Je parcours les océans depuis 33 ans. J’ai grandi au Canada, dans la région des Grands Lacs, qui forme une sorte de mer intérieure d’eau douce. Dans l’imaginaire des enfants de mon village, l’océan était une étendue lointaine et infinie, peuplée de créatures fascinantes qu’on ne pouvait voir que dans les livres ou dans les films du commandant Cousteau. Pour nous, l’océan était si immense et majestueux qu’il était indestructible. Il était impossible que les activités humaines puissent gripper cette formidable machine de vie.
Par la suite, je suis devenu marin. Loin des Grands lacs, j’ai navigué sur tous les océans de la Terre. Sans prévenir, ces espaces immenses et lointains sont devenus ma maison. Mes poumons se sont habitués à l’air du large et mes yeux à l’infinité de l’horizon. Puis, comme lors d’un premier chagrin d’amour, j’ai eu le cœur brisé.
J’ai vu des navires usines se délester de leurs déchets en pleine mer, des chalutiers raser les fonds marins, des flottes de pêche piller la vie des océans. J’ai entendu le bruit assourdissant des tests sismiques recouvrir celui des vagues, pour servir les profits de l’industrie pétrolière. J’ai vu que la cupidité pouvait être plus abrasive que le sel de la mer. Les océans de mes rêves d’autrefois tournaient au cauchemar, et les documentaires de Cousteau au film d’horreur.
C’est pourquoi j’ai consacré ma vie à la protection des océans, si immenses et en définitive si fragiles, risquant même de passer plusieurs années dans les prisons russes après avoir protesté contre les forages pétroliers en Arctique.
Malgré tout, l’espoir a toujours navigué à mes côtés. Nous pouvons encore agir pour inverser la tendance et permettre aux océans de se remettre de décennies de surexploitation, de pollution et de destruction. Pour cela, il faut que d’importantes mesures de protection soient mises en place, et notamment un réseau étendu d’aires et de réserves marines qui englobe à la fois les zones maritimes nationales et internationales.
Nous devons faire preuve d’une bonne dose de courage et de volonté politique, et cesser de considérer les océans comme notre poubelle. Notre survie dépend de leur santé. Ce qui se passe à des kilomètres au large nous affecte directement. Plus vite nous prendrons conscience de cette interconnexion, plus vite nous agirons pour protéger les océans et notre avenir.
Les dirigeants du monde entier sont réunis ces jours-ci à New York, sous l’égide des Nations unies, pour parler du sort réservé à nos océans. Espérons qu’ils nous entendront et saisiront cette occasion pour adopter, enfin, les mesures de protection qui s’imposent.
L’Esperanza sillonne actuellement le littoral espagnol pour dénoncer la destruction des côtes et attirer l’attention des Nations unies sur la mauvaise santé des océans.