Qu’est-ce qu’une procédure-bâillon ?
Les procédures-bâillons, également connues sous l’acronyme anglais ou SLAPP (« Strategic Lawsuit Against Public Participation ») qui signifie littéralement “gifle”, sont des poursuites juridiques utilisées par des entreprises pour tenter de limiter voire d’empêcher la mobilisation publique de la société civile. Les procédures-bâillons sont souvent sans fondement et n’ont pas besoin de se conclure par une victoire juridique pour atteindre l’objectif souhaité par les entreprises qui les lancent.
Ces procédures-bâillons font perdre du temps et causent d’importants préjudices financiers et parfois psychologiques aux personnes et organisations visées, qui doivent embaucher des avocats et s’engager dans des batailles juridiques longues et coûteuses, risquant parfois jusqu’à la faillite. Ces poursuites tentent d’entraver la liberté d’expression et de limiter la protestation pacifique en utilisant l’action en justice pour dissuader les manifestations non-violentes, la désobéissance civile, mais aussi parfois le travail de documentation ou de recueil de témoignage.
Souvent, les poursuites-bâillons réclament des sommes d’argent extrêmement élevées. Même si ces demandes sont sans fondement et vouées à l’échec, le fait que l’issue d’un procès n’est jamais totalement certaine implique parfois que certaines entités visées n’ont d’autre choix que de se rétracter.
De plus, les entreprises qui ont recours aux poursuites-bâillons espèrent dissuader les défenseurs et défenseuses de la planète et de l’intérêt général de s’élever contre des actes pourtant répréhensibles, de peur d’être poursuivis en justice.
Combien y a-t-il de poursuites-bâillons dans le monde ?
La réponse est courte : beaucoup trop !
D’après un rapport publié en 2021 par le Business & Human Rights Resource Center, 355 affaires juridiques présentant les caractéristiques des poursuites-bâillons ont été lancées dans le monde entre 2015 et 2021 par des acteurs économiques contre des organisations, des individus ou des groupes liés à la défense des droits humains ou de l’environnement. Près des trois quarts (73 %) de ces poursuites-bâillons ont été intentées dans des pays du Sud, dont une majorité en Amérique latine (39 %), selon le rapport. L’Amérique latine est suivie par l’Asie et le Pacifique (25 %), l’Europe et l’Asie centrale (18 %), l’Afrique (8,5 %) et l’Amérique du Nord (9 %). Comme le reconnaissent les auteurs, leur décompte de 355 poursuites-bâillons est un instantané « limité mais éclairant ». L’ampleur réelle du problème est certainement beaucoup plus importante.
Un autre rapport, co-publié par Greenpeace International pour la Coalition Against SLAPPs in Europe (CASE) en 2022, a identifié 570 cas de poursuites-bâillons sur une période de dix ans, rien qu’en Europe. Les dépôts de plaintes ne sont qu’une partie du problème : des lettres de menace peuvent suffire à intimider ou à réduire au silence les organisations visées.
Ces dernières années, l’industrie des énergies fossiles a largement utilisé les poursuites-bâillons. Selon un rapport publié en 2022 par EarthRights International, l’industrie a utilisé des tactiques de poursuites-bâillons pour cibler plus de 150 personnes et organisations au cours des dix dernières années.
Quelles sont les procédures abusives qui visent Greenpeace dans le monde ?
Dans ce contexte inquiétant d’augmentation des tentatives d’intimidation judiciaire contre la société civile, Greenpeace n’est pas épargnée et fait face à plusieurs procédures de la part de grandes entreprises, notamment des pétro-gazières.
En Grande-Bretagne, Shell réclame des millions d’euros à Greenpeace United Kingdom et Greenpeace International pour une action pacifiste, tandis qu’en Italie, ENI a engagé une procédure qui pourrait aboutir à un procès en diffamation contre Greenpeace Italia et l’association ReCommon. En France, TotalEnergies a également poursuivi Greenpeace France en avril 2023, suite à la publication d’un rapport dénonçant le manque de transparence de la multinationale sur son bilan carbone. Le tribunal judiciaire de Paris a annulé la procédure en mars dernier.
De l’autre côté de l’Atlantique, Energy Transfer poursuit Greenpeace USA et Greenpeace International et réclame 300 millions de dollars de dommages-intérêts, pour avoir soutenu la communauté sioux de Standing Rock dans son combat contre l’oléoduc Dakota Access (DAPL). La pétrogazière accuse notre organisation d’être l’instigatrice des manifestations qui ont eu lieu dans cette région entre 2016 et 2017, et cherche ainsi à réécrire l’histoire du mouvement d’opposition à la construction de cet oléoduc.
Quelles sont les protections juridiques contre les procédures-bâillons ?
Les protections contre les poursuites-bâillons sont en retard par rapport à la menace de plus en plus pressante que ces procédures représentent pour la liberté d’expression et le droit à la protestation pacifique. Malgré tout, des initiatives existent.
Nous voici, plus de six ans après que la première poursuite-bâillon a été déposée contre nous, toujours obligés d’investir du temps et des ressources dans ces batailles juridiques qui auraient pu servir à protéger les communautés et l’environnement de la pollution et de la menace fondamentale du changement climatique. Alors que notre marge de manœuvre pour lutter contre la crise climatique continue de se réduire, nous devons gagner. Les voix de celles et ceux qui protègent notre planète et nos communautés ne peuvent être réduites au silence.Deepa Padmanabha, conseillère juridique de Greenpeace USA, lors d’une audition du Congrès américain convoquée par Raskin en septembre 2022 pour discuter de la menace que représentent les poursuites-bâillons.
En mars 2024, suite à une campagne menée par l’ensemble de la société civile, l’Union européenne s’est dotée d’une directive visant à lutter contre les procédures-bâillons. Greenpeace International, dont le siège se trouve aux Pays-Bas, a formellement prévenu Energy Transfer qu’à moins qu’elle ne renonce à cette poursuite et lui verse des dommages-intérêts, elle se saisirait de cette nouvelle directive pour lui réclamer des dommages-intérêts. Greenpeace International serait ainsi la toute première victime de poursuite-bâillon à utiliser ce nouvel outil de protection de la liberté d’expression.
Les poursuites-bâillons sont des outils utilisés par des entreprises puissantes pour entraver la liberté d’expression et le pouvoir citoyen, et empêcher des organisations comme Greenpeace d’utiliser leurs ressources pour faire avancer leurs campagnes en faveur d’une société plus juste et plus durable. Chaque procédure-bâillon, quelle que soit l’entité ciblée, est une attaque contre toutes celles et ceux qui croient au pouvoir de la liberté d’expression et à la désobéissance civile. Personne ne devrait se faire intimider pour s’être exprimé au nom de la défense des droits humains fondamentaux et de la planète.
Si Greenpeace est la cible de ce type de procédures, c’est bien la preuve que notre travail est efficace et craint par les entreprises les plus polluantes. Malgré ces plaintes abusives, nous continuerons notre combat pour la justice environnementale, climatique et sociale. Prochainement, nous vous proposerons de vous mobiliser contre la procédure-bâillon qui menace Greenpeace aux États-Unis.