Fidèles à leur corps avant toute chose, ils trustent les places dans l’appareil d’État, les entreprises et ils décident de la politique énergétique de la France depuis l’après-guerre. Les X-Mines sont à la manœuvre, politique, industrielle, économique de la stratégie énergétique de la France et sont, à ce titre, les principaux décisionnaires. Les choix inhérents à la transition énergétique, souhaitée par le Président de la République, se feront avec eux (à travers la DGEC (Direction Générale de l'énergie et du Climat), les conseillers, ...). Mais l'histoire a montré que le corps des Mines est à l'origine d'erreurs industrielles en matière d'énergie. Des erreurs répétées, décennie après décennie ... qui n’augurent rien de bon quant à la mise en œuvre de la transition énergétique.
Une erreur fondamentale du corps des Mines a été de penser pouvoir prédire l’avenir de la consommation d’électricité sur 30 années. Le programme Messmer s’est fondé sur des prévisions irréalistes. Il tablait initialement sur la construction de 7 réacteurs par an, sans que ce plan ne soit appuyé par des analyses et des trajectoires solides de prévision de la consommation d’électricité.
C'est la commission PEON qui est à l'origine de ce plan : elle est composée d’une part de représentants de l’administration (ministères de l’Industrie, de l’Environnement et de l’Économie, commissariat général du Plan),et d’autre part de représentants de la recherche (Commissariat à l'Énergie Atomique), de l’industrie (EDF, constructeurs : Alsthom, Empain-Schneider, Péchiney-Ugine-Kuhlman, Saint-Gobain Pont-à-Mousson). Elle jouera un rôle primordial dans le choix du programme électronucléaire français à partir de 1973. C’est elle qui va mettre au point la stratégie électronucléaire adoptée en 1973 par Pierre Messmer, alors Premier ministre de Georges Pompidou.
A l’époque, deux événements internationaux ont conduit à une accélération spectaculaire du programme électronucléaire français. Le conflit israélo-arabe et notamment la guerre du Kippour en 1973. Et le premier choc pétrolier qui conduit le prix du pétrole à quadrupler en octobre 1973. Ces deux événements mettent brutalement en évidence la dépendance énergétique des pays occidentaux et leur fragilité en la matière au moment où le pays connaît une extraordinaire croissance économique. Et ils conduisent Pierre Messmer, Premier ministre, à accélérer encore ce programme le 5 mars 1974 Cette histoire ne s’arrête pas en 74. Le plan Messmer trouvera 7 ans plus tard, en 1981, un promoteur inattendu en la personne de Pierre Mauroy, Premier ministre de François Mitterrand. C’est sous les deux septennats de François Mitterrand que le programme nucléaire va prendre toute son ampleur : sur les 58 réacteurs que compte aujourd’hui le pays, 38 sont mis en service entre mai 1981 et 1995, année de l’alternance présidentielle.
Le Plan Messmer prévoit donc finalement la construction de 4 à 6 réacteurs par an jusqu’en 1985. EDF, maître d’œuvre, envisage dans le même temps d’équiper environ trois millions d’habitats en chauffage électrique d’ici 1985. En 10 ans, le programme nucléaire développé a été beaucoup trop puissant. Le surplus a été très vite atteint. D’où une politique d’exportation, jamais prévue à l’origine. Et une fragilité d’un système électrique ultra-dépendant d’une seule source d’énergie et d’une seule technologie (34 réacteurs de 900 mégawatts !). Cette fragilité transparait d’ailleurs aujourd’hui dans le discours récent de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) sur le risque d’un défaut générique..
Il est à la manœuvre : dans la commission PEON outre son président, M. Jean Désiré Couture qui cumulait de 63 à 73 le rôle de secrétaire général de l’énergie, 3 des 9 autres membres de droit de la commission viennent du corps des Mines. Par ailleurs, sur les 20 autres membres nommés pour 4 ans au 1er décembre 70, 5 sont membres du corps des Mines : M. Blancard, vice-président du Conseil général des Mines, délégué ministériel pour l'Armement ; M. Pierre Jouven, président-directeur général de Pechiney ; M. Jacques Mabile, directeur des Productions au commissariat à l'Énergie atomique ; M. Henri Malcor, président-directeur général de la compagnie Creusot-Loire (groupes Marine-Schneider) ; M. Paul-Albert Moch, vice-président de l'ERAP (Entreprise de recherches et d'activités pétrolières).
Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire requiert de l’uranium enrichi (hors uranium naturel-graphite-gaz (UNGG)):
Il existe quatre méthodes principales d’enrichissement dans le monde : par laser, par chimie, par diffusion gazeuse, ou enfin par centrifugation.
Si les deux premières ont été étudiées très tôt dans les années 80, ce sont les deux dernières qui ont été utilisées depuis le milieu des années 70. La France, comme un temps les États-Unis, a opté pour la diffusion gazeuse quand les autres pays de l’enrichissement (Allemagne, Royaume-Uni et Pays-Bas) ont choisi la centrifugation.
