Greenpeace, habituée aux procédures-bâillons
Si Greenpeace est aujourd’hui poursuivie par Résolu, ce n’est certainement pas la première fois qu’elle se trouve confrontée aux attaques d’entreprises qui ont été la cible de ses campagnes.
Des attaques à l’intégrité de Greenpeace et à sa liberté d’expression ont en effet eu lieu ces dernières années : c’est par exemple le cas de l’affaire qui a opposé l’Association Nationale Pommes Poires (ANPP) à Greenpeace. Cette affaire s’est soldée par une décision judiciaire qui a donné raison à Greenpeace, qui avait voulu dénoncer l’utilisation massive de pesticides par les producteurs de pommes.
Par ailleurs, la journée internationale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai dernier, a eu une saveur toute particulière pour Greenpeace : nous étions convoqués au tribunal pour diffamation par la Socfin, qui estimait que nous avions « porté atteinte à son honneur ».
La Socfin (dont 38% du capital est détenu par le groupe Bolloré) dispose de plus de 185 000 hectares de plantations de palmiers à huile et d’hévéas en Afrique et en Asie du Sud-Est. Greenpeace a lancé en février 2016 une campagne exhortant la Socfin à garantir la non-déforestation des zones boisées situées à l’intérieur de ses concessions. Si l’entreprise s’est en effet engagée sur le chemin de la « zéro déforestation » après près d’un an de campagne, il est indéniable qu’en refusant de le faire dans un premier temps, elle faisait alors peser une lourde menace sur les forêts tropicales.
Le groupe Bolloré est coutumier de ce type de procédures judiciaires à l’encontre des ONG et des médias, et de cette tactique peu amène de riposte.
Toute la société civile est concernée. Par exemple, l’association Sherpa, visée par de multiples procédures en diffamation par le groupe Bolloré, la Socfin ou encore Vinci (ce dernier ayant demandé 400 000 euros de dédommagement à l’association), est l’une de ces organisations qui peut témoigner de la multiplication des procédures-bâillons.
Du côté de la presse indépendante, le magazine Bastamag a également fait les frais des attaques du groupe Bolloré, à la suite de la parution d’un article dénonçant le rôle des grandes entreprises françaises dans l’accaparement des terres en Afrique et en Asie.
Des ONG françaises également dans le viseur
D’autres organisations ont souffert des attaques de grandes multinationales. La fondation France Libertés a par exemple dénoncé des poursuites-bâillons pour diffamation engagées à son encontre par Veolia pour l’empêcher de dénoncer des coupures illégales d’eau en France. Début mai, Veolia était condamnée par la justice à deux reprises. Partie civile dans ces dossiers, l’association continue de se battre pour demander que l’entreprise soit rappelée à l’ordre. Un travail conséquent qui résume bien l’objectif de ces poursuites : affaiblir psychologiquement et financièrement les organisations lanceuses d’alerte, drainer leur énergie.
Même histoire pour les faucheurs de chaises, qui voulaient pointer du doigt les grands fraudeurs fiscaux et les organisations qui les soutiennent. La BNP Paribas a multiplié les plaintes et les menaces à leur égard tout en veillant, dans sa communication, à passer pour une banque clémente et coopérative.
Des procédures qui viennent compliquer une lutte déjà inégale
Les faits visés par les entreprises dans leurs plaintes sont de plus en plus disproportionnés. La gravité des faits n’est généralement pas caractérisée et la procédure apparaît ainsi injustifiée. De plus en plus, à la moindre communication d’une organisation de la société civile, certaines autres organisations « répondent » par une action en diffamation.
Dans le rapport de force que nous instituons dans le cadre de nos campagnes, nous ne luttons déjà pas à armes égales. Nous n’avons en effet par les mêmes moyens, financiers, juridiques, humains, etc., que ceux des entreprises que nous ciblons. Ces difficultés s’ajoutent au fait qu’il est souvent très difficile d’accéder aux informations, en particulier quand on travaille sur des sujets comme la déforestation, la surpêche, l’industrie nucléaire ou l’agriculture intensive,ou encore l’évasion fiscale ou la contribution des banques aux changements climatiques, malgré l’importance de ces sujets pour l’intérêt général et les droits fondamentaux.
Les poursuites-bâillons ne font qu’aggraver ces difficultés et creuser davantage cette inégalité de moyens en exerçant une pression financière et psychologique sur les associations. Les sommes exorbitantes demandées par les entreprises en réparation illustrent très bien cette volonté de porter atteinte aux associations.
Imaginez-vous un monde sans organisations de la société civile ?
Imaginez un monde dans lequel il n’y aurait plus d’organisations de la société civile pour défendre les droits humains, l’environnement, l’accessibilité des personnes handicapées, l’éducation ou la santé. Un monde où ces organisations ne pourraient pas agir pour la bonne et simple raison qu’elles ne pourraient pas se permettre, financièrement, de faire face aux dépenses de justice…
Imaginez un monde dans lequel la presse aurait été mise hors-jeu par les pénalités financières réclamées par les puissants qu’elle aurait osé critiquer…
Greenpeace a l’habitude de ce genre de manœuvre et ne se laissera pas intimider. Nous continuerons, avec votre soutien, à parler de la forêt boréale et de la nécessité de la protéger. Nous continuerons d’expliquer à Résolu pourquoi elle doit changer de méthode et respecter les avis scientifiques, même confrontés à une procédure-bâillon hors-norme par l’ampleur des dommages-intérêts réclamés et la nature des accusations.