Les forêts, championnes du climat
Dans la mesure où elles constituent des puits de carbone importants et irremplaçables, les forêts régulent les équilibres climatiques. La destruction des forêts est responsable d’environ 12 à 17% des émissions mondiales de gaz à effet de serre : presque autant que tous les avions, voitures, camions, bateaux et trains de la planète réunis. La forêt absorbe en effet les émissions de CO2 comme une éponge. Elle capture le CO2 présent dans l’atmosphère via la photosynthèse et le stocke aussi bien dans le bois que dans les sols et tourbières.
Si les discussions en cours au niveau international se focalisent beaucoup sur les façons de renouveler notre système énergétique, afin notamment de parvenir à 100% d’énergies renouvelables le plus vite possible, ce n’est pour autant pas l’unique moyen de combattre le changement climatique. Protéger les forêts doit être aussi une priorité absolue, parce qu’une forêt coupée contribue au dérèglement climatique, tandis qu’une forêt debout en atténue les effets.
Or les forêts primaires, à savoir celles qui sont encore indemnes de toute intervention humaine, ne peuvent être remplacées par des plantations : elles constituent un patrimoine écologique inestimable, accumulé par des siècles de vie naturelle. Le groupe spécial d’experts techniques sur la biodiversité et les changements climatiques (AHTEG) de la Convention sur la diversité biologique (CBD) souligne ainsi que : « les forêts primaires présentent généralement une densité en carbone, une diversité biologique et une résistance plus élevée que les autres écosystèmes forestiers, notamment les forêts naturelles modifiées et plantations. »
Une richesse naturelle menacée
Hélas, les forêts, et en premier lieu les forêt primaires, sont aujourd’hui menacées par l’exploitation forestière industrielle comme par l’agrobusiness. Aujourd’hui la forêt boréale, l’un des plus grands puits de carbone terrestre mondial, est dégradée par une industrie forestière qui n’hésite pas à raser des parcelles entières pour récolter du bois, de même qu’elle souffre de la multiplication des feux de forêts liés à l’activité humaine.
Quant aux forêts tropicales (Amazonie, Bassin du Congo, Indonésie), elles sont attaquées d’un côté par le trafic de bois illégal, de l’autre par l’expansion des pâturages : l’élevage bovin est en effet responsable de 80% de la déforestation amazonienne, ce qui représente 14% de la déforestation annuelle de la planète. Pour finir, l’extension des plantations liées à l’agrobusiness, comme l’huile de palme, nécessitent le plus souvent de déboiser de vastes parcelles.
A titre d’exemple, la forêt indonésienne est régulièrement ravagée par des feux de forêts qui permettent de dégager, tout en les fertilisant, de vaste parcelles de tourbières afin d’y planter des palmiers à huile. Or, en 2015, les feux en Indonésie ont rejeté en quelques mois plus de CO2 que l’ensemble du Royaume-Uni en une année.
Sans compter que le changement climatique fragilise les forêts, plus vulnérables aux incendies. Dans une étude publiée en octobre dernier par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), des chercheurs américains estiment que le changement climatique est le principal coupable de l’augmentation des superficies forestières réduites en cendre dans l’ouest des États-Unis. L’augmentation des températures est ainsi en cause dans la propagation et la durée sans précédent des incendies de forêts en Alaska, où près de 2,1 millions d’hectares ont brûlé en 2015, soit la deuxième plus grande superficie depuis le début des observations en 1940. Selon ces chercheurs, « le changement climatique induit par les humains pourrait avoir accru le risque de ces incendies pendant la saison des feux de 34 à 60% ».
Un cercle vicieux qui montre à quel point forêts et climat sont interdépendants.
La mécanique onusienne au secours des forêts ?
En 2011, la Convention sur la biodiversité biologique (CBD) s’est donné une liste d’objectifs stratégiques à atteindre en 2020 : ce sont les objectifs dits « d’Aichi ». Parmi eux, l’objectif n°5 prévoit que « d’ici à 2020, le rythme d’appauvrissement de tous les habitats naturels, y compris les forêts, soit réduit de moitié au moins et si possible ramené à près de zéro, et la dégradation et la fragmentation des habitats soient sensiblement réduites. », et l’objectif n°15 que « d’ici à 2020, la résilience des écosystèmes et la contribution de la diversité biologique aux stocks de carbone soient améliorées, grâce aux mesures de conservation et restauration, y compris la restauration d’au moins 15 % des écosystèmes dégradés, contribuant ainsi à l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ceux-ci, ainsi qu’à la lutte contre la désertification. »
La dernière édition de la CBD a eu lieu à Cancún fin 2016. Elle a accouché d’un accord signé par 167 parties, dans lequel les États s’engagent à tout faire pour que les objectifs d’Aichi soient bel et bien respectés d’ici 2020. Pour l’instant, seuls 5% des États signataires semblent en passe de pouvoir tenir leurs engagements.