La France est alors convaincue d’avoir choisi la technique d’enrichissement qui garantira l’indépendance de la France en matière énergétique ! Dès la décision entérinée, une association est créée et chargée de la mise en œuvre du projet : Eurodif. L’année suivante, le gouvernement Français confie au CEA la construction de l’ usine Eurodif. Mais vers la fin des années 90, Areva constate le manque d’efficacité de cette technologie par rapport à la centrifugation. En effet, 4 réacteurs ont été construits au milieu des années 70 sur le site de Tricastin spécialement pour satisfaire l'énorme consommation électrique de l'usine d'enrichissement. En 2003, Areva signe un accord avec son concurrent, détenteur de la licence de centrifugation, URENCO. Après avoir dépensé d’importantes ressources et énergies dans le développement de la technique de diffusion gazeuse, la France achète finalement le droit d’utiliser la centrifugation à ses concurrents et démarre la construction de l’usine George Besse II.
Un retour en arrière, près de 30 années après le choix de la technique de diffusion gazeuse et la construction de 4 réacteurs, devenus inutiles depuis la fermeture de Georges Besse I à Tricastin (identifiée parmi les 5 centrales à fermer en priorité). Cette erreur industrielle est une nouvelle étape dans la perte d’influence de la France sur l’industrie nucléaire mondiale. Elle est le choix d’hommes politiques, à commencer par le premier d’entre eux, le président Pompidou en 1969, ses Premiers ministres, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer, et les ministres de l’Industrie, de l’Économie, et de l’Environnement de l’époque. Mais au-delà des hommes politiques, loin d’être des experts, un bataillon de conseillers, souvent du corps des Mines, étaient à l’origine de ces décisions.
Aux côtés des Responsables Politiques | Les X-Mines dans leur cabinet, conseillers... |
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Georges Pompidou, Président | Bernard Esambert, Jean François SAGLIO |
Jacques Chaban-Delmas, Premier Ministre | François de Wissocq |
Olivier Guichard, Ministre de l'industrie | 47% des postes du ministère de l'industrie étaient des X-Mines, parmi lesquels : Gérard Worms, Romain Zaleski, Gérard Piketty |
Secrétariat d'Etat industrie | Patrick Duverger |
Valéry Giscard D'Estaing, Ministre de l'économie | Lionel Stoleru |
Ministère de l'environnement | Dominique Moyen |
A la tête d'institutions, d'entreprises | Et leurs dirigeants X Mines |
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Secrétariat général à l'énergie | Jean Couture, remplacé par Jean Blancard en 73 (resp. directeur, membre et président) |
Comité de l'énergie atomique | |
Commission PEON | |
CEA (à partir de 70) | André Giraud (resp. Administrateur Général, administrateur) |
EDF (à partir de 70) | |
Eurodif | George Besse, président |
On retrouve donc, derrière ces échecs répétés, le corps des Mines dans les coulisses de plusieurs institutions : à la tête du CEA, parfois d'EDF, en conseillers du président, du Premier ministre, des ministres, à la tête de la COGEMA puis d'Areva.
L'entêtement du corps des Mines à mettre en place une filière franco-française de réacteurs a échoué, suite à de mauvais choix industriels (UNGG, puis filière neutron rapide et plus récemment EPR), ce qui a conduit la France à avoir 54 de ses 58 réacteurs sous licence américaine Westinghouse, perdant ainsi une indépendance chèrement recherchée.
Le corps des Mines a pour rôle de "concevoir et surtout animer la stratégie gouvernementale au sein d’un certain nombre de grandes directions des ministères techniques et économiques" (voir Histoire des politiques énergétiques au XXe siècle - Séminaire de l'Institut de Gestion Publique et du Développement économique - ministère des Finances) . Ce rôle particulier leur réserve de fait les places de choix parmi les conseillers politiques, ou à la tête des grandes entreprises de l’État et d’institutions publiques. Le statut particulier du corps des ingénieurs des Mines est détaillé dans un décret mis à jour en 2009.
L’influence du corps des Mines sur la politique énergétique française provient de sa place privilégiée auprès des dirigeants : dans l’administration, les cabinets et entreprises. Au corps des Mines, la discipline est une valeur. Et le débat n'a pas cours : aux Mines, on sait ce qui est bon pour la France depuis trois siècles. Car dans ce corps, la formation des nouvelles générations est faite par les générations précédentes de X-Mines. Ce sont des promotions de 20 qui, chaque année, sont formées, voire formatées, par leurs ainés.
L’amicale du corps des Mines est, plus qu’une association d’anciens élèves, l’agence de ressources humaines du corps : "le souci de l’Amicale n’est pas de veiller aux carrières des mineurs mais au bon emploi de chacun" disait Raymond Lévy, ancien président de l’Amicale et ex-PDG d’Elf et Usinor. (Raymond Lévy a vice-présidé le conseil général des Mines - qui gère les fonctionnaires- de 1987 à 1992, puis a présidé l'Amicale jusqu'en 2002, date à laquelle Jean-Louis Beffa prend la relève.)
Un court panorama actuel des conseillers politiques, PDG et administrateurs suffit à illustrer que le corps des Mines n’est pas un lobby auprès du pouvoir, c’est le pouvoir. Voici les "corpsards" qui ont aujourd’hui le pouvoir sur la politique énergétique de la France :
L’influence du corps des Mines s’est renforcée depuis l’après-guerre au travers du programme nucléaire. Leurs principaux bastions de pouvoir, au-delà des cabinets ministériels et de l'Élysée sont : le CEA, l’ASN, l’IRSN, l’ANDRA, la DGEC, et Areva ; en un mot, toute la sphère nucléaire française, mis à part le principal opérateur EDF.
Une politique énergétique qui viserait à s’écarter du nucléaire au profit des renouvelables et d’une baisse de la consommation d’électricité aurait deux impacts majeurs. D'une part, cela représenterait la perte de contrôle du corps des Mines sur la politique énergétique française et d’autre part une rupture culturelle pour un corps qui depuis 50 ans poursuit un but unique avec une constance étonnante : développer le programme nucléaire français.
En effet l’influence du corps des Mines repose essentiellement sur leur expertise technique du système nucléaire et sur leur présence à chaque niveau (politique, administratif, industrie et recherche) de ce système.
Si une politique énergétique de transition venait à être mise en œuvre, la place du nucléaire dans le mix énergétique s’en verrait réduite et avec elle celle du corps des Mines... à moins que celui-ci n'évolue en reconnaissant l’efficacité tant énergétique qu’économique des énergies renouvelables.
Né en 1941, Jean-Louis Beffa est un ancien élève de l'École polytechnique et membre du corps des Mines. Il est diplômé de l'École nationale supérieure du Pétrole et de l'Institut d'études politiques de Paris.
Il commence sa carrière comme ingénieur des Mines à Clermont-Ferrand (1967) avant d’entrer au sein de la direction des Carburants comme ingénieur, avant de devenir chef du service Raffinage et adjoint au directeur. En 1974, il intègre la compagnie Saint-Gobain comme directeur du Plan. Il devient directeur général, puis président-directeur général de Pont-à-Mousson, tout en étant parallèlement directeur de la branche Canalisation et Mécanique de Saint-Gobain, de 1979 à 1982.
Directeur général de Saint-Gobain depuis 1982, il en devient le PDG en 1986, lors de la privatisation de l’entreprise. Il s’est vu confier en 2004 par Jacques Chirac, alors président de la République, la rédaction d’un rapport (controversé dans le milieu industriel) sur la relance de la politique industrielle en France.
En juin 2007, il quitte ses fonctions de PDG de Saint-Gobain dont il continue de présider le conseil d’administration. Il est par ailleurs (entre autres) vice-président du conseil d'administration de BNP Paribas, administrateur de Gaz de France et président de Lazard (banque d'affaires franco-américaine) en Asie.
Jean Louis Beffa est président de l’Amicale du corps des Mines depuis 2002. L'Amicale des ingénieurs des Mines est une association loi 1901 regroupant des personnes appartenant ou ayant appartenu au Corps des Ingénieurs des Mines ou des Télécommunications. Selon ses statuts, le but de l'association est de créer des liens et de la solidarité entre ses membres. L'Amicale des anciens est gérée par un Conseil d'Administration qui a, selon un adhérent, "une vraie influence sur l'exercice du pouvoir en France".
Véritable cabinet de ressources humaines du corps des Mines, l'Amicale (et son président surtout) place les corpsards (comme on les surnomme en argot polytechnicien) dans les cabinets ministériels, entreprises d’État ou administrations comme l’a fait longtemps un de ses prédécesseurs, Robert Pistre, qui plaça en son temps Anne Lauvergeon à la tête d’Areva (ex-Cogema).
Olivier Lluansi (corps des Mines), précédemment membre de la direction de Saint-Gobain, est aujourd’hui conseiller énergie du président de la République et doit sa place à son ancien patron, Jean- Louis Beffa (PdG de Saint-Gobain de 1986 à 2007 et reste aujourd’hui président d’honneur et administrateur). Mathias Lelièvre (corps des Mines), ex-ASN, lui devrait aussi sa place au côté d’Arnaud Montebourg en tant que Conseiller technique en charge de la Conférence nationale de l'industrie et des filières.
Non content de veiller à la destinée du corps des Mines et de ses membres, Jean Louis Beffa est actif au plus proche du président de la République et de ses ministres. Il est visiteur de François Hollande (ainsi que d’Arnaud Montebourg et plus récemment de Pierre Moscovici).
Au printemps 2013 il remet à François Hollande et Angela Merkel un rapport sur la compétitivité co-signé par Gerhard Cromme, président du conseil de surveillance de Siemens (membre comme lui de la Table ronde des industriels européens (ERT), puissant lobby industriel européen) et préparé par les membres d’un "groupe de travail franco-allemand" (Laurence Parisot, Hans Peter Keitel). Avec Jean Louis Beffa, le nucléaire est installé confortablement au plus proche des politiques.