (tout petit) premier pas vers l’augmentation de la part de végétal dans les cantines.
Le texte devrait être voté en plénière au Sénat du 26 au 28 juin. Soyons clairs : Greenpeace n’a aucun espoir quant à une amélioration significative de ce texte. Nous espérons simplement que les sénateur-rices les plus engagés – car il y en a – sauront limiter les dégâts… et nous regrettons que les parlementaires suivent avec autant d’application et d’aveuglement la ligne directrice du gouvernement : ne rien imposer, faire confiance aux grandes entreprises agroalimentaires qui détruisent depuis des décennies nos systèmes agricoles et alimentaires, remettre entre les mains des filières la responsabilité de la transition dont les citoyens et les agriculteur-rices ont tant besoin.
Car c’est bien cela dont il était question au commencement des Etats Généraux de l’Alimentation (EGA), lancés en juillet 2017 : recréer de la valeur et en assurer l’équitable répartition dans les filières agricoles, permettre aux agriculteur-rices de vivre dignement de leur travail et assurer une alimentation saine, durable et accessible à tous. Les quelques 35 000 heures de travail des parties prenantes des EGA auront été vaines, et la mise en place d’un processus faussement démocratique, ouvert et participatif permettra sans doute au gouvernement de justifier son inaction et ses reculades. A quelques jours de l’adoption de la loi, le bilan est sombre malgré les effets d’annonce et les satisfecits échangés : cette loi n’apportera aucune solution concrète aux crises économique, écologique et sanitaire auxquelles le monde agricole et la société toute entière doivent aujourd’hui faire face.