En 2014, la Déclaration de New York sur les Forêts formulée sous l’égide de l’ONU, a également constitué un engagement ambitieux de nombreuses parties prenantes (des dizaines de gouvernements, plus d’une trentaine des plus grandes entreprises mondiales et plus de 50 organisations de la société civile et des communautés autochtones) pour réduire les pertes forestières naturelles de moitié d’ici 2020, en s’efforçant d’y mettre fin d’ici 2030. Atteindre ces objectifs permettrait d’éliminer une pollution carbonique équivalente à ce que représentent actuellement les émissions d’un pays comme les États-Unis (soit 4,5 à 8,8 milliards de tonnes de pollution carbonique par an). A titre de comparaison, si la déforestation qui touche les forêts tropicales était un pays, elle serait l’un des pays les plus émetteurs au monde.
Enfin, l’Accord de Paris conclu à la COP21 en 2015 par l’ensemble des parties (tous les pays du monde) précise dans son article 5 que « les Parties sont invitées à prendre des mesures pour appliquer et étayer […] les démarches générales et les mesures d’incitation positive concernant les activités liées à la réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation de la forêt, et le rôle de la conservation, de la gestion durable des forêts et de l’accroissement des stocks de carbone forestiers dans les pays en développement. »
Dans cette dynamique d’incitation financière, le fonds UN-REDD a été lancé en 2008 pour apporter une aide aux pays en développement sur la base de projets nationaux (dits REDD+), élaborés dans l’optique de réduire la déforestation et d’amoindrir la pression économique qui pèse sur les forêts. Ces projets sont financés par des bailleurs internationaux.
Quel bilan pour la COP22 ?
En outre, cet automne 2016 se tenait à Marrakech la COP22, dont le mandat était de donner suite à l’Accord de Paris en concentrant les discussions sur les dispositifs d’action concrets à mettre en œuvre, notamment pour pouvoir mesurer la contribution effective de chaque pays à l’effort climatique international.
Même si la question de la préservation des forêts a encore eu (trop) peu de place dans les négociations officielles, il semble que l’attention globale portée à cet enjeu commence à grandir. Plusieurs événements parallèles y étaient dédiés. Plusieurs scientifiques ont pu souligner l’urgence de s’occuper plus concrètement de la sauvegarde des forêts pour combattre le changement climatique. Et l’exemple du moratoire sur le soja en Amazonie, dont Greenpeace a été l’un des principaux artisans, a été mentionné comme une voie à suivre, notamment en ce qui concerne la collaboration du secteur privé et du secteur public dans la mise en place de politiques protectrices pour les forêts.
La COP22 a également produit son lot d’annonces. Parmi elles, un (énième) moratoire sur le déboisement des tourbières en Indonésie, une transformation du Code forestier brésilien ou encore un partenariat entre Google et la FAO pour la création de l’outil Collect Earth, outil open-source capable de produire des images satellite haute définition des forêts et de leur dégradation.
Notons également que la Tropical Forest Alliances (TFA), composée notamment de sept États africains (qui représentent à eux seuls 250 millions d’hectares de forêt tropicale – soit 13% environ du total mondial), a signé lors de la COP22 une déclaration dans laquelle ses membres s’engagent à protéger la forêt tropicale de l’exploitation d’huile de palme non durable.
Des progrès apparaissent donc peu à peu au niveau de la diplomatie environnementale. Pour autant, les quatre points suivants doivent être beaucoup plus sérieusement inclus dans les discussions climatiques internationales à venir :
1) Les secteurs foncier et forestier ont besoin d’un système d’évaluation indépendant, clair et transparent des émissions et retenues de CO2 qui leur sont liées, afin d’inciter à l’arrêt de la déforestation ainsi qu’à la restauration des forêts et autres puits de carbone naturels.
2) Les pays en développement ont besoin d’un soutien financier additionnel du Fonds vert pour le climat ou d’autres donateurs bilatéraux pour la préservation et la restauration des forêts ; tout en évitant absolument les mécanismes de crédits-carbone ou toute autre logique compensatoire qui consiste à troquer la préservation d’une forêt ici contre des droits à polluer ailleurs.
3) Dans les contributions nationales à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (INDCs), doivent apparaître des objectifs plus ambitieux quant à la préservation des forêts. Car ils sont pour le moment inadéquats en ce qui concerne les pays en voie de développement, et virtuellement inexistants en ce qui concerne les pays développés. Plus largement, ce sont les INDCs dans leur ensemble qui, selon les scientifiques, doivent être revues à la hausse pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
4) Enfin, il est temps d’avancer franchement dans la reconnaissance officielle des droits fonciers des peuples autochtones, qui sont les premiers défenseurs des forêts.