Alors que la catastrophe nucléaire est toujours en cours, Jean-François Julliard est en ce moment à Fukushima au Japon. Invité par le bureau de Greenpeace sur place, il rencontre des habitants, des agriculteurs de la zone sinistrée de la centrale.
Ce lundi, alors que la neige continue de tomber sur la préfecture de Fukushima, nous sommes allés à la rencontre d’agriculteurs du village d’IItate, situé à 39 km au nord-ouest de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
Ce sont leurs témoignages que je souhaite partager aujourd’hui, parce que c’est leur souhait : que le plus grand nombre de personnes sachent.
Dans #Fukushima enneigée. En route pour notre première rencontre avec un fermier de la région pic.twitter.com/HwHAtrtVoe
— J-Francois Julliard (@jfjulliard) 17 Février 2014
Des hommes en colère
Kenichi Hasegawa est fermier dans la région de Fukushima. Il vit à une trentaine de kilomètres de la centrale nucléaire. Depuis la catastrophe il se sent investi d’une mission : celle de raconter son histoire et de la faire connaître au monde entier. Avant, son village était un havre de paix, en pleine nature. Depuis, les zones interdites se sont multipliées, les terrains abritant des matériaux contaminés ont remplacé les champs. De toute manière, les champignons et légumes qui y poussaient ne pouvaient plus être consommés.
M. Hasegawa est en colère.
En premier lieu contre le gouvernement qui a caché la vérité aux habitants. Pendant un mois entier, après la catastrophe, les officiels ont nié la réalité et tenté de rassurer la population locale en disant que le taux de radioactivité était normal. Et puis, soudainement, fin avril 2011, le ton a changé et il fallait évacuer les lieux immédiatement. Trop tard, rappelle le fermier. Tout le monde avait été exposé pendant plus d’un mois. Mais comme personne n’était équipé d’un dosimètre, impossible de connaître précisément les doses reçues par les habitants.
Trois ans après, l’amertume reste vive : « Aujourd’hui le gouvernement ment sur le travail de décontamination comme il l’a fait sur l’exposition aux radiations juste après la catastrophe« . M. Hasegawa explique que les postes de mesures de la radioactivité installés par les autorités dans les rues de son village, Iitate, ne sont pas fiables. « Juste à côté des postes, on mesure 0,9 micro-sieverts par heure. Mais si on s’éloigne de dix mètres, ça monte à 2,4 μSv et à 20 mètres, on dépasse 3 μSv. Ca montre qu’ils ont décontaminé juste autour des postes mais rien de plus« .
Plus grave encore, à Iitate, les autorités viennent de proposer de monter le seuil officiel de 1 milli-sievert par an (seuil acceptable reconnu dans le monde entier) à 5 milli-sievert. Peu importe les risques pris par la population. Quand M. Hasegawa interroge sur les raisons de l’augmentation de ce seuil, on lui répond que si on reste au taux de 1, alors la décision officielle permettant le retour dans le village pourrait ne pas avoir lieu avant 10 ou 20 ans. Pour un gouvernement qui souhaite relancer rapidement des réacteurs, ce délai est impossible à faire accepter à la population.
Un fermier de #Fukushima : « Ici aussi avant on pensait que ça ne pouvait pas arriver. On pensait vivre en sécurité ». #nucleaire
— J-Francois Julliard (@jfjulliard) 17 Février 2014
Un sentiment d’abandon
Hiroshi Kanno, lui aussi agriculteur dans le village d’Iitate, a perdu espoir. Il ne voit plus ses petits-enfants qui ont peur de venir dans la région. « Pourquoi doit-on souffrir autant ? Le Japon ne vient pas en aide à ses propres citoyens. Nous, habitants de la préfecture de Fukushima, avons l’impression que le pays se moque de notre sort et que nous ne comptons pas« .
Pour M. Kanno, seul un autre accident dans le pays rendrait le nucléaire totalement inacceptable pour la population. « De toute manière, nous n’aurons plus d’autre endroit où habiter« , ajoute-t-il, dans son désarroi.
Les deux hommes ont en commun d’avoir été privés de leurs terres. Et par la même occasion de leur travail et de leur moyen de faire vivre leurs familles.
Leur colère est vive parce qu’ils savent que cette situation aurait pu être évitée si le gouvernement avait fait d’autres choix pour alimenter le pays en énergie.
« Les humains ont détruit la nature à Fukushima. C’est notre responsabilité. Nous n’en connaissons pas encore toutes les conséquences mais un jour ou l’autre nous aurons à les affronter » termine M. Kanno avant de reprendre la route pour rejoindre l’appartement qu’il habite dans la ville de Fukushima depuis qu’il a dû quitter la maison familiale dans son village contaminé.
à suivre